Précis d’histoire locale„Les Differdangeois dans la Tourmente. 1940-1945“ d’Armand Logelin-Simon

Précis d’histoire locale / „Les Differdangeois dans la Tourmente. 1940-1945“ d’Armand Logelin-Simon

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Coutumier des textes historiques en rapport avec le Luxembourg et la Deuxième Guerre mondiale, Armand Logelin fait une nouvelle fois figure d’historien grand-ducal avec son dernier opus intitulé „Les Differdangeois dans la tourmente. 1940-1945“, paru en qualité de dixième volume de la collection „GalerieDok“ des éditions du Centre Culturel de Differdange. Cet ouvrage se fixe un double objectif: exposer la complexité des faits et des événements historiques de l’époque et tenter une réévaluation culturelle (toujours délicate) d’une des périodes les plus difficiles de l’histoire du Grand-Duché. Adoptant la posture critique et ré-évaluative d’un passeur de mémoire, l’auteur nourrit „l’intention (…) de rendre palpable la simultanéité des attitudes prises par la population, sous l’occupation nazie. Les uns s’accommodaient avec le régime nazi et les autres en subissaient les conséquences. Les uns se laissaient envoûter par la propagande allemande, les autres sauvegardaient leur autodéfense intellectuelle“. L’Histoire n’est ni toute noire ni toute blanche: c’est précisément ce dégradé de gris que dévoile Armand Logelin dans ce volumineux ouvrage de synthèse.

Articulé en quatorze chapitres et parcimonieusement illustré, l’ouvrage de plus de quatre cents pages remporte l’adhésion du lecteur par sa structure ainsi que par la diversité des sources documentaires (de nature essentiellement iconographique) présentes, et qui constituent le fondement factuel sur lequel s’appuie l’analyse des faits, des attitudes d’une population aux abois car jetée dans un conflit armé qui pose un certain nombre de cas de conscience à celles et ceux qui l’ont vécu non pas avec le regard distancié de l’historien, mais avec la nécessité de s’impliquer par la redoutable question du choix. Or, nous savons, depuis l’auteur latin Tacite (55-120), que l’historien se doit d’aborder l’objet qu’il considère selon le principe du „sine ira et studio“ („sans colère ni faveur“) introduit au début de ses „Annales“ (I, 1).

Participer à son histoire

À cela s’ajoute le fait que nous sommes tous embarqués dans un même navire (comme nous le rappellent „ad nauseam“ les notions répétées de „globalisation“ et de „mondialisation“): soucieux, comme Raymond Aron, de „comprendre et de connaître son époque aussi honnêtement que possible“, Armand Logelin sait que nous sommes du monde, qu’il ne s’agit pas d’en fuir les réalités, mais de participer à son histoire. À l’instar des Differdangeois qui ont participé à la leur.

Le terme de „tourmente“ (employé dans le titre) est de ce point de vue très significatif: désignant originellement une „tempête soudaine et violente“, ce terme caractérise un état d’agitation, de trouble profond, comme le suggère l’auteur en écrivant dans sa préface que „(…) la lecture de ce livre est associée à un travail de réflexion sur des questions de fond. Peut-on consentir à ce qu’un père, un frère, un amant meure pour défendre la patrie? Est-ce qu’on a le droit de s’interdire ce consentement, quand il s’agit d’éviter de se voir imposer une identité qu’on a toujours refusée et un régime dictatorial qu’on sait contraire aux droits de l’homme?“ (p. 9).

Rédigé de façon fluide et cultivant l’art à la fois de l’exactitude factuelle et de la précision méthodologique, l’ouvrage d’Armand Logelin commence par évoquer „l’invasion allemande“ ainsi que le temps de l’évacuation dont il dresse minutieusement une liste (p. 1-22) qui, au même titre que celle des victimes civiles et militaire des 11 et 12 mai 1940 (p. 26-29), ravira le lecteur animé d’une âme d’archéologue du détail rendu d’autant plus concret qu’il est illustré par des documents iconographiques historiques. Après les difficiles premiers mois d’Occupation en 1940, l’auteur s’attache à expliquer quelles furent les associations differdangeoises tenaillées par le „Stillhaltekommissar“ Franz Schmidt, et ce à une époque où la liberté d’expression était abolie et le droit de réunion fortement limité.

Là encore, l’histoire locale détaillée permettra à tout un chacun d’en apprendre davantage sur telle ou telle association concernée par cette douloureuse question du déchirement entre collaboration d’un côté, et résistance de l’autre. En outre, parmi les chapitres marquants de cet ouvrage figure celui consacré aux persécutions et aux assassinats politiques, qui constitue le miroir sanglant de la guerre, et ce d’autant plus que le Luxembourg, placé sous occupation en mai 1940 et annexé à l’Allemagne en 1942, a subi un effroyable programme de „germanisation“ du pays qui s’exerça non seulement contre les familles juives de Differdange, mais encore par l’entrée forcée du Luxembourg dans le Reich. Une insistance particulière est accordée au cas particulier de Guillaume Ruppert, qui fut un résistant camouflé en collaborateur.

„Collabo ou résistant … et l’entre-deux?“

L’exemple qu’explicite Armand Logelin renvoie à une question cruciale posée par la série de France Culture intitulée „Quatre questions pour se fâcher entre amis“ au cours de laquelle l’essayiste et philosophe François de Smet, à la question „Collabo ou résistant … et l’entre-deux?“, répond: „C’est le dilemme moral par excellence, et on se le pose peut-être aujourd’hui de façon encore plus forte que dans l’immédiate après-guerre. (…) cette question moraliste est insuffisante: nous aurions dû ajouter à résistant ou collabo le terme de citoyen passif … sans doute la solution la plus couramment répandue. La plupart des gens dans les pays occupés n’étaient ni collaborateurs actifs ni résistants courageux, mais dans l’entre-deux“. C’est en ces termes que se posa la même question (morale) pour les habitants de Differdange durant l’Occupation allemande. Enfin, dans la même perspective chronologique, Armand Logelin aborde le thème des „retrouvailles avec la liberté“, qui marque non seulement la fin de la guerre, mais encore (et peut-être surtout) les procès des collaborateurs (au tribunal spécial) aux heures sombres des règlements de compte de l’Histoire. L’ouvrage s’achève par l’examen d’un cas d’étude, celui de Lasauvage sous le régime nazi, qui occupe le quatorzième et dernier chapitre, comme une sorte de synthèse et de bouquet final. Agrémenté d’un copieux „index des personnes“ (p. 389-423), cet ouvrage permet également de réaliser des recherches ponctuelles et détaillées, ce qui finira de convaincre tant l’amateur éclairé que l’historien professionnel.