Sonntag16. November 2025

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ExpositionL’émulation d’une rencontre: Amedeo Modigliani à l’Orangerie à Paris

Exposition / L’émulation d’une rencontre: Amedeo Modigliani à l’Orangerie à Paris
„Paul Guillaume, Novo Pilota“, 1915, huile sur carton collé sur contre-plaqué parqueté (105 x 75 cm), Paris, musée de l’Orangerie Photo: RMN-Grand Palais (musée de l’Orangerie), Hervé Lewandowski

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Il y a des légendes dans la peinture qui nous ramènent à l’essentiel et à l’exigence d’une œuvre. C’est le cas d’Amedeo Modigliani (Livourne 1884 – Paris 1920), peintre au parcours cahoteux, pauvre, malade, mort prématurément, dont les tableaux et sculptures sont des emblèmes de beauté simple.

Cette vie si courte et profuse en art a été placée sous le signe de rencontres fondamentales avec des artistes et également avec un marchand d’art, Paul Guillaume. Une reconnaissance et une admiration de l’œuvre de Modigliani ont fait de ce marchand un passeur. Une telle rencontre se prévaut d’une réelle émulation entre les deux protagonistes, quelques photos anonymes sont là pour immortaliser Modigliani seul dans son atelier, ainsi que Paul Guillaume dans le même atelier.

Dans l’épaisseur d’un endroit rudimentaire, les clichés sont en noir et blanc, deux mondes se côtoient. Celui, rude, âpre, de l’artiste, dans une tenue sobre, tandis que Paul Guillaume est un dandy. Les photos de l’intérieur du marchand d’art révèlent un accrochage des tableaux semblable à celui des musées de l’époque et des siècles précédents, dans une saturation de l’espace. Amedeo Modigliani, arrivé à Paris en 1910, fera la connaissance de Paul Guillaume en 1914. Mais auparavant, il fréquente les cafés et les ateliers de Montparnasse, fait partie de l’Ecole de Paris, qui désigne ce regroupement de peintres étrangers qui ont renouvelé l’art français – on pense, entre autres, à Soutine, Chagall, Pascin.

La simplicité des volumes

Avant son arrivée à Paris, Modigliani suit les cours de l’académie de Florence puis de celle de Venise, fréquente les musées. La France est celle de Cézanne, il y découvre le cubisme naissant et ce qui fut longtemps nommé „l’art nègre“. Sa rencontre avec Brancusi, en 1909, sera déterminante, Modigliani délaisse alors peinture et couleurs pour s’adonner à la sculpture. Il pratique la taille directe, pour une sculpture qui évide, va vers le dépouillement et la simplicité des volumes. Ce dépouillement permet des portraits essentiels, donnés dans une grande simplicité archétypale.

Les formes, au modelé faible et aux volumes lisses, rappellent l’art grec ou la sculpture africaine – l’époque est à la découverte de cette dernière, les masques et totems étant appréciés pour eux-mêmes, hors de tout rituel. Ces formes seront reprises dans sa peinture, les visages auront la même simplicité, les yeux seront comme des entailles en amande, les cous s’allongeront, la stylisation propre à Modigliani donnera cet effet sculptural, comme une ossature des plus simples. Ce sont des lignes harmonieuses, sans excès. Il y a là une poésie et une volupté effectivement proches des sculptures de Brancusi. Les têtes semblent des fleurs au bout de leurs tiges, on croirait les voir osciller. Les visages laissent affleurer une émotion particulière, d’une extrême fragilité et sensualité, ils traversent le temps. La chair est symbolique et évocatrice, nul besoin de naturalisme pour éveiller la perception. Le mouvement et la force des lignes, la vibration des couleurs, portent les volumes, réduits dans un idéal de synthèse. Et le sujet occupe l’espace, le fait onduler de sa présence. Il envahit le regard.

Infos

„Modigliani: un peintre et son marchand“
Jusqu’au 15 janvier 2024 
Musée de l’Orangerie 
Place de la Concorde
75001 Paris 
www.musee-orangerie.fr

La lumière du Sud

Modigliani rompt soudainement avec la sculpture – on peut penser que les raisons financières l’emportent. De 1914 à sa mort, en 1920, Modigliani peindra beaucoup, la figure humaine étant son sujet de prédilection. Paul Guillaume découvre l’œuvre de Modigliani en 1914, par l’entremise du poète Max Jacob, et deviendra son galeriste en 1916. Le marchand d’art encourage le peintre, lui loue un atelier à Montmartre, fait connaître ses œuvres en les collectionnant et en les faisant circuler dans les cercles parisiens. Modigliani exécutera plusieurs portraits de Paul Guillaume.

En 1916, Modigliani rencontre un autre grand marchand, le poète d’origine polonaise Léopold Zborowski. Grâce au soutien de celui-ci, Modigliani se remet à peindre des nus, à une époque où les femmes, dans un certain milieu social, s’affranchissent. Zborowski voudra organiser une exposition en 1918 à la galerie Berthe-Weil, mais les nus en vitrine scandaliseront et seront décrochés par autorité de justice pour cause d’immoralité. Paul Guillaume, quant à lui, continuera d’être le marchand d’art de Modigliani, ses œuvres seront promues en France et à l’étranger jusqu’à son décès, en 1934.

Au début de la Première Guerre mondiale, l’état de santé de Modigliani s’altérant, Zborowski l’envoie avec sa compagne, la peintre Jeanne Hébuterne, alors enceinte du premier enfant du couple, sur la Côte d’Azur. Modigliani peint à Nice des œuvres fortes, empreintes de cette lumière particulière du Sud, des portraits d’enfants, de domestiques, d’anonymes. Il peint également des paysages. Paul Guillaume achètera des œuvres phares de cette époque. On le voit, l’émulation de la rencontre aura permis à Modigliani de poursuivre sa trajectoire à une époque mythique de Paris, celle de Montparnasse et de Montmartre, lieux de rassemblement des peintres novateurs et … fauchés.

Anonyme. Modigliani dans son atelier, rue Ravignan. 1915. Photographie (8,5 × 5,9 cm). Paris, musée de l’Orangerie, don de M. Alain Bouret.
Anonyme. Modigliani dans son atelier, rue Ravignan. 1915. Photographie (8,5 × 5,9 cm). Paris, musée de l’Orangerie, don de M. Alain Bouret. Photo: RMN-Grand Palais (musée de l’Orangerie), archives Alain Bouret, image Dominique Couto