Montag17. November 2025

Demaart De Maart

„Goldman“Itinéraires d’un chanteur gâté: Ivan Jablonka propulse Jean-Jacques Goldman dans un livre histoire

„Goldman“ / Itinéraires d’un chanteur gâté: Ivan Jablonka propulse Jean-Jacques Goldman dans un livre histoire
Portrait d’Ivan Jablonka Copyright: Bénédicte Roscot

Jetzt weiterlesen!

Für 0,99 € können Sie diesen Artikel erwerben:

Oder schließen Sie ein Abo ab:

ZU DEN ABOS

Sie sind bereits Kunde?

Au croisement de l’essai et de la biographie, „Goldman“ raconte plus qu’un artiste. L’historien Ivan Jablonka décrypte avec un enthousiasme non dissimulé la vie et l’irrésistible ascension du chanteur français au rang de star. Pour le professeur d’histoire contemporaine, Jean-Jacques Goldman raconte quelque chose, beaucoup, de la société française des années 1980. L’ouvrage, pourtant élogieux, a poussé Jean-Jacques Goldman à sortir de son silence(1). Ivan Jablonka explique sa démarche de sociohistorien.

Tageblatt: Tout à la fois roman, essai, biographie, livre d’histoire …, „Goldman“ est une sorte d’objet non identifié. Comment le définissez-vous?

Ivan Jablonka: C’est, en effet, un livre un peu inclassable. Cela fait plusieurs ouvrages que j’écris de cette manière, qui relève à la fois de l’histoire, de la sociologie, du récit, de la biographie. Et même de l’autobiographie collective, par le fait que je raconte nos années Goldman, et pas simplement le parcours d’un artiste. En revanche, ce n’est pas un roman, parce qu’il n’y a pas de fiction. „Goldman“ est surtout un livre de sciences humaines.

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire „Goldman“?

Pendant mon adolescence, l’émission „Le Top 50“, très célèbre en France, présentait chaque semaine les cinquante meilleures ventes de 45 tours. Goldman y figurait très souvent. Cela montrait à quel point il était populaire et apprécié des jeunes. Beaucoup plus tard, en tant que jeune adulte, j’ai commencé à écouter ses chansons avec attention, parce qu’elles répondaient à des questions que je me posais confusément: l’appartenance à une famille juive immigrée – l’histoire des Goldman est exactement celle de ma propre famille –, les engagements et les traditions de gauche qui existaient dans la famille Goldman, thèmes auxquels, moi-même, je réfléchissais. Enfin, il y a chez Jean-Jacques Goldman une masculinité fragile, faillible, et je sentais moi-même que je n’étais pas comme les autres garçons. J’avais sans doute quelque chose de vulnérable. Et Goldman exprimait cette masculinité-là. Pour toutes ces raisons, en tant qu’historien, l’envie m’est venue d’écrire sur le phénomène Goldman et, plus généralement, sur la pop culture – BD, comédie musicale, roman d’espionnage, variété –, autant de sous-genres un peu méprisés. J’ai été frappé, en tant qu’historien, par l’importance de la pop culture dans la vie des gens et le fait qu’on a toujours un peu honte d’en parler. Ce paradoxe s’est cristallisé dans ce „Goldman“.

Vous avez utilisé des archives et n’avez pas rencontré Jean-Jacques Goldman. Ces sources d’informations sont-elles fiables et suffisantes pour l’historien que vous êtes?

J’ai dépouillé cinquante ans d’archives provenant de la presse écrite et audiovisuelle, qui comprennent des dizaines et des dizaines d’entretiens et prestations de Goldman. J’ai eu accès à deux dossiers d’instruction, celui de Pierre Goldman, le demi-frère de Jean-Jacques, et le dossier relatif au meurtre de Sirima(2). J’ai fait une trentaine d’entretiens avec des fans de Goldman et j’ai eu accès aux chiffres d’une plateforme de streaming qui donnent des renseignements sur la popularité des chansons de Goldman et d’autres. Surtout, je pose des questions neuves: minorités, intégration, gauche, masculinité, culture de masse, etc. J’ai écrit à Goldman pour le prévenir de mon projet et pour lui demander accès à certaines de ses archives. J’ai aussi demandé à quelques-uns de ses proches d’accepter de me rencontrer. Pour ce qui est des archives Goldman, je n’ai pas eu de réponse. Et de ses proches non plus, sauf son frère Robert, qui m’a répondu aimablement, mais de manière négative. Je n’ai pas demandé à rencontrer Jean-Jacques Goldman en personne. Jean-Jacques, l’individu, il faut le laisser tranquille. En revanche, Goldman, l’artiste, le mythe, lui, fait complètement partie de l’histoire culturelle francophone et, surtout, de notre histoire. Et il est impossible d’échapper à l’histoire. Comme historien, j’étais complètement fondé à consacrer un livre à son parcours et à son œuvre.

Avez-vous écrit une biographie non autorisée?

Je récuse l’expression de „biographie non autorisée“. Pour deux raisons. Premièrement, je n’ai pas écrit une biographie de star, mais un livre de sociohistoire sur le parcours et l’œuvre d’un artiste, en lien avec les collectifs auxquels il appartient: famille, génération, genre, milieu social, politisation, conjoncture socioéconomique, etc. Ce n’est pas exactement ce qu’on appelle une biographie. Quant à savoir si mon livre est „autorisé“ ou non, cela suggère que j’aurais pu ou dû demander une autorisation. Or un historien n’est pas quelqu’un qu’on autorise. L’historien que je suis – et tous les chercheurs du monde avec moi – incarnent une liberté d’expression et une liberté de pensée qui ne sont pas négociables. Personne ne les „autorise“ à quoi que ce soit. Et nul n’a le droit d’entraver leur mission sacrée, qui est de raconter ce qui nous est arrivé – à nous et aux disparus.

Jean-Jacques Goldman a déclaré être triste quant à la publication de „Goldman“. Comment réagissez-vous?

Je n’ai pas été surpris par sa réaction, parce qu’elle correspond à sa décision qui est de se retirer de la vie publique. Sa non-réponse à ma lettre de demande d’archives entrait dans cette logique de retour à l’anonymat. Cependant, je pense que la cause de sa tristesse ne se trouve pas dans mon livre, ni dans les autres livres écrits sur lui, mais dans sa célébrité même. Le fait qu’il ait renoncé à la vie publique depuis vingt ans et que, pourtant, il continue à être la personnalité préférée des Français, est quelque chose qui, au fond, l’attriste. L’attitude de Goldman correspond à une espèce de fantasme qui serait celui de la star anonyme ou d’un chanteur à succès qui ne serait pas connu. Or il s’agit d’une contradiction dans les termes. D’où la légitimité de mon projet et le fait que je suis parfaitement dans mon droit, en tant qu’historien, à travailler sur cet artiste et, plus largement, la pop culture.

Vous évoquez la judéité de Jean-Jacques Goldman alors qu’il en parle peu. Ce point commun entre votre famille et la sienne est-il important à souligner, pour vous?

C’est surtout important pour lui! Dans plusieurs de ses entretiens, il rappelle l’importance de sa judéité – qu’il n’a jamais cachée –, celle de son père comme celle de sa mère. Ce que j’ai essayé de montrer dans mon livre, c’est qu’on peut relire plusieurs chansons de Goldman à la lumière de sa judéité. Pas seulement „Comme toi“, qui évoque la Shoah. Il y a aussi toutes les chansons de l’exil („Là-bas“, „On ira“), dans lesquelles il exprime une forme de mal-être et une volonté de partir. Cela renvoie à des thèmes juifs, notamment l’errance et le déracinement. En ce sens, Goldman est un chanteur de la diaspora, même si, bien sûr, il ne le dit pas en ces termes.

Michel Berger est aussi un chanteur très populaire, encore aujourd’hui. Vous auriez pu écrire un livre sur lui …

J’aurais pu écrire vingt autres livres! Sur Michel Berger, sur Gainsbourg, sur les Beatles, etc. En tout cas, Michel Berger a eu une influence notable sur Goldman, parce qu’il a inventé un genre nouveau dans les années 1970, la „nouvelle chanson française“, alliance du rock et du swing, avec l’importance du piano et des thèmes caractéristiques qu’on retrouvera plus tard chez Goldman, comme la séparation amoureuse, le mal-être, la musique, etc. Sa chanson „La bonne musique“ n’est pas sans lien, me semble-t-il, avec „Quand la musique est bonne“ de Goldman. Il est important de rappeler cette filiation de Jean-Jacques Goldman par rapport à Michel Berger.

Jean-Jacques Goldman ne veut pas dire „Je t’aime“ dans ses chansons. Le meilleur exemple est „Sache que je te“ …

Dans toutes ses chansons, il y a une grande pudeur, une grande douceur et, en même temps, cette réserve de ne jamais dire les choses de manière brutale, mais de toujours les suggérer par petites touches. Du reste, j’ai l’impression qu’il y a davantage de chansons de rupture et d’éloignement que de chansons d’amour. La plus pudique, „Comme toi“, n’est pas une déclaration d’amour, mais une déclaration de tendresse vis-à-vis d’une petite fille assassinée à l’âge de huit ans pendant la Shoah. Pour évoquer un événement aussi tragique, il fallait le dire avec une poésie, une douceur qui consiste à ne pas prononcer des mots trop horribles comme „guerre“, „génocide“, „nazisme“, etc.

Jean-Jacques Goldman a grandi dans une éducation de gauche empreinte d’universalisme et, en même temps, il a été décrié par la presse de gauche. Comment expliquez-vous ce rejet?

Il y a là un paradoxe fascinant. Dans les années 1980, Goldman était honni par toute la presse intellectuelle de gauche. Il y a évidemment du snobisme dans cette attitude. Beaucoup de ces journalistes avaient beau être de gauche, ils étaient en fait non seulement élitistes, mais ils exprimaient aussi un mépris de classe qui s’abattait sur le public de Goldman. Et comme son public était largement composé d’adolescentes des classes populaires et des classes moyennes, une forme de misogynie s’ajoutait à leur snobisme. Tous les journalistes qui exprimaient une espèce de virilité rock méprisaient ce public goldmanien. Enfin, Jean-Jacques Goldman a toujours été décrit comme politiquement mou, trop consensuel, par opposition à son demi-frère Pierre Goldman qui, au contraire, aurait incarné la radicalité, la pureté révolutionnaire. Évidemment, Pierre Goldman était aussi un gangster. On a toujours reproché à Jean-Jacques de ne pas être Pierre. Dans la vraie vie, ils ont peu vécu ensemble, mais ils s’appréciaient.

Adolescent, étiez-vous un fan de Jean-Jacques Goldman?

Pas tellement. J’écoutais plutôt Renaud, Gainsbourg, la pop anglophone. Mon intérêt pour Goldman est venu beaucoup plus tard, au début de l’âge adulte. D’une certaine manière, je ressemblais trop à Goldman. J’étais un petit Goldman en quelque sorte et, quand on est adolescent, on cherche des gens qui ne vous ressemblent pas. On cherche d’autres sources d’inspiration, pas les gens qui vous sont proches. J’avais trop de traits goldmaniens en moi!

Jean-Jacques Goldman a-t-il un successeur?

Du point de vue du talent et de la starification, évidemment. En revanche, là où Goldman, à mon avis, n’a pas été remplacé, c’est sur le fait qu’il est non seulement une hyperstar, mais encore un symbole. Il est devenu un mythe de son vivant, par sa popularité, par ce qu’il représente comme philosophie du vivre-ensemble, par l’universalisme de ses chansons, par le fait qu’il a été un modèle d’engagement et de droiture. À cet égard, il n’a pas d’équivalent.

(1) Jean-Jacques Goldman a réagi sèchement dans les colonnes du „Canard enchaîné“, mercredi 23 août 2023: „Je n’ai jamais rencontré cet auteur, mes amis non plus, et je suis triste pour les gens qui se font duper en achetant ces livres qui parlent de moi.“

(2) Chanteuse britannique d’origine sri-lankaise, Sirima a été révélée au grand public grâce à son duo avec Jean-Jacques Goldman dans la chanson „Là-bas“ (1987)

„Goldman“, d’Ivan Jablonka, Seuil, „La librairie du XXIe siècle“.