ExpositionIl y a une vie après Dieu: „No Church in the Wild“ à l’église de Lasauvage

Exposition / Il y a une vie après Dieu: „No Church in the Wild“ à l’église de Lasauvage
Julie Wagener devant son retable inspiré du documentaire „Four Horsemen“ Photo: Editpress/Julien Garroy

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Cinq artistes ont pris possession de l’église Sainte-Barbe de Lasauvage, désacralisée en novembre 2018, pour y réfléchir à ce qu’il reste quand la religion n’est plus là.  

Habitué à intervenir sur de nombreuses façades en espace urbain, l’incontournable Alain Welter avait déjà eu l’idée plus si saugrenue que ça de créer dans une église, et plus précisément en lieu et place d’un autel. Quand il a entendu parler de la désacralisation de l’église Sainte-Barbe de Lasauvage et de la volonté de la ville de Differdange d’en faire un lieu de culture, il a proposé son idée aux responsables communaux. Non seulement ces derniers ont accepté, mais ils ont aussi pensé qu’il serait judicieux de faire une exposition collective plutôt que de ne présenter qu’une œuvre. Alain Welter fut chargé de sélectionner des artistes. Il s’est octroyé les services du spécialiste du collage Lascar dans cette tâche, avec la ferme intention de montrer qu’une page était bel et bien tournée en ces lieux jadis bénis. „On voulait un peu choquer exprès et on a choisi les artistes sur la base de cela“, confie Alain Welter.

La foi dans le capitalisme

C’est ainsi que Julie Wagener s’est retrouvée embarquée dans cette aventure singulière. Si elle concède, après insistance, qu’un tel lieu d’exposition peut être impressionnant, il n’empêche qu’on peut et doit le remettre en question. L’aborder comme un témoin de l’histoire, de la culture, de l’histoire de l’art, comme elle le fait, en est une condition préalable. „C’est la deuxième fois que je travaille sur le canon visuel judéo-chrétien“, explique l’illustratrice. La première fois, elle avait fait réaliser des vitraux par l’artiste bruxelloise Elora de Pape. C’était à l’automne 2020, pour habiller la „Cecil’s Box“ à Luxembourg, une vitrine d’exposition accolée au Cercle Cité. L’œuvre, baptisée „Pillars of the Earth“, se voulait une réflexion sur le pouvoir et l’éthique. Les passants de la bien nommée rue du Curé pouvaient y scruter quatre saints comme autant de métaphores de la politique, l’économie, l’environnement et la société. 

C’est dans un esprit similaire que Julie Wagener a travaillé à Lasauvage. Elle a voulu concilier le passé cultuel de l’endroit et un discours contemporain pour aborder des sujets qu’elle juge plus actuels que celui de la religion en lui-même. Elle s’est demandée ce qui avait remplacé l’institution religieuse qui perd en importance dans la vie des gens. Elle a identifié le système économique et son dogme, le capitalisme. „Ce dogme, on ne le remet pas en question, par tradition, par défaut et par peur, du fait que l’être humain aspire à une certaine sécurité dans sa vie“, commente-t-elle. „Toute notre vie tourne autour et si on essaie d’en sortir, on risque de se perdre et de se retrouver tout seul, sans moyens d’exister.“

Julie Wagener a décidé de développer sa pensée sur ce qui s’apparente à un retable. Sur la partie centrale, elle a reproduit une série de propositions qui rappellent les thèses que Martin Luther avait affichées à la fin d’un autre mois d’octobre (1517 celui-là), à 500 kilomètres de là, sur la porte de l’église de Wittemberg. Elle voit dans cet acte le symbole d’une „réforme d’un système qu’on croyait inchangeable“. Plutôt que les 95 thèses protestantes, elle en affiche 16, qu’elle a sélectionnées parmi les 27 principes pour une société morale et juste énoncés par les intellectuels internationaux – dont Noam Chomsky et Joseph Stiglitz –qui ont participé au documentaire „The Four Horsemen“ en 2012. 

On peut ainsi y lire des propositions que n’aurait pas reniées le mouvement socialiste naissant à l’époque où fut érigée l’église, en 1894, à l’attention des ouvriers mineurs par le maître de forges De Saintignon. C’est le cas de la suivante: „Les revenus encaissés par une entreprise devraient être divisés entre ceux qui fournissent la terre, le travail et le capital, proportionnellement à la valeur de la contribution de chacun.“ Quatre allégories encadrent ces propositions. Elles reprennent les quatre cavaliers de l’Apocalyse décrits dans le documentaire:  la pollution environnementale par l’industrie, le système économique et financier, l’inégale distribution des richesses et le néo-colonialisme. 

Le diable à l’autel

Alain Welter avait déjà vu une de ses œuvres être exposée dans une église. Mais c’est la première fois qu’il en a réalisé, pensée, spécialement pour un lieu de culte. Là, il ne s’agissait pas de peindre les murs comme il a l’habitude de le faire, ni même d’y accrocher quoique ce soit – c’est interdit. Il a donc monté une installation répondant à son questionnement: qu’est-ce qui remplace Dieu quand il quitte la maison? Il a décidé d’y faire entrer le diable, sous la forme d’un de ses animaux fétiches, la souris. Autour, en arc de cercle, il a reproduit les lettres de son blaze, MOPE, semblables à des pierres tombales. Et sur celle du milieu, il a décidé, au dernier moment, d’ajouter un sarcasme dont il a le secret, en cette période postélectorale: „Luc Rou a Frieden“.  

Alain Welter voit une continuité dans la fonction des églises avant et après la désacralisation. Elles restent des lieux de rencontre, observe-t-il. Toutefois, les débats qu’on y mène désormais sont inédits en pareil lieu. Il n’y a qu’à considérer l’œuvre la plus provocante, celle de Laskar, qui, en un collage rassemblant des images d’anciens magazines pornographiques, rappelle les scandales que traîne l’église en la matière. Spike a pour sa part construit un monument occulte, tandis que Joël Rollinger se manifeste par plusieurs œuvres. Le street artiste de formation a suspendu un fusil au-dessus de la porte – de type AR-15, l’arme la plus vendue aux Etats-Unis –, pour rappeler qu’il concurrence dans les foyers américains le crucifix qu’on pend de la même manière pour protéger la maison. Il a aussi réalisé plusieurs installations en bois, qui évoquent notamment les renversements de statue et le recul de la religiosité. La croix tombée au sol qu’il a créée y restera jusqu’à la fin de l’exposition, le 19 novembre. Ce qui aurait été sacrilège hier est un sujet de réflexion aujourd’hui.

Infos

L’expositon „No Church in the Wild“ se tient jusqu’au 19 novembre à l’église Sainte-Barbe au 1, rue de la Crosnière à Lasauvage. On peut y accéder du vendredi au dimanche de 15 h à 19 h et sur rendez-vous.

Alain Welter voulait depuis longtemps créer une œuvre dans une église
Alain Welter voulait depuis longtemps créer une œuvre dans une église Photo: Editpress/Julien Garroy

Maurice
29. Oktober 2023 - 9.10

Très joli et à recommander. "Après nous les mouches".