Donnerstag30. Oktober 2025

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Fuir du conflitEn Ukraine, les trains ont sauvé des millions de personnes

Fuir du conflit / En Ukraine, les trains ont sauvé des millions de personnes
Un train de nuit en provenance de Kostjantynivka, la dernière gare contrôlée par l’'UZ dans l’Oblast de Donetsk, approche sa destination finale, Ivano-Frankivsk, novembre 2021 Photo: Marco Carlone

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Face à l’agression russe, les cheminots se sont immédiatement mobilisés pour apporter de l’aide aux civils ukrainiens. Dès les premiers jours du conflit, des trains d’évacuation et des „ponts ferroviaires“ pour transporter les produits de premiers secours ont été mis en place. Les chemins de fer polonais et roumain ont même rouvert d’anciennes voies désaffectées pour permettre aux réfugiés fuyant vers l’Europe plus de points de transit. Mais avec le blocus des ports de la mer Noire, le chemin de fer pourrait aussi devenir un axe vital pour l’exportation de marchandises de l’Ukraine vers le reste de l’Europe.

„Avant 14.00 heures, nous enverrons un train d’évacuation à Zaporizzja. Vous pouvez vous rendre à la gare, la situation est sous contrôle. Pour connaître la destination du train, veuillez demander au contrôleur. Veuillez ne pas prendre de photos et ne pas publier votre géolocalisation pendant la circulation du train.“

C’est ainsi que les chemins de fer ukrainiens UZ annoncent, sur Telegram, l’un des premiers trains spéciaux destinés à évacuer les villes sous attaque. C’était le 24 février 2022, premier jour de l’invasion russe. Ces communications, aux tons délibérément vagues pour ne pas permettre l’identification des convois, ont été répétées plusieurs fois au cours des jours suivants.

Jusqu’alors, l’UZ publiait sur sa chaîne Telegram une paire de messages par jour, consultés par un maximum de 8.000 personnes. Mais depuis que les chemins de fer sont devenus un moyen de fuite essentiel pour les réfugiés, les posts quotidiens concernant les convois d’évacuation ont atteint, dans certains cas, près d’un million de vues.

Un train de nuit à destination de Kostjantynivka est sur le point de partir de la gare de Lviv. A son bord, principalement des soldats qui se dirigent vers la région du Donbass. Novembre 2021.
Un train de nuit à destination de Kostjantynivka est sur le point de partir de la gare de Lviv. A son bord, principalement des soldats qui se dirigent vers la région du Donbass. Novembre 2021. Photo: Marco Carlone

Selon les données de la compagnie ferroviaire nationale, du début du conflit au 29 mars les trains ont transporté plus de 3 millions de personnes vers l’ouest de l’Ukraine, 448.000 vers l’étranger. Le président de l’UZ Alexander Kamyshina affirme que plus de 7.000 tonnes d’aide humanitaire ont été transportées par les trains voyageurs, et que plus de 1.400 wagons d’aide ont circulé au cours du premier mois de guerre.

Face à cette crise humanitaire, de nombreuses sociétés ferroviaires de l’UE ont réagi rapidement pour apporter leur aide, la plupart en permettant aux réfugiés de voyager gratuitement sur leur réseau. La compagnie allemande Deutsche Bahn a lancé un „pont ferroviaire“ pour transporter les biens de secours, tandis que son homologue autrichienne Österreichische Bundesbahnen a assuré la circulation de rames spéciales entre la Pologne et Vienne. Mais il y a aussi ceux – comme les compagnies roumaine et polonaise – qui ont décidé de remettre en service deux lignes transfrontalières abandonnées depuis des années, afin de faire face à l’exode massif de réfugiés.

Alors que les médias du monde entier montraient la gare de Przemysl – première arrêt polonais pour les trains en provenance de Lviv – complètement saturée, dans un village appelé Kroscienko, 50 km plus au sud, on travaillait à la réouverture d’une ancienne route internationale fermée depuis 12 ans. En quatre jours seulement, les chemins de fer polonais PKP ont récupéré les voies jusqu’à la frontière, pour mettre en place une série de trains au service des réfugiés. Mais en dépit – ou peut-être à cause – de cette intervention éclaire, la première rame chargée de réfugiés est déraillé à quelques kilomètres de son départ. Depuis ce moment-là, la situation sur la ligne est au point mort.

Un train local à Rozdilna, dans l’Oblast d’Odessa, mai 2017
Un train local à Rozdilna, dans l’Oblast d’Odessa, mai 2017 Foto: Marco Carlone

Même la gare de Falciu, un petit village roumain à la frontière avec la Moldavie, ne voyait plus aucun train depuis des années. La société nationale roumaine CFR a ainsi décidé de la débarrasser des ronces afin d’ouvrir une autre voie d’accès aux Ukrainiens transitant par la Moldavie pour se rendre dans l’Union européenne. L’opération a été annoncée par le ministre des Transports, Sorin Grindeanu, qui a publié sur Facebook des photos du premier convoi arrivé en Roumanie le 17 mars. Le maire de Falciu, Neculai Morau, espère maintenant que la ligne puisse rester en service, même après la crise, pour les habitants.

Mais les corridors ferroviaires vers les pays de l’UE pourraient devenir fondamentaux même dans l’exportation de produits agroalimentaires comme le blé, dont l’Ukraine était le huitième producteur mondial en 2020 (données Food and Agriculture Organization, ONU). Avec le blocus actuel des ports de la mer Noire – par lesquels près de 95% de la production agricole était normalement expédiée à l’étranger – l’UZ a immédiatement pris des mesures pour détourner au moins une petite partie du trafic alimentaire vers le rail, à travers les frontières existantes avec la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. Dans une déclaration du 12 mars, les autorités de l’UZ ont annoncé que des équipes d’inspecteurs ont été envoyées aux postes frontaliers du réseau. Leur mission est de trouver un moyen pour au moins doubler la capacité des transits vers les pays étrangers. Ce n’est pas une tâche facile, principalement pour des raisons techniques: construit principalement à l’époque soviétique, le réseau ukrainien a un écartement (la distance entre les rails) différent de celui utilisé dans la plupart des pays d’Europe centrale et occidentale. Par conséquent, à présent presque tous les passages frontaliers exigent le transfert des marchandises et des personnes dans des wagons qui peuvent circuler sur les voies respectives.

Le scénario est totalement inverse sur les fronts russe et biélorusse, avec lesquels les connexions – théoriquement possibles grâce à l’écartement commun – ont été interrompues ou sabotées. Même la ligne directe vers la République séparatiste moldave de Pridnestrovie, qui abrite des contingents militaires russes, a été dynamitée par les troupes ukrainiennes par crainte d’une invasion ferroviaire.

Des appels pour arrêter les trains militaires en route vers le front ont également été lancés aux cheminots et aux citoyens au-delà de la frontière. Ces demandes d’aide ont été écoutées surtout au Bélarus: comme l’a rapporté sur Twitter l’ex-ministre de la Culture bélarussien Pavel Latushka, depuis le 26 février, il y a eu plusieurs actes de sabotage sur l’infrastructure, ce qui a poussé le président de l’UZ Kamyshina à remercier publiquement les „courageux citoyens bélarussiens d’avoir interrompu toutes les liaisons ferroviaires“ entre les deux pays. Dans le même temps, le gouvernement a entamé un processus de nationalisation des quelque 15.000 wagons de marchandises russes qui se trouvaient en Ukraine au moment de l’agression.

La longue vague de la guerre est enfin en train de se propager sur les voies d’autres pays qui ne sont pas directement impliqués dans le conflit. La Lettonie, par exemple, même après la dissolution de l’URSS, est restée un important axe ferroviaire entre les pays baltes et la Fédération de Russie. Récemment, cependant, le ministre des Transports, Talis Linkaits, a déclaré que les sanctions imposées à la Russie entraîneront une baisse du trafic de fret intérieur de 82 à 85%. Cette situation aura également un fort impact sur le port de Riga, où l’on estime que le travail diminuera de 45% par rapport aux niveaux d’avant-guerre.

L’auteur

Marco Carlone est un vidéo-reporter et journaliste indépendant italien. Après avoir obtenu un diplôme en Etudes internationales et en Communication publique et politique, il a travaillé pendant deux ans comme rédacteur d’un magazine de voyage. Actuellement, il collabore principalement avec la RSI – Radio et Télévision Suisse en réalisant des reportages vidéo et radio en Italie et dans les pays des Balkans et de l’Europe orientale. Il est en train de réaliser une mini-série de documentaires sur les chemins de fer d’Europe de l’Est pour la télévision franco-allemande Arte. Dans le domaine de la presse, il contribue régulièrement au mensuel italien La Nuova Ecologia. Il est passionné de trains depuis son enfance. Depuis 2012, il voyage et réalise des reportages sur les chemins de fer des Balkans et de l’ex-URSS. En 2022, il a publié le livre „Binario Est“, un recueil de dix années de reportages ferroviaires dans ces régions.

 Foto: Marco Carlone