Chanson française électroniqueL’art du contre-pied selon Flavien Berger: Contre-pop

Chanson française électronique / L’art du contre-pied selon Flavien Berger: Contre-pop
„Je viens plus d’une musique répétitive que des chansons de trois minutes trente“, explique Flavien Berger Photo: Quentin Lacombe

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Depuis „Glitter Gaze“ en 2014, Flavien Berger enrichit la liste des artistes pop français en B, de Bashung à Belin en passant par Burgalat, tout en se positionnant à côté. Avec une trilogie aussi labyrinthique qu’homogène („Léviathan“, „Contre-Temps“, „Dans Cent Ans“) et autant de contre-albums, Flavien a le chic de prendre sa musique – et l’auditorat – à contre-pied.

Après un „Contrebande 01“ en „Disque de Noël“, voici „Contrebande 02“ sous-titré „Disque de l’été“, logique pour une galette qui déboule en hiver. Au menu: des ballades insouciantes le long de la rivière à vélo en danseuse; un „Summer Jam“ qui sonne comme une démo inédite de Bruce Haack; un „Hawaï“ où l’on assiste à la métamorphose d’un Beach Boy gospel en Daft Punk; des skits qui captent des instants de vie „off“. Ce disque est aussi bien un laboratoire de création qu’une cour de recréation. Avant son concert ce jeudi à l’Atelier, Flavien Berger nous parle.

Tageblatt: Dans „Sapon“, vous chantez „je vais faire des savons“ et, en effet, vous en fabriquez pour les vendre pendant la tournée de Contrebande 02: c’est un hommage à Fight Club?

Flavien Berger: En assistant à des concerts, j’ai remarqué que les artistes faisaient du merchandising. Le merch, c’est quoi? Au-delà des disques, c’est la vente de tee-shirts ou de posters. Je me suis demandé alors: qu’est-ce qui est utile, qu’est-ce que je peux faire moi-même et qui serait en plus biodégradable? Le savon cochait toutes ces cases. Je me suis lancé là-dedans avec Alex, un copain qui en faisait déjà. Ça renvoie à „Fight Club“ mais Tyler Durden fabrique son produit avec de la graisse de liposuccion de riche. Moi non: c’est bon enfant et vegan. Aussi j’aime le principe de désacraliser le rôle du musicien, et là de l’imaginer dans un atelier en train de faire des savons. L’idée, c’est de ne le vendre qu’en merch, pendant les concerts: il y en aura donc à l’Atelier.

Vous parlez de trilogie au sujet de „Léviathan“, „Contre-Temps“ et „Dans Cent Ans“, là où les „Contrebandes“ s’apparenteraient presque à des mixtapes. Le concept-album donne un sens à l’écoute d’un disque de a à z: les liens entre vos différents projets donnent un sens à l’écoute de toute votre discographie.

C’est peut-être un défaut un peu scolaire, mais je veux placer ce que je fais dans la longueur, dans des séquences ou dans des cycles, voire des périodes. Les contre-albums, je les fais un an après les albums. Dans „Radio Contre-Temps“, je dis sur les morceaux ce que j’aimerais y mettre … alors qu’ils sont terminés. Une espèce de „work in progress“ infini. La mixtape se veut un objet libre de droit alors que moi, je suis inscrit dans l’histoire industrielle de la musique, via un label ou la promotion telle que nous la faisons là. Mais j’aime l’idée de créer une espèce de contre-forme à cette histoire à travers des objets un peu plus lâchés qui se dirigent vers un autre type d’expérimentation. Moins de concepts, plus de premier degré. Dans „Contrebande 02“, je parle de ce que j’aime faire, comme aller à la rivière ou manger des betteraves.

En plus de ces deux formats de disques, deux pôles se côtoient dans votre musique: la chanson pop française et, pour aller vite, l’expérimentation. D’un côté, vous êtes sur Pan European, label pointu et psyché, et de l’autre, vous chantez en duo avec Pomme sur cet album. On dirait que vous cherchez à apprivoiser l’auditeur pour après le sortir de son confort.

C’est très juste à cela près que c’est l’inverse. Je donne une forme pop à ma musique, qui ne s’y prête pas à la base; pour moi, c’est beaucoup moins naturel d’aller vers ce registre que de faire des tunnels métronomiques avec des montées. Je viens plus d’une musique répétitive que des chansons de trois minutes trente.

Vous êtes arrivé à un moment où il y a eu, après des années de chant en anglais, un grand retour de la pop en français, notamment avec les artistes du label Entreprise.

C’est fou. Je ne me sens pas de cette scène-là. Je suis inconfortable, c’est presque par accident que je fais de la pop; après, je ne vais pas faire la fine gueule, je passe sur France Inter. Mais c’est comme s’il y avait un malentendu. Il y a dix ans, je n’entendais pas beaucoup de morceaux chantés en français avec un ton indé; je ne dis pas qu’il y en a qui ont copié, je fais sans doute partie d’un zeitgeist. Mais je ne suis pas là pour représenter une quelconque pop francophone; j’en ai un peu rien à foutre.

Je me méfie de l’exotisme. Quand on est Français, blanc de surcroît, j’ai l’impression qu’on peut se permettre de tout prendre sans s’interroger sur la légitimité. Plus je vieillis, plus je me rends compte qu’il faut que je fasse attention à faire la musique qui me correspond.

Flavien Berger, auteur-compositeur-interprète

Là où vous amenez la pop française ailleurs, c’est aussi par une ouverture musicale sur le monde. Vous citez volontiers la pianiste éthiopienne Maryam Guèbrou ou le Japonais Haruomi Hosono; sur „Dans Cent Ans“, il y a un texte du poète chinois Tchouang-tseu; le clip de Brutalisme a été tourné à Acapulco …

Je me méfie de l’exotisme. Quand on est Français, blanc de surcroît, j’ai l’impression qu’on peut se permettre de tout prendre sans s’interroger sur la légitimité. Plus je vieillis, plus je me rends compte qu’il faut que je fasse attention à faire la musique qui me correspond, et non une musique qui serait de l’appropriation. Je n’aime pas trop les chanteurs français qui font des voyages dans le monde et qui en tirent des albums; Gainsbourg en Jamaïque, ça me gêne. Est-ce dans l’air du temps de se questionner sur les privilèges et les légitimités? Peut-être, mais, de la même façon, quand je vois des mecs qui font du rap parce que c’est le genre qui vend le plus, ça me dérange, sachant d’où vient ce genre et ce qu’il signifie pour la communauté qui l’a inventé.

Le rap est évoqué dans „Plongereuse“ à travers „la serviette Wu-Tang Clan“.

C’est une espèce d’artefact. Voilà un objet de merchandising qui a été dans le ressac de la vie des objets. Je ne sais pas si les serviettes Wu-Tang Clan existent, mais le fait est que le groupe a révolutionné le rap, la production. Et qu’est-ce qui reste d’un objet culturel une fois qu’il a été pressé jusqu’au noyau ? Les objets.

Vos textes mixent des phrases simples, parfois quasi enfantines, et d’autres plus abstraites ou absconses. Vous tendez vers un langage du rêve et de l’inconscient.

Je fais partie d’une frange irréaliste, pour pas dire surréaliste, la même que celle de Brigitte Fontaine et Areski. J’adore écouter de la musique que je ne comprends pas; parce que ça se passe ailleurs. Quand je perçois qu’il y a l’inconscient, de façon analytique dans le sens lacanien, je comprends qu’une couleur, un objet, une forme possèdent une signification, à une période de la vie, puis une autre plus tard. Sans faire de l’écriture automatique, je laisse une partie de non-maîtrise dans mes textes.

Pour „Soleille“, vous parliez d’images hypnagogiques.

C’est vrai. Et dans les „Contrebandes“, les thèmes ne se mélangent pas tant, là où dans les albums on peut extraire deux ou trois gros sujets: sur „Léviathan“, la fête foraine ou le voyage subaquatique; sur „Contre-Temps“, le voyage dans le temps et le souvenir; sur „Dans Cent Ans“, la mort, le diable, le rêve. Dans „Contrebande 02“, c’est plus direct: ça parle de l’été.

Vous avez évoqué la part méta de votre création avec le „work in progress infini“: dix ans après „Glitter Gaze“, que diriez-vous de Flavien Berger si vous étiez votre propre auditeur?

Je suis un peu dur avec moi, alors je dirais que ça a été une trilogie assez sage, qui a épousé son auditoire. Même si j’ai de longs morceaux qui intègrent des éléments bizarres, il y a des singles, pas pensés pour, mais il y en a. Le jeu de la pop a été respecté. Un morceau de vingt minutes comme „Gilded Glaze“, c’est intéressant, mais est-ce que ça tient la route? Je pense que j’ai appris à synthétiser. Ce que raconte cette trilogie, c’est que je prends un format et je le répète trois fois, en parvenant à dire plus de choses ou à les dire d’une façon différente. Il faut hautement que la musique se réinvente. Il faut que je trouve de nouvelles formes et astuces pour qu’on ne s’ennuie pas. Ça serait ça, le pire, je crois: qu’on s’ennuie en écoutant ma musique.

En concert à l’Atelier, jeudi 1er février à 20.00 h. Entrée: 30,70 euros.