ForumJacques Delors, Etoile polaire de l’Europe

Forum / Jacques Delors, Etoile polaire de l’Europe
 Photo: Ludovic Marin/AFP

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Je ne fus jamais un intime de Jacques Delors, homme réservé derrière sa carapace faite d’intelligence et de sensibilité sociale. Mais j’ai pu le côtoyer et donc l’apprécier à de multiples reprises.

Nous fîmes connaissance en 1978 avant les premières élections directes du Parlement européen. A l’époque existait une organisation commune des partis socialistes de la Communauté européenne. Comme secrétaire général du POSL j’assistai aux réunions de cette „Union“ pas trop unie. Les camarades du Labour Party brillèrent par leur absence, les deux sensibilités italiennes PSI et PSDI la plupart du temps également. Le noyau dur de l’organisation présidée par le Français Robert Pontillon était constitué autour de la SPD, des trois partis socialistes du Benelux et du parti socialiste irlandais.

Avec la perspective des premières élections directes des parlementaires européens, il fut décidé de présenter aux électeurs un programme socialiste commun. Un groupe de travail fut chargé d’élaborer un projet. Le parti socialiste français délégua Jacques Delors. Les Belges envoyèrent Karel van Miert, futur commissaire européen. Comme j’étais le seul à maîtriser le Français, l’Allemand et l’Anglais, je fus chargé d’élaborer une première ébauche. Qui, faut-il le souligner, bénéficiait surtout de l’apport des notes de travail pertinentes de Jacques Delors. Notre groupe se réunissait lors des réunions strasbourgeoises de l’Assemblée parlementaire européenne. Nous nous mîmes rapidement d’accord sur un projet ambitieux, salué comme contribution majeure pour la joute électorale à venir. Puis vint le congrès, préparé la veille par une réunion des chefs de partis. Qui trouvèrent le programme trop volumineux et décidèrent de nous limiter à un „appel aux électeurs“ d’une petite page. Qui lit un programme? Les „leaders“ ne l’avaient manifestement pas fait.

Le plus grand président de la Commission européenne

Les premières élections directes propulsèrent Jacques Delors comme député au Parlement. Il y présida l’importante Commission économique et monétaire. Avant d’être appelé par François Mitterrand comme ministre de l’Économie et des Finances dans les gouvernements de Pierre Mauroy.

1984 vit ma première élection à la Chambre des députés et mon entrée au gouvernement comme Secrétaire d’État de Jacques Poos aux Affaires étrangères et à l’Économie.

La Commission européenne de l’époque, présidée par l’infortuné Gaston Thorn, vivait ses dernières heures difficiles. Mitterrand avait obtenu qu’un Français préside la nouvelle Commission et proposa son ministre des Affaires étrangères, Claude Cheysson. „No“ déterminé de la Dame de Fer, Maggy Thatcher – qui accepta toutefois Jacques Delors, à ses yeux un obscur ancien fonctionnaire de la Banque de France.

Mal lui en prit. Jacques Delors s’imposa par la suite comme le plus grand, le plus fécond des présidents de la Commission européenne. Il marqua profondément l’Union européenne en devenir.

Comme le veut le traité, le président de la Commission européenne est assermenté devant la Cour de justice européenne à Luxembourg. Pour cette cérémonie Jacques Santer m’avait délégué pour y représenter le gouvernement grand-ducal. Ce qui me permit de vivre un grand moment. Delors prêta serment, puis s’adressa sans aucune note à la Cour, pour esquisser en dix minutes à des juges ébahis les impulsions qu’il entendait donner à l’Europe: le Grand marché intérieur, les quatre libertés fondamentales, le socle social commun, la nécessité d’une meilleure coordination monétaire. L’essentiel de l’action politique qu’il allait mener pendant dix ans à la tête de la Commission.

Pendant toutes ces années j’ai pu apprécier à de multiples reprises la sagace détermination du président Delors pour la mise en place d’un grand marché et surtout pour la création de l’euro. Si les chefs d’État et de gouvernement avaient suivi les propositions initiales du comité Delors pour ce qui allait devenir le traité de Maastricht, à savoir non seulement l’objectif de la stabilité monétaire, mais aussi la croissance économique et le progrès social, l’Europe se serait épargnée multes turbulences, notamment une rigueur aveugle aux problèmes sociaux des peuples européens.

Une de mes fiertés reste la dédicace que Jacques Delors m’a inscrit sur la page de garde de ses „Mémoires“: „A Robert Goebbels, en fraternel hommage à un Ministre-militant, qui poursuit sa mission avec bravoure et succès.“

De tous les hommes politiques français que j’eus la chance de côtoyer, Jacques Delors restera avec Michel Rocard, Pierre Bérégovoy et Lionel Jospin une de mes étoiles éternelles.