Cinéma „Augure“ de Baloji : voyage au bout du réalisme magique

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„Augure“ de Baloji Photo: Wrong men

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Kofi (Marc Zinga), un jeune Congolais vivant en Europe, retourne chez ses parents afin de présenter sa fiancée blanche (Lucie Debay) enceinte de jumeaux. Le jeune couple est très mal accueilli. Depuis son enfance, Kofi est exclu par sa famille en raison d’une tache de naissance perçue comme la marque du diable. Une trace indélébile, aux yeux de la communauté. Sa mère, Mujila (Yves-Marina Gnahoua), l’a définitivement qualifié de sorcier et l’a envoyé en Europe. Empli d’espoir pour les retrouvailles avec son pays d’origine, Kofi ignore qu’il est encore un étranger pour sa famille.

„Augure“ raconte l’histoire d’un homme et de femmes, chacune accusée de sorcellerie et ostracisée par leur communauté, qui luttent pour retrouver leur chemin et leur identité.  Primé au Festival de Cannes (Prix de la Nouvelle Voix, section „Un certain regard“), „Augure“ déroule un récit expérimental, surréaliste, parfois difficile à suivre. Baloji a construit une mosaïque de quatre personnages fascinants, magistralement interprétés. Du rap avec Starflam à la décoration, de la mode à la réalisation de courts métrages, Baloji affiche un parcours artistique éclectique. Rencontre avec le réalisateur belge dont „Augure“ est le premier long métrage*.

Tageblatt: Quel est le point de départ d’„Augure“?

Baloji: C’était une combinaison de choses. J’écris des scenarii depuis 2012. J’ai décidé de créer une sorte de forme hybride, quelque chose qui relierait la structure des films aux aspects musicaux, avec le travail que je faisais avec les costumes et la scénographie, combinant un peu de tout en attendant que l’industrie du cinéma me donne une chance. J’ai réalisé mon court métrage „Zombies“ (2018) pour pouvoir essayer de construire ma propre façon de m’exprimer jusqu’à ce que quelqu’un le remarque. „Zombies“ a remporté des prix et les gens ont commencé à y prêter attention. L’idée d’„Augure“ est aussi venue à la mort de mon père, en 2019. Les pleureuses sont arrivées en nombre dans le salon familial. Cette scène a été un déclic. En fait, j’ai écrit le scénario en six semaines, entre décembre 2019 et janvier 2020, après le décès de mon père. Cette fois, nous avons eu l’argent et nous avons fait le film!

La magie et la sorcellerie sont au centre de l’histoire. Sont-elles vos obsessions?

En effet. Je suis obsédé par la façon dont les gens peuvent être assignés à une identité à la naissance, être mis dans une certaine catégorie et la manière dont la société attribue des étiquettes. Mon nom, Baloji, signifie „homme de science“ en swahili, soit 200 ans de connaissances occultes. Lorsque le christianisme et les colonisateurs sont arrivés, ils ont donné à la science locale des connotations négatives, la faisant ressembler à de la magie noire. A ma naissance, je me suis vu attribuer une étiquette, difficile à vivre. Baloji est chargé de sens. Comme si, en Europe, on s’appelait démon, Belzébuth … Je suis empreint de ça. Du coup, c’est intéressant de développer comment un nom peut assigner à certains comportements. L’assignation à la sorcellerie est quelque chose que je connais dans ma chair. Au Congo, je resterai toujours sorcier. Ici, c’est un nom chantant. Toutes ces choses, la tradition, la langue, la religion, l’histoire et la manière dont tout cela s’articule dans l’identité personnelle, constituent le cœur d’„Augure“.

Quel(s) sens donnez-vous au mot „assignation“? 

Je vois, d’une part, l’assignation à la sorcellerie et, de l’autre, l’assignation dont sont victimes les femmes dans la société, que ce soit en Afrique ou ici. En Europe, on demande à une femme pourquoi elle n’a pas d’enfant … Les angoisses sociétales sont communes, à New York ou dans cette ville en Afrique qui n’est pas définie dans le film. La maman de Kofi arrive à un âge où elle a un superpouvoir de sorcière parce qu’elle est invisibilisée par la société. La sœur de Kofi qui a 35 ans, est aussi perçue comme une sorcière.

Kofi et Alice forment un couple mixte, porteur d’espoir …

Oui, mais Kofi a peur d’être ramené à sa condition, à son assignation d’enfant sorcier. Le moindre faux geste ou faux pas pourrait amener à une interprétation qui ne serait pas cohérente. Alice et Kofi ont une relation très fusionnelle. Ils forment un monstre bicéphale, une bête à deux têtes. L’un complète l’autre.

Comment voyez-vous la cohabitation des croyances africaines et du christianisme?

Les deux se répondent, en fait. Il y a une croyance imposée et une autre à laquelle on souscrit naturellement parce qu’elle fait partie du quotidien. Les gens sont consciemment animistes et, après, deviennent d’obédience catholique, protestante ou musulmane. Mais cette essence animiste reste présente. J’ai grandi à Liège. La ville et ses alentours sont aussi associés à la magie noire, aux sabbats, et aux pactes avec le diable. Aujourd’hui, les macrales font partie du patrimoine culturel wallon et sont célébrées lors de différentes fêtes. J’ai essayé d’écrire des ponts entre l’animisme africain et européen.

Il y a une croyance imposée et une autre à laquelle on souscrit naturellement parce qu’elle fait partie du quotidien. Les gens sont consciemment animistes et, après, deviennent d’obédience catholique, protestante ou musulmane.

Baloji, réalisateur

Etait-ce un plus grand défi que de faire un film? Comment le travail d’un cinéaste se compare-t-il à celui d’un auteur-compositeur et producteur de musique?

Je suis musicien parmi des tas d’autres choses. Je crée des costumes, des bijoux. Je fais de la déco. J’aime la poésie, le rapport à l’écriture est ma première passion. Ecrire un scénario est l’extension de ce que j’ai toujours fait, depuis gamin. La pratique du cinéma me permet d’associer toutes les disciplines que j’aime, l’écriture, les costumes, jouer … Le cinéma est un travail très collaboratif. Travailler sur un film est un plaisir constant. Mais cela prend beaucoup de temps. Dans l’attente d’avoir un financement, j’ai écrit une BO composée de quatre albums, chacun raconté du point de chaque personnage, avec pour toile de fond sa propre musique et son identité personnelle. C’était un super outil. Je pense avoir donné aux acteurs toute l’énergie pour comprendre le point de vue de l’autre.

Un des personnages dit: „On ne hausse pas le ton avec les parents.“

Les rapports entre parents et enfants en Afrique sont différents de ce qu’on vit ici. Totalement. C’est aussi une des raisons qui a rendu le film difficile parce que, dans le regard européen, Kofi doit se rebeller, crier, tout casser. En fait non. Et cela crée une tension. Malheureusement, on est dans une société qui pense que la réalité de l’Europe est celle du monde. Ce n’est pas du tout le cas.

* „Augure“ représentera la Belgique aux Oscars.

A voir

Le film „Augure“ de Baloji. Avec: Marc Zinga, Lucie Debay, Eliane Umuhire, Yves-Marina Gnahoua, Marcel Otete Kabeya. En salles aujourd’hui.
„Baloji Augurism“, exposition à la galerie du MoMu à Anvers, jusqu’au 16 juin 2024.

Baloji en 2019<br />
Baloji en 2019