Sonntag26. Oktober 2025

Demaart De Maart

L’histoire du temps présentLe chacal

L’histoire du temps présent / Le chacal
 Photo: Fortepan/Konok Tamás id

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André Folmer était un salaud – lui-même en aurait probablement convenu. Mais il a peut-être été le plus grand des salauds que ce pays ait connu, remportant, qui plus est, ce titre à une époque où la concurrence était particulièrement féroce. Agent double, triple, voire quadruple, il a traversé la Deuxième Guerre mondiale en trahissant et en s’enrichissant. A la fin d’une existence riche en rebondissements et en péripéties, ce grand prédateur s’est finalement même accordé le luxe de mourir dans son propre lit.

André Folmer naît en 1902 dans une famille aisée. Son père avait été conservateur du château de Vianden, avant de se reconvertir dans le négoce du vin. A l’âge de 17 ans, le jeune André s’émancipe de ce milieu bourgeois et part vivre en Belgique, où il finit par s’engager dans l’armée. Il termine sa carrière militaire au Congo. A son retour en Europe, en 1932, désormais trentenaire, il renoue contact avec un vieil ami d’enfance, Dante V., un fils de famille en mal d’émotions fortes et d’argent comme lui. Tous deux se lancent dans le trafic de devises entre la Belgique et l’Allemagne, mais cela tourne mal pour Folmer. Arrêté par la police allemande, il est enfermé pendant plusieurs mois dans une prison de Cologne avant d’être expulsé en Belgique – ce qui peut sembler ironique lorsqu’on connaît la suite de l’histoire1.

Recruté par l’Abwehr

En 1939, alors qu’une nouvelle guerre en Europe semble imminente, Dante V. propose une opportunité d’un genre nouveau à son complice. V. qui a été approché quelques temps auparavant par le capitaine Reile, chef du bureau de l’Abwehr à Trèves, travaille désormais pour ce service de renseignement de la Wehrmacht. Il se garde portant de l’avouer à Folmer, à qui il raconte tout d’abord qu’il espionne pour la France. Mais Folmer n’est pas dupe et à force de demander des précisions à V., ce dernier finit par lui révéler la vérité et le présenter à Reile. C’est ainsi que Folmer devient un V-Mann, un collaborateur régulier de l’Abwehr, sous le nom de code „Pat“ et le matricule F 71012.

Folmer et V. rendent des services utiles à leurs employeurs allemands pendant la drôle de guerre et la campagne éclair à l’Ouest. C’est cependant pendant l’occupation qu’ils révèlent toute l’étendue de leurs talents. Reile, qui obtient un poste important dans le Paris occupé veut monter un bureau d’achat, c’est-à-dire une société écran chargée d’acheter sur le marché noir en France les produits et les matières premières indispensables à l’effort de guerre allemand.

Il s’agit d’une forme à peine déguisée de pillage, d’autant que les achats sont payés avec une partie des sommes astronomiques que les Français reversent aux Allemands au titre de frais d’occupation. Pour mener à bien ce type d’opérations, Reile pense immédiatement à ses deux agents luxembourgeois qui semblent avoir toutes les qualités requises: ils sont polyglottes, ont le sens des affaires et sont totalement dénués de scrupules.

L’affaire Porto

Folmer et V. s’acquittent parfaitement de leur mission, amassant au passage une petite fortune. Leur activité et celle des 300 à 400 agents qui travaillaient au service de leur organisation n’est toutefois pas uniquement commerciale. Ils sont aussi chargés de recueillir des informations sur la résistance française et d’infiltrer ses organisations. André Folmer est très impliqué dans cette lutte contre les ennemis du Troisième Reich. En octobre 1941, il réalise l’un de ses plus grands coups.

Quelques mois auparavant, se présentant comme un envoyé de l’Intelligence Service britannique, il avait réussi à pénétrer les réseaux Hector et Saint-Jacques. Créées en septembre 1940, ces deux organisations s’étaient d’abord chargées de collecter des renseignements sur les forces d’occupation allemandes en France et de faire passer des résistants ou des aviateurs alliés en Zone libre. Tout change après l’invasion allemande de l’URSS. Refusant de laisser le monopole de la lutte armée aux communistes, les réseaux Hector et Saint-Jacques décident de passer à l’action. Évidemment, rien de tout cela n’échappe à Folmer. Le reste de l’histoire est racontée dans l’article qui lui est dédié dans le Dictionnaire des agents doubles dans la Résistance:

„L’amiral Canaris, chef du contre-espionnage allemand, vient à Paris en tournée d’inspection, il craint que les attentats ne soient l’œuvre de groupes contrôlés par l’Abwehr et décide de déclencher un vaste coup de filet. Le colonel Rudolf, chef de l’Abwehr à Paris, donne l’ordre d’arrêter tous les suspects contre lesquels on a pu réunir des preuves. Il y aura neuf cent soixante-deux arrestations en ZO et en Belgique, qui commencent le 9.10.1941. De nombreux rescapés passent en ZNO, parmi lesquels l’Abwehr infiltre des VM qui vont porter le poison de la trahison dans le corps sain de la Résistance de cette zone3.“

Au secret à Mondorf

Au printemps 1942, Dante V. est écarté par les Allemands. En plus du commerce à leur service, il n’avait pu s’empêcher de se livrer à un trafic de produits de luxe français en direction du Reich. Folmer devient alors l’unique chef de l’organisation qu’il avait jusque-là dirigée avec son vieux complice. En août 1944, alors que les troupes alliées s’approchent de Paris, lui et ses hommes se replient aux Pays-Bas, puis en Allemagne, où Folmer est finalement arrêté par les Américains.

A ce moment, tout semble fini pour lui. Il va être livré à la justice, notamment celle de son pays, qui le réclame, il sera jugé et ses crimes seront exposés. Or rien de tout cela n’arrive. Plutôt que de sortir de l’équivoque, il va s’y enfoncer encore plus profondément. Les Américains ont en effet besoin de lui. Ils l’envoient à Mondorf, où ils ont transformé le Palace Hotel en camp pour prisonniers de guerre VIP.

Certaines des plus importantes personnalités du Reich sur lequel les Alliés ont pu mettre la main y sont enfermés, en attendant leur procès à Nuremberg: Hermann Göring, Joachim von Ribbentropp, Karl Dönitz, Alfred Jodl, Wilhelm Keitel. Par rapport à eux, Folmer n’est qu’un petit poisson et pourtant un traitement très spécial lui est réservé. Il prend ses repas seul, fait seul sa promenade. Lorsqu’il passe dans les couloirs, les autres prisonniers doivent se retourner et braquer leur regard sur le mur. Sa présence dans le Grand-Duché doit rester secrète.

Un si charmant gibier de potence

Les Américains ne veulent pas que les autorités – ou du moins l’opinion publique – luxembourgeoises n’apprennent qu’ils détiennent Folmer, parce que celui-ci est recherché par la justice de son pays natal. Ils ne veulent pas non plus que les autres prisonniers soient mis au courant, parce que l’ancien maître-espion du Reich en France occupée collabore désormais avec eux. Il leur livre ses anciens patrons et même ses propres agents avec la même évidence qu’il avait traqué Juifs et résistants pour le compte des Allemands.

La seule personne qui témoignera de sa présence à Mondorf est Walter Hasenclever. Ce Juif allemand, qui avait réussi à émigrer aux Etats-Unis, y travaille comme interprète pour l’armée américaine. Cela lui permet de s’entretenir à plusieurs reprises avec Folmer, pour lequel il a une certaine admiration comme en témoigne le portrait qu’il dressera de lui trois décennies plus tard:

„Unser Informant war eine imponierende Erscheinung, groß, schlank, wortgewandt, manierlich, interessant. Gewiß hatte er die Züge eines Galgenvogels, aber doch nicht so sehr, dass er damit in einer Versammlung von internationalen Industriemagnaten aufgefallen wäre4.“

Fin de partie

Tous les Américains ne tombent cependant pas sous le charme du mouchard. Dès qu’il a cessé d’être utile pour eux, ils le livrent à la justice belge, qui le condamne à mort le 5 décembre 1947. Mais une fois encore, ce chat à neuf vies échappe au poteau. En août 1948 sa peine est commuée en prison à vie5. Entre-temps, les choses changent vite dehors. Occidentaux et Soviétiques, alliés tant qu’il fallait abattre l’Allemagne nazie, sont de plus en plus ouvertement brouillés. Leurs positions irréconciliables mènent à la division de l’Allemagne en deux états.

Celui de l’Ouest se dote en 1955 de sa propre armée, la Bundeswehr. Elle est truffée d’anciens officiers du Troisième Reich, dont certains sont de très bons amis de Folmer. En 1958, ils obtiennent enfin sa libération. Le 9 mai, la Belgique l’expulse en RFA. Il s’installe dans les environs de Garmisch-Partenkirchen, en Bavière6. Contrairement à son ami Dante V., abattu en France dans des circonstances obscures au lendemain de la libération; contrairement aussi à ses centaines de victimes, dont les existences ont été sacrifiées au nom de son insatiable appétit de pouvoir, d’argent et d’aventures. Folmer termine sa vie paisiblement – et vraisemblablement la conscience tranquille. Du moins si l’on en croit Hasenclever, qui pensait avoir percé à jour le personnage:

„Er hatte nicht geweint. Er hatte kein Gefühl der Schuld. Er bedauerte nichts. Er war kein tragischer Bösewicht, weil er den Gewissenskonflikt nicht kannte. Er war nicht ohne Empfindung, aber der Begriff der Moral war ihm fremd. Er war, soweit ich das feststellen konnte, weder hämisch noch rachsüchtig. […] Aber er kannte nur die Nummer eins: sich selbst. Und er war sicher, dass es sich um ihn lohnte7.“


1 Albert SCHAACK/ Etienne VERHOEYEN, „L’espionnage allemand au Luxembourg avant la Deuxième Guerre mondiale“, in: Hémecht 64/3 (2012), p. 84.

2 Ibidem.

3 Patrice MIANNAY, Dictionnaire des agents doubles dans la Résistance, Paris, 2005, pp. 127-128.

4 Les extraits des mémoires de Hasenclever consacrés à Folmer ont été publiés sous le titre „Eine Type in Zivil“ (sic.), en page 9 de l’hebdomadaire D’Lëtzebuerger Land du 6 février 1976.

5 Paul CERF, „Les Luxembourgeois de Belgique pendant la Deuxième Guerre mondiale“, in : D’Lëtzebuerger Land, 12.6.1976, pp. 8-9, ici p. 9.

6 Günter ALEXANDER, So ging Deutschland in die Falle. Anatomie einer Geheimdienst-Operation, Düsseldorf, 1976, pp. 229-230.

7 D’Lëtzebuerger Land, 6.2.1972, op.cit.

Robert Hottua
26. April 2022 - 7.37

Guten Tag Herr Artuso,
die von Ihnen beschriebene schakalhaft-oppurtunistische Mentalität von Herrn FOLMER ist bei allen nationalistisch denkenden und handelnden Menschen anzutreffen. Das gilt aber auch für alle anderen wirklichkeitsbeschönigenden Nachkriegserzählungen. Das von Ihnen erwähnte Syndrom des "silence ahurissant" im luxemburger Rechtsstaat muß von einer internationalen "Wahrheits- und Versöhnungskommission" untersucht werden.
MfG
Robert Hottua