Sonntag26. Oktober 2025

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Coup d’Etat au BurkinaRoch Kaboré, chronique d’une fin annoncée

Coup d’Etat au Burkina / Roch Kaboré, chronique d’une fin annoncée
Au Burkina Faso, le mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration est désormais aux commandes, avec à sa tête le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba Photo: AFP/Radiodiffusion Télévision du Burkina

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Le président du Burkina Faso Roch Kaboré a été destitué le 24 janvier dernier par son armée, 13 mois seulement après sa réélection pour un second mandat. La crise sécuritaire que le pays connait depuis 2015 a eu raison de lui, mais pas seulement. Roch Kaboré a accumulé des erreurs de gouvernance qu’il a dû payer de son fauteuil.

Dès son élection à la tête du pays en 2015, alors que le pays avait déjà connu des attaques terroristes, le président de la Transition Michel Kafando avait prévenu Roch Kaboré lors de la passation de charges de la „situation d’incertitude“ que vivait le pays, en l’appelant à être „toujours vigilant“. Cela n’a pas empêché la capitale Ouagadougou de recevoir la visite meurtrière des assaillants de l’hôtel Splendide et du Café Capuccino. 30 morts.

Ce n’est que le début d’une longue liste d’attaques violentes contre les populations civiles et les symboles de l’Etat. En janvier 2022, le ministère en charge de l’action humanitaire dénombrait plus d’un million et demi de déplacés internes qui ont fui les atrocités des hommes armés. Plus de 2.500 personnes ont été tuées depuis 2015, dont plus de 160 civils dans l’attaque de Solhan, à l’extrême Nord du pays, dans la nuit du 5 au 6 juin 2021.

Sur cette photo d’archives prise le 13 septembre 2019, le président malien Ibrahim Boubacar Keita (d.) est accueilli par son homologue burkinabé Roch Marc Christian Kaboré à son arrivée à l’aéroport de Ouagadougou – tous les deux ont été renversés par des coups d’Etat
Sur cette photo d’archives prise le 13 septembre 2019, le président malien Ibrahim Boubacar Keita (d.) est accueilli par son homologue burkinabé Roch Marc Christian Kaboré à son arrivée à l’aéroport de Ouagadougou – tous les deux ont été renversés par des coups d’Etat Photo: AFP/Issouf Sanogo

Le souvenir de l’attaque du détachement militaire d’Inata, dans le nord sahélien du pays, hante encore de nombreux militaires et civils. Des soldats qui avaient lancé plusieurs SOS pour manque de vivres et de médicaments, et qui attendaient d’être remplacés, ont été surpris au petit matin du 14 novembre 2021 par des insurgés terroristes qui ont fait au moins 57 morts. C’est l’attaque la plus meurtrière de l’histoire de l’armée burkinabè, et la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La colère qui était jusque-là étouffée commence à gronder dans les rangs.

 Carte: Tageblatt/Virginie Alonzi

Depuis son arrivée au pouvoir, Roch Kaboré a juré de ne nommer aucun militaire dans son gouvernement, sans doute à cause des intrusions répétitives des hommes en treillis dans la vie politique, avec souvent des conséquences fâcheuses. Cette posture s’expliquait aussi par le fait que le pays venait de sortir d’une transition au cours de laquelle une tentative de putsch contre les autorités intérimaires avait été mise en échec par les populations. Il fallait donner un signal fort.

Pas de militaire dans le gouvernement

Malheureusement, les trois ministres civils qui se sont succédé à la Défense, y compris le président lui-même, n’ont pas obtenu de résultats probants. Au contraire, la menace a continué à prendre du terrain. Les appels à faire confiance aux militaires se multiplient, et Kaboré finit par céder. Barthélémy Simporé fait son entrée comme ministre délégué auprès du président du Faso chargé de la défense nationale, avant d’être promu ministre à la suite d’Inata. Le problème est qu’à chaque fois ces décisions sont prises sous la pression de la rue ou de l’opposition qui menace de marcher.

La corruption endémique

Il en est de même pour le limogeage de certains collaborateurs du président, soupçonnés de crimes économiques commis alors qu’ils sont en fonction. C’est le cas du ministre des Mines Oumarou Idani soupçonné d’être trempé dans une affaire de fraude minière portant sur plusieurs centaines de millions de francs CFA. L’affaire a éclaté fin 2018, mais malgré les appels des organisations de lutte contre la corruption et de l’opposition, le ministre est resté en poste jusqu’en janvier 2020.

Portrait en bref du „pays des hommes intègres“

Le Burkina Faso, pays en Afrique de l’Ouest avec environs 20 millions d’habitants, se caractérise par une grande tolérance ethnique et religieuse, plus de 60 groupes ethniques y cohabitent en grande partie pacifiquement. Le nom du pays l’exprime également: les termes „Burkina“ et „Faso“ proviennent des deux
principales langues nationales et signifient ensemble „pays des hommes intègres“.
Depuis le début des années 1990, le Burkina Faso s’efforce progressivement de devenir plus démocratique. Mais une nette détérioration de la situation sécuritaire freine depuis un certain temps le développement politique, économique et social. Dans une grande partie du pays, notamment dans le nord et l’est, des groupes islamistes commettent régulièrement des attaques terroristes qui menacent la stabilité politique et la paix sociale.
La forte croissance de la population constitue un autre défi majeur pour le Burkina. Elle complique les efforts politiques visant à réduire la pauvreté, à créer suffisamment d’emplois, à assurer la sécurité alimentaire et à fournir à tous les habitants de l’eau et de l’énergie, des services de santé et des établissements d’enseignement. Le Burkina Faso, comme ses pays voisins Niger et Mali, compte parmi les pays les plus pauvres du monde.

Comme lui, d’autres collaborateurs directs à l’image des ministres Eric Bougouma des Infrastructures, Jean-Claude Bouda de la Défense, ou encore le directeur de cabinet Seydou Zagré, le conseiller spécial Adama Kanazoé ont fait l’objet de soupçons relayés par la presse, sans être inquiétés. Tous ces exemples faisaient dire à nombre d’analystes que le président du Faso se faisait mal entourer. Pourtant, dans ses deux discours d’investiture (2015 et 2020), Roch Kaboré a promis de faire de la transparence dans la gestion des affaires publiques une priorité.

Le changement de paradigme annoncé trop tard

Alors que les populations sont excédées par les attaques quasi quotidiennes et que l’armée bouillonne de colère, Roch Kaboré avait décidé d’opérer un „changement de paradigme“. Dans une adresse à la nation tard dans la nuit du 25 novembre 2021, le président du Faso annonce plus de fermeté dans la gestion des affaires publiques, notamment de la crise sécuritaire, une opération mains propres, un rapport pour situer les responsabilités sur les défaillances constatées lors de l’attaque d’Inata, des réaménagements à la tête des armées et un gouvernement resserré et de combat.

Petit à petit, Roch Kaboré a réuni les ingrédients de la sauce à laquelle il allait être mangé

Le 1er rapport d’Inata est d’abord rejeté parce qu’il ne situerait pas suffisamment les responsabilités. Le chef suprême des armées réserve au second une suite judiciaire. Il nomme de jeunes officiers à la tête des différents corps. Parmi eux, le chef de la 3e région militaire Paul Henri Damiba, 41 ans, réputé engagé et intransigeant. Il met également en place un gouvernement réduit et fait appel au diplomate et physicien Lassina Zerbo pour le diriger. Ces mesures sont saluées, mais apparemment les carottes sont déjà cuites.

La frilosité des fins de règne

Petit à petit, Roch Kaboré a réuni les ingrédients de la sauce à laquelle il allait être mangé. Depuis fin 2021, les Burkinabè ont été privés d’internet mobile plusieurs jours, officiellement pour des „raisons sécuritaires“. D’abord du 20 au 28 novembre, alors que des organisations projetaient d’organiser des manifestations pour demander la démission du chef de l’Etat qu’ils jugeaient incapable de lutter efficacement contre l’insécurité; puis le 10 janvier pendant quelques heures.

Le Luxembourg a suspendu le nouvel accord de coopération

Le coup d’Etat militaire au Burkina Faso a eu des conséquences sur les relations du Luxembourg avec le pays d’Afrique de l’Ouest, notamment en matière de coopération au développement. La semaine prochaine, le Grand-Duché avait initialement prévu de signer un nouvel accord de coopération avec le Burkina Faso. Suite au coup d’Etat militaire, la partie luxembourgeoise a décidé de suspendre sa signature pour l’instant.
Le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn et le ministre de la Coopération au développement Franz Fayot ont déclaré rester „en contact permanent“ avec l’ambassade luxembourgeoise à Ouagadougou, qui demeure opérationnelle. L’ambassade au Burkina Faso emploie une demi-douzaine de personnes. Les ministres ont fait ces déclarations en réponse à une question parlementaire des députées „déi gréng“ Stéphanie Empain et Djuna Bernard.
Depuis plus de 25 ans, le gouvernement luxembourgeois et plusieurs ONG sont actifs dans le domaine de la coopération au développement au Burkina Faso.

Ensuite, c’est le réseau social Facebook qui a été restreint sur les terminaux mobiles, là aussi à quelques jours de manifestations contre le pouvoir, interdites comme les précédentes. Une „dictature sur internet“, avait réagi le Balai Citoyen, fer de lance de la mobilisation lors de l’insurrection populaire de 2014. Interrogé sur la question, le ministre porte-parole du gouvernement Alkassoum Maiga dira qu’„il ne faut pas s’attendre à ce que le gouvernement s’explique“.

Parallèlement à ces mesures, plusieurs leaders de la mobilisation sont arrêtés. Les esprits se surchauffent.

Damiba, le tombeur de Roch

Au petit matin du 23 janvier 2022, les habitants des quartiers Gounghin et alentours se réveillent avec des bruits de Kalash. Des soldats mécontents tirent en l’air à l’intérieur du camp Sangoulé Lamizana, au centre-ouest de la capitale. La base aérienne se joint à la danse. Le régiment de commandement et de soutien de la ville de Kaya, centre-nord du pays, est également concerné. Les premiers contacts parlent d’une mutinerie des soldats de rang et sous-officiers. Le ministre de la Défense apparaît à la télévision nationale, visiblement inquiet, et parle d’une „ action circonscrite“. Mais les choses s’accélèrent. Dans la nuit du 23 janvier, des tirs sont entendus au domicile privé du président. Et dans la soirée, le coup d’Etat est officiel. Roch Kaboré a été arrêté. Le mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration est désormais aux commandes, avec à sa tête le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba.

Dans la classe politique, les réactions se sont faits timides, jusque dans la famille politique du président déchu

Roch Kaboré ne le savait pas, mais en confiant la troisième région militaire à Paul Henri Damiba, il lui confiait la capitale Ouagadougou, mais aussi Pô où se trouve le camp d’entraînement des commandos, celui qui a été dirigé par un certain Thomas Sankara, puis Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré. C’est également de là que sont venus tous les coups d’Etats depuis 1982. Peut-être croyait-il à la fidélité de Damiba, dont la promotion avait été d’un grand apport pour faire échouer le coup d’Etat de Gilbert Diendéré en 2015. Cette fois-ci la donne est différente.

Des manifestants se rassemblent à Ouagadougou pour montrer leur soutien aux militaires tout en tenant une bannière anti-France et en agitant un drapeau russe, le 25 octobre 2022
Des manifestants se rassemblent à Ouagadougou pour montrer leur soutien aux militaires tout en tenant une bannière anti-France et en agitant un drapeau russe, le 25 octobre 2022 Photo: AFP/Olympia de Maismont

Les jeunes officiers voient leurs camarades d’armes tomber tous les jours sur le terrain, parfois sans combat parce qu’ils sont mal équipés et mal formés. Ils sont convaincus qu’avec une bonne volonté politique, la différence sera nette. Selon le journal en ligne LibreInfo, le colonel Damiba n’était pas en première ligne de la préparation du coup d’Etat, mais a été choisi par ses frères d’armes, avant même d’être nommé à Ouagadougou. Le pouvoir de Kaboré a dû sentir venir le coup, mais les investigations n’ont pas permis de situer la menace. Le 10 janvier, le lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana a été arrêté pour tentative de putsch.

L’indifférence de la classe politique

Dans sa déclaration de prise du pouvoir, le MPSR a annoncé une „nouvelle ère“, avec comme priorité, la restauration de l’intégrité du territoire national. Dans la classe politique, les réactions se sont faits timides, jusque dans la famille politique du président déchu Roch Kaboré. Dans une déclaration de son parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) dénonce le coup d’Etat, mais sans plus. Pas de conférence de presse ni de manifestation de désapprobation annoncée. „Nous leur souhaitons plus de succès que nous n’en avons eu malgré nos efforts“, a confié un cadre du parti, Lassina Ouattara, que nous avons contacté.

La majorité présidentielle, elle, est divisée entre ceux qui prennent acte et ceux qui s’opposent tout en se disant ouverts à des consultations en vue de la future transition. Le chef de file de l’opposition a également pris acte de la situation. Un malaise à peine dissimulé par des acteurs habituellement opposés à toute prise de pouvoir par les armes, mais qui espèrent que cette interruption soit l’occasion d’un nouveau départ plus victorieux contre le terrorisme.

Le temps des coups d’Etat militaires en Afrique de l’Ouest

Au Tchad, l’armée a pris le pouvoir en avril 2021 et a mis en place un conseil militaire après la mort du président Idriss Déby. Au Mali, un coup d’Etat a ensuite réussi en mai 2021, tout comme en Guinée en septembre 2021. Il a été suivi par la prise de pouvoir des militaires au Burkina Faso – et par une tentative de coup d’Etat en Guinée-Bissau qui a fait plusieurs morts.
Le basculement de la région a commencé après que des islamistes radicaux liés à Al-Qaïda se soient joints à une insurrection de l’ethnie touareg au Mali en 2012. Cela a conduit à l’écrasement de l’insurrection avec l’aide de la France, mais aussi à une vague d’attentats meurtriers à partir de 2015, qui est ensuite étendue au Burkina Faso et au Niger. Depuis lors, les populations, surtout dans les zones rurales, sont confrontées à un risque permanent d’attaques, compte tenu de la faible présence des forces de sécurité. Les armées mal équipées des pays du Sahel peinent à s’imposer malgré l’aide militaire internationale.
L’insécurité dans les zones rurales est en outre source de paupérisation et de nouveaux flux de réfugiés. Avec les juntes, de nouveaux problèmes apparaissent. Comme le régime n’est pas reconnu au Mali par exemple, les tensions avec les Etats européens actifs dans ce pays augmentent.

HTK
6. Februar 2022 - 9.08

L 'habit ne fait pas le moine...