« Qu’est-ce que la vérité? Pour la foule, c’est ce qu’elle lit et ce qu’elle entend (…). Trois semaines d’un travail de presse, et voilà le monde d’accord sur une vérité. Elle durera aussi longtemps que l’argent sera là pour la répéter matin, midi et soir (…). »
Là, Johann Chapoutot¹ cite le philosophe Oswald Spengler², ami d’Alfred Hugenberg³. – Si maintenant, le lecteur est invité à googler, c’est (aussi) pour lui rappeler que les médias d’information et de communication étaient pendant la montée des fascismes et du nazisme des outils dans les mains d’un petit nombre d’hommes riches, dont Hugenberg. Ils ont propulsé au pouvoir des monstres qu’ils croyaient pouvoir asservir, comme Hitler lui-même.
Après la guerre mondiale 1940-1945, pendant une bonne quarantaine d’années, la presse (notamment celle quotidienne) a pu travailler assez correctement dans les démocraties occidentales. Les gens avaient et prenaient le temps de lire; en lisant, ils s’impliquaient, consciemment ou non, dans une sorte de dialogue muet avec les journalistes, les chroniqueurs, les éditorialistes qui, eux, après avoir livré correctement les faits, pouvaient dire leur opinion. La Démocratie méritait son nom puisque les électeurs, formés à l’esprit critique, exerçaient un contrôle politique suffisant pour subordonner les intérêts particuliers à l’intérêt général.
Depuis le déferlement des médias nouveaux dont ceux que les Américains ont appelé « social media », l’information générale, politique et culturelle recule dans l’emploi du temps du consommateur savamment créé pour faire tourner la mécanique. L’objectif de l’investisseur dans les médias quels qu’ils soient est la performance financière, le rendement, la valorisation de l’entreprise. Un exemple parmi d’autres: Zuckerberg, avec Facebook, WhatsApp, Instagram, Reality Labs, Beluga, @Threads, Messenger, mobilise, sert, distrait, amuse et oriente commercialement des milliards d’individus, adroitement ciblés par des algorithmes. Ce ciblage permet à Meta (la société faîtière) de s’emparer d’une large portion des marchés publicitaires mondiaux et d’investir des sommes colossales dans l’intelligence artificielle qui deviendra une source de profit intarissable.
Dégât collatéral: les « anciens » médias d’information sont privés par Meta, Google, Open AI et d’autres encore d’une part essentielle de revenus indispensables pour financer durablement le journalisme de qualité.
Il s’ensuit que ces « anciens » médias doivent réduire leurs coûts. Ils le font presque tous en coupant dans le budget des rédactions et en recourant aux services de plus en plus amples offerts par les fournisseurs d’intelligence artificielle. A la fin, « nous » aurons un système d’information universel parfaitement apte à satisfaire la demande, une demande dépouillée du besoin d’en savoir plus, du besoin de connaître les dessous et les finalités, du besoin d’intervenir politiquement pour défendre l’intérêt général.
L’Université de Zurich a publié la semaine dernière son fameux annuaire sur les médias d’information suisses. Premier constat, rassurant: la qualité générale n’a pas baissé, même s’il y a une tendance vers l’émotionnel « qui vend ».
Mais ce qui inquiète les chercheurs suisses, c’est une conséquence directe de l’attrait des « social media » et des moteurs de recherche qui offrent de tout: la distraction, le jeu, l’insolite, le beau, le rêve, et, en bref, l’info. De plus en plus de Suisses ne s’informent plus auprès des médias conçus par des journalistes professionnels: trop « time-consuming ».
Ce phénomène, qui a pour conséquence une méconnaissance croissante des problèmes et des défis politiques, économiques et culturels, s’appelle désormais « news deprivation ».
Y a-t-il pour la Démocratie plus grand péril que celui découlant de cette déficience?
En Suisse, 46,4 pour cent ( !) de la population sont maintenant répertoriés par l’Université de Zurich dans la catégorie « news deprivation », celle des gens qui ont lâché les médias d’information faits par des journalistes professionnels.
Ce type d’étude devrait être fait au Luxembourg aussi.
Afin que soient prises, le cas échéant, les mesures nécessaires pour relancer l’envie et le besoin de chercher l’info fiable là où elle se trouve encore: dans la presse, imprimée, digitale, audiovisuelle.
1 CHAPOUTOT Johann, Les irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? Paris, nrf essais, Gallimard, 2025, 395 p.
2 SPENGLER Oswald (1880-1936), citation extraite de son Déclin de l’Occident (1918).
3 HUGENBERG Alfred (1865- 1951), patron de presse, ministre de l’Economie dans le premier cabinet de Hitler en 1933.
De Maart

Zuck serait le nouveau Hugenberg...en fait potentiellement bien plus puissant vu qu il travaille au niveau mondial ou au moins dans une large partie du monde alors que l autre n etait guere present hors d Allemagne.