Tageblatt: François Ozon, dans tous vos films, le lieu a son importance. Cette fois, l’histoire se déroule à la campagne.
François Ozon: Nous avons tourné dans une petite ville de Bourgogne, région que je connais bien et que j’aime beaucoup. Pour moi, c’était important d’ancrer une histoire dans un territoire et montrer la vie qui s’y passe. Ces deux femmes sont-elles bien intégrées dans cette petite ville ou pas? Leur solitude choisie raconte beaucoup de choses sur leur vie sociale. Elles vont à la fête du bar, elles croisent des chasseurs quand elles vont ramasser des champignons. Michelle va à l’église. Ceci dit, dans les petites villes, les gens ne sortent pas beaucoup, ils ont leurs activités et ne se rencontrent pas forcément.
La maison est aussi un espace où tout se passe.
J’ai fait un film qui s’appelait „Dans la maison“ (2012). La cuisine est au centre, évidemment, puisque tout part des champignons que Michelle va cuisiner. L’idée m’est venue d’un souvenir personnel. Une tante que j’aimais beaucoup, avait organisé un repas de famille. Elle avait ramassé elle-même ses champignons, et tout le monde est tombé malade, sauf ma tante, la seule à ne pas les avoir mangés. Donc moi, enfant, j’ai adoré cette histoire que, maintenant, je trouve incroyable, géniale. Ma tante a-t-elle voulu zigouiller toute la famille? Comme dans le film, la fille de Michelle est la seule à avoir mangé les champignons. Elle tombe gravement malade. C’est étonnant … Mais, vous savez, il suffit d’un champignon toxique pour contaminer toute une poêlée. Donc ça va très vite. J’ai discuté avec des spécialistes: les incidents de ce type sont fréquents. Mais j’ai appris que, quand il y avait un empoisonnement, il fallait se déclarer à la police. Il y a quand même, à chaque fois, une enquête qui doit être faite, quand il y a une hospitalisation, un nettoyage d’estomac …
Le doute subsiste …
En effet, je montre aussi que Michelle est une vieille dame de 81 ans qui se pose des questions. Déjà, lors de la cueillette, elle a oublié ses lunettes. Sa fille lui dit qu’elle est sénile. Du coup, elle s’interroge: ai-je été suffisamment vigilante ou pas? Evidemment, le spectateur se demande aussi si Michelle l’a fait volontairement ou pas. Après, je ne pense pas qu’elle ait envie d’empoisonner son petit-fils, qu’elle adore.

Les deux grands-mères ont des relations compliquées avec leur progéniture. Toutefois, Michelle retrouve la joie de vivre en présence de son petit-fils.
Absolument. Pour moi, c’est important de montrer que les liens choisis sont des fois plus forts que ceux du sang. Et que, même si l’histoire est sombre, il y a beaucoup d’amour qui circule, mais pas forcément là où l’on croit et là où on le souhaite. On parle rarement de la place des grands-mères par rapport aux petits-enfants. Les filles, les mères ont souvent une possibilité de règlement de compte avec leur propre mère en empêchant les grands-mères de voir leurs petits-enfants. Ce n’est pas l’enfant qui décide, c’est la mère. Le film appuie un endroit où ça fait mal et où beaucoup de grands-mères se retrouvent. En fait, le sujet des grands-mères est assez peu traité au cinéma.
On parle rarement de la place des grands-mères par rapport aux petits-enfants
C’est assez logique quand on sait que les actrices âgées sont peu montrées au cinéma.
Oui! J’ai fait ce film un peu pour montrer des femmes de plus de 70, 80 ans qui sont dans la vie, qui n’ont pas refait leur visage, qui ne sont pas dans l’obsession de la jeunesse avec cette injonction qu’il y a de la société à rester tout le temps jeune. Les personnes âgées représentent quand même une grande partie de la population.

Michelle prend la main de son petit-fils, qu’elle aime éperdument. Une tendresse inespérée?
Il y a beaucoup d’amour, beaucoup de tendresse qui circulent, de même que des choses plus sombres se passent aussi. Mais je pense que Michelle met la poussière sous le tapis. Elle préfère ne pas voir, elle se dit, de manière très pragmatique, il me reste quelques années à vivre, je veux rester dans la vie, je veux profiter de mon petit-fils. Donc oui, effectivement Vincent, le fils de Marie-Claude, n’était peut-être pas à Auxerre le jour de l’accident, mais elle n’a pas envie de savoir. Son attitude est un peu effrayante parce qu’on se dit qu’elle ne veut pas connaître la vérité. En même temps, je la comprends parce qu’elle préfère préserver ce qu’elle a: son petit-fils adoré.
Vous construisez votre récit autour de deux actrices septuagénaire et octogénaire. Une gageure?
J’avais envie de mettre des femmes de plus de 70 ans et de 81 ans au centre et qu’on suive leur histoire. Je trouve que les rides racontent beaucoup de choses de la vie et du passé. Hélène et Josiane, étaient présentes dans „Grâce à Dieu“ (2019), où elles avaient des petits rôles de mère, déjà. Pierre Lottin y jouait aussi une petite scène. J’aime beaucoup cet acteur parce qu’il dégage plein de choses. Il a beaucoup de charisme et, en même temps, il est inquiétant. Dès qu’il arrive, on sent tout à la fois le danger et la séduction. Donc, c’était bien (sourire). Puis, j’ai retrouvé Ludivine Sagnier que j’avais laissée en bikini dans „Swimming Pool“ (2003).
Ce n’est pas parce qu’on est en fin de vie qu’il ne se passe pas des choses extraordinaires
Vous rendez hommage aux femmes âgées qui ne veulent pas subir leur vie.
Ce n’est pas parce qu’on est en fin de vie qu’il ne se passe pas des choses extraordinaires. Pourquoi, ne serions-nous plus dans la vie, à 70, 80 ans? Je voulais que ces deux mamies soient au premier plan. En tant que cinéaste, filmer les rides, c’est quelque chose d’intéressant. Après, il ne s’agit pas d’enlaidir, mais plutôt de montrer la beauté. Par exemple, j’avais envie de filmer la main tachée de cette grand-mère avec celle du petit-fils. Les enfants aiment beaucoup les personnes âgées. Ils n’ont pas de rejet contre quelqu’un qui a le menton qui tombe ou des rides sur le visage. Les enfants, naturellement, vont vers leurs grands-parents. Il y a beaucoup de tendresse. A travers eux, je filme une sorte d’innocence et l’absence de préjugés. C’est la société qui rejette.
Quel regard portez-vous sur l’ère post #MeToo au cinéma?
#MeToo est une révolution nécessaire, qui permet de mieux comprendre certaines dérives. Mon film, „Grâce à Dieu“ (2019) parlait des abus dans l’église, de la domination du silence, de l’omerta qu’il pouvait y avoir. Ces rapports de force existent dans toute la société et particulièrement dans le monde du spectacle, de la musique … Mais le cinéma est très hiérarchisé. Il y a beaucoup de rapports de domination, de pouvoir. Et de la séduction parce que c’est vrai qu’on a envie de filmer des gens qu’on désire. Mais le désir, il doit aller jusqu’où? Poser des questions est bénéfique parce que tout le monde s’interroge. En tant que réalisateurs, on est dans une position de pouvoir. Que fait-on de ce pouvoir? Ces questions sont nécessaires. Il ne faut pas oublier que le cinéma est un travail collectif. Je travaille avec une équipe, avec beaucoup de gens qui m’aident et je pense qu’il faudrait peut-être un petit peu désacraliser la notion d’auteur-réalisateur. On est un peu comme des dieux, tout le monde exauce tous nos vœux, nos souhaits. C’est quelque chose à interroger, aussi. Donc #MeToo va dans le bon sens. Même s’il y a des excès. Comme dans toute révolution, des têtes vont être coupées pour rien, ou peut-être pour pas grand-chose. Je me sens solidaire des victimes, forcément. Je pense qu’il faut entendre leur parole et, en tant qu’hommes – et femmes –, s’interroger sur notre pouvoir et avoir des relations normales, égales.
A propos de „Quand vient l’automne“
Une retraitée sans histoire se réjouit d’accueillir son petit-fils pour les vacances d’automne. Sa fille, Valérie, change d’avis après avoir été empoisonnée par le plat de champignons, qu’elle seule a mangé. François Ozon voulait raconter une histoire d’une apparence très simple, très quotidienne. Celle de deux grands-mères qui vivent à la campagne, qui sont amies, qui semblent avoir une retraite paisible. Le cinéaste ne résiste pas au plaisir de pimenter cette histoire ordinaire d’un goût certain pour l’ambiguïté subversive.
L’envers de la campagne est complexe. Trouble. Dérangeant. Marie-Claude (Josiane Balasko) et Michelle (Hélène Vincent) ont toutes les deux des problèmes avec leurs propres enfants. A plus de 70 et 80 ans, elles essayent de profiter des dernières années à vivre le mieux possible tout en étant toujours dans la vie. Face à Marie-Claude, désabusée, l’air bougon (épatante Josiane Balasko), Michelle (Hélène Vincent, solaire, pimpante) est pleine de vitalité, de force et de désir. Nous voici invités à une balade à la mélancolie automnale, entre cueillette de champignons et secrets de famille.
Cinéaste prolifique, François Ozon écrit et réalise, à coups d’ellipses répétées, une histoire joyeuse et mortifère, parsemée de non-dits et de merveilleux élans de tendresse. Du bon Ozon à déguster sans modération.
„Quand vient l’automne“ de François Ozon. Avec Hélène Vincent, Josiane Balasko, Ludivine Sagnier, Pierre Lottin. Nouveau au Kinepolis Belval et au Ciné Utopia.
De Maart
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