Montag3. November 2025

Demaart De Maart

L’histoire du temps présentFredy Abraham dit Brahms (1927-1944)

L’histoire du temps présent / Fredy Abraham dit Brahms (1927-1944)
Fredy avec son grand-père Louis Brahms à Eymoutiers (Haute-Vienne) en 1943, photo prise par un copain français de Fredy, Jacques Bardaut, né en 1927 et décédé à Eymoutiers en 2016 Photo: Collection privée

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Ce sont les individualités que le „Mémorial digital de la Shoah au Luxembourg” (memorialshoah.lu) du C2DH et de la „Fondation luxembourgeoise pour la Mémoire de la Shoah” décrit et rappelle à notre mémoire. Ces individus baignent et se développent dans un milieu familial. Pour la communauté juive, ce milieu était un atout social aussi bien qu’un appui et une protection. C’est pourquoi, derrière les individus, il faut connaître leur cadre familial tel qu’il s’est développé au fil des générations successives.

Au début du 20e siècle deux jeunes commerçants nés en Allemagne fondèrent d’importants commerces dans la ville haute de la capitale. Louis Brahms, né en 1874 à Oschersleben (près de Magdebourg), avait 29 ans quand il arriva au Luxembourg en 1903. Il fonda cette même année son magasin de confection. En 1906, il fut à l’origine du magasin de chapellerie „Meta Brahms“ au Puits-Rouge. Louis Cohen, né en 1881 à Wittmund (province de Hanovre), arriva au Luxembourg en 1905, à l’âge de 24 ans. Il fonda son magasin la „Maison Moderne“ en 1913. Des liens familiaux et commerciaux les relient aux familles Blau, Ermann et Sommer, dont vous trouverez les biographies individuelles dans le Mémorial de la Shoah.

Traçons aujourd’hui le portrait et le parcours de Fredy Brahms, le petit-fils du commerçant Louis Brahms.

Louis Brahms, sa bru Toni (ou Tony) Brahms-Herschtritt et son petit-fils Fredy Brahms qui s’étaient enfuis le 10 mai 1940 en France furent pris par la division SS au cours de la rafle du 6 avril 1944 à Eymoutiers et envoyés à Drancy. Louis Brahms et Toni Brahms-Herschtritt furent déportés par le convoi 72 à Auschwitz. Louis fut sans doute assassiné dès l’arrivée, Toni y mourut le 1er septembre 1944 du typhus et de la dysenterie. Fredy fut déporté par le convoi 73 en Lituanie d’où il ne revint pas.

Un enfant de la capitale

Fredy (ou Frédy) fut l’enfant unique de Max Abraham dit Brahms, né en 1904 à Luxembourg, et de Tony Herschtritt, née en 1906 à Berlin (voir ces notices sur memorialshoah.lu). Fredy naquit le 2 juin 1927 à Luxembourg et avait la nationalité luxembourgeoise.

À l’âge de six ans, en septembre 1933, habitant chez ses parents rue Bertholet, il entra à l’école primaire du boulevard Royal, puis à partir de la 4e jusqu’à la 6e année d’études primaires à la nouvelle école de l’avenue Gaston Diderich au Belair1. Nous ne savons pas comment il a continué ses études en septembre 1939, mais il dut les interrompre le 10 mai 1940, quand il s’exila avec ses parents et son grand-père Louis Brahms en France, plus exactement à Limoges.

Sur les chemins de l’exode, Max Brahms fut séparé de son épouse, de son fils et de son père et ne parvint pas à les retrouver. Il suivit l’appel du général De Gaulle et se mit au service de l’armée belge puis de l’armée britannique. Il devint un des onze Luxembourgeois à travailler pour l’„Office of Strategic Services“ (OSS) pendant la Seconde Guerre mondiale, multipliant les missions militaires dangereuses en territoire ennemi.

La formation dans l’exil

En 1941 Fredy apparaît sur une liste de 22 élèves dits „repliés“ à Limoges. Ce terme évoque les Français provenant du nord de la France et d’Alsace évacués d’autorité vers le sud et l’ouest du pays dès le début de la guerre en septembre 1939. Quant aux condisciples de Fredy à Limoges, ils étaient nés dans les années 1925 à 1929 2. Selon la liste, leur scolarité à Limoges a commencé pour la plupart le 2 septembre 1940.

Le 2 octobre 1941 Fredy ajouta un mot à une lettre de son grand-père Louis Brahms à son fils Fred pour annoncer qu’il était inscrit désormais au cours complémentaire de 1re année à Limoges. Ces cours faisaient partie de l’enseignement primaire, parallèlement à l’école primaire supérieure. L’orientation était professionnelle. Fredy exprima l’espoir de pouvoir de nouveau aller à l’école au Luxembourg l’année suivante. Le 19 du même mois il ajouta à la lettre de son grand-père: „Je vais à l’école et je peux très bien suivre. Nous avons même deux heures d’allemand où je suis naturellement le meilleur. Dans la récitation nous avions hier trois pages entières de Victor Hugo à apprendre. J’ai trouvé un bon ami ici Marco Cerf qui me prête des livres et avec qui je m’amuse quand j’ai le temps.“ Louis Brahms précisa qu’il s’agissait du fils du Dr Lazare Cerf avec lequel Fredy avait été en classe à Luxembourg et qui avait toujours été le premier de la classe! Et d’ajouter que Tony, la mère de Fredy, et lui étaient satisfaits des résultats scolaires de Fredy qui était un des meilleurs de la classe, le meilleur en anglais, parlant français comme un indigène.3

Sur la liste des étrangers assignés à résidence à Eymoutiers depuis 1941 sont indiquées six familles juives originaires du Grand-Duché 4. Outre le grand-père et la mère de Fredy s’y trouve la famille de ce copain Marco Cerf, avec sa mère Suzanne Cerf, née Levy, sa sœur Nicole et la grand-mère Jeanne Levy née Braum, de Strasbourg. Marco (Marc-Jean), né comme Fredy en 1927, était le fils du gastro-entérologue Lazare Cerf (1889-1939), décédé peu avant la guerre.

Fredy en apprentissage

Après l’année complémentaire 1941-1942, Fredy ne voyait pas quel pourrait être son avenir professionnel puisque l’École professionnelle ne prenait pas d’étrangers. Or voilà qu’en juin 1942, le gouvernement français se préoccupait des étrangers israélites âgés de 15 à 25 ans à diriger vers un centre professionnel. Trois noms d’Eymoutiers figuraient sur la liste arrêtée: Fredy Brahms, Marco Cerf et Jean Cahen 5. Fredy entra donc en apprentissage de menuisier ébéniste chez un Monsieur Lucien Martinet qui louait „son zèle et sa bonne volonté“.6 Dans ce même rapport se trouve l’information que son ami Marco, „élève particulièrement doué“, fréquentait le lycée de Limoges, avec la précision que „la famille CERF est en possession d’un document délivré le 17-3-42 par le Consulat américain le (?) mettant sous la protection du gouvernement des États-Unis d’Amérique“. Marco Cerf survécut les affres de la guerre et fit son chemin jusqu’à être professeur agrégé de médecine en France, spécialiste de gastro-entérologie comme son père.7

Un garçon franc et débrouillard

On a de Fredy des lettres à sa famille en 1940 et 1941 qui laissent deviner un garçon franc et débrouillard que l’exil n’a apparemment pas traumatisé. Peu après son arrivée à Limoges, selon une lettre de Louis Brahms du 23 août 1940, il se fit engager comme aide au café „Comptoir de la Poste“ à Panazol. Il s’y fit apprécier des clients comme de la patronne. Il semble même qu’un fabricant de sardines voulait l’emmener à Bordeaux.

Il regrettait évidemment de ne plus voir son jeune cousin Pierre Brahms et la famille qu’il avait connue à Luxembourg, dispersée à tous vents. Il regrettait aussi son vélo dont il aurait besoin car, comme il l’écrivit en mai 1941, il avait tous les jours 16 kilomètres à faire soit à pied soit en bicyclette d’Eymoutiers à l’école et retour. Dans une lettre du 8 janvier 1941 de Louis à son fils Laal Brahms, en partance pour l’Amérique, Fredy ajouta un mot: „Moi je préfère rester ici car nous sommes plus près de notre point de départ.“

En 1941 Fredy se fit inscrire aux éclaireurs de France pour devenir rapidement chef de patrouille des castors. Il participa à des camps et des sorties. Selon une lettre d’un habitant d’Eymoutiers c’était „un charmant garçon très gentil et mince“ qui jouait au football dans l’équipe locale et […] faisait même des reportages sportifs pour un journal régional de l’époque, l’„Appel du Centre“.“8

La rafle des SS

Cependant, le 7 avril 1944, Fredy, à presque dix-sept ans, fut pris avec son grand-père Louis et sa mère Tony dans une rafle de la division SS Brehmer. Sur une liste polycopiée des autorités françaises leur nom figure avec la remarque pour chacun: arrêté par les autorités occupantes.9 Alors qu’en août 1942 les rafles avaient été le fait de la police française, l’administration de Vichy s’en lavait désormais les mains, à quelques semaines du débarquement en Normandie.

Fredy était venu voir sa tante Paula Blau-Ermann à Châlus trois mois plus tôt, et celle-ci s’émerveilla dans une lettre du 25 janvier 1945: „Frédy est un beau et grand garçon (1,78 m), de très bonne éducation, très sérieux et intelligent.“ Elle ne l’avait plus vu depuis des années et elle ne le reverra plus jamais.

Quand la rafle eut lieu, Fredy était au travail, et il aurait peut-être pu y échapper. Selon la lettre déjà citée, le patron de son entreprise „l’aurait mis en garde de ne pas aller rejoindre ses parents parqués au Buchon […], mais rien ne l’aurait empêché d’y aller“.10 Une habitante d’Eymoutiers se serait dite prête à cacher Fredy chez elle.11

Le convoi 73

Finalement Fredy fut le seul des enfants luxembourgeois réfugiés à Eymoutiers à ne pas survivre. Le 15 mai 1944, il partit avec le convoi 73, composé de 878 hommes juifs capables de travailler. Contrairement aux autres convois destinés à Auschwitz, les déportés de ce convoi furent relativement bien traités et reçurent des vivres pour le voyage. Le convoi partit de Bobigny, dans la banlieue parisienne, à Kaunas en Lituanie, d’où une moitié des déportés fut envoyée à Tallinn, en Estonie. Fredy fut assassiné par les SS comme la très grande majorité des déportés de ce convoi.12 Il n’a pas été élucidé pourquoi ce convoi fut dirigé vers les pays baltes, et non à Auschwitz.13

Il faut signaler que le convoi 73 a fait l’objet d’un important travail de mémoire depuis les années 1990, retracé sur le site www.convoi73.org avec une liste des noms des déportés, des témoignages de membres de famille (dont celle de Marion Brahms avec deux photos de famille), un ouvrage de sept volumes édités au fur et à mesure des progrès de ce travail de mémoire, par des voyages, des recherches historiques et l’inauguration le 26 novembre 2006 d’une stèle au cimetière Père-Lachaise à Paris.

Max Brahms revint à Luxembourg dès la libération du pays, en septembre 1944, en même temps que le gouvernement. Il apprit la disparition de son père, de son épouse et de son fils par les lettres échangées dans la famille, au début de 1945.


1 AVL, Relevé des élèves LU 41.2.1_29 fol.27; LU 41.2.1_38 fol.25; LU 41.1_41 fol.25.

2 Archives municipales de Limoges, cote 4H 133, relevé matricule de l’école Montmailler. Liste établie le 29 mars 1941. Fredy est appelé „Abrahms“, en provenance du „Duché“ de Luxembourg. La faute sur son nom provient de ce qu’il s’appelait Abraham dit Brahms. Voir à ce sujet Ben Fayot, „Une famille dans la tourmente“, Les Cahiers Luxembourgeois, n° 3 (2020): 98-100.

3 „In der Schule ist er weiter noch einer der besten, im englischen sogar der allerbeste, französisch spricht er mit dem besten Accent, so dass ihn niemand als Ausländer vermutet.“

4 Archives de la Haute-Vienne, Fonds de la Préfecture – 1ère Division – 1er Bureau (administration générale): Israëlites assignés à résidence en vertu de l’instruction ministérielle du 2 janvier 1942, cote 985_W_485, Liste des Étrangers, entrés en France, après le 1er janvier 1936, assignés à résidence au centre départemental d’Eymoutiers, contrôlés et notifiés le 6 juin 1942. URL: https://lufi.haute-vienne.fr/r/UvB2xaqoWS#z+ydJyJkDRH5Zf4kf2ba37aoz3mNZC7XiC3NAcoDCV8= Il s’agit des familles Brahms, Suzanne Cerf-Levy, Maurice Cerf, Sylvain Cerf, Semmi Hoffmann, Marcel Salomon.

5 Jean Cahen, né le 7 juin 1926 à Esch-sur-Alzette, demeurant à St Léonard de Noblat, qui fréquentait l’école primaire supérieure.

6 Archives de la Haute-Vienne, Fonds de la Préfecture – 1ère Division – 1er Bureau (administration générale) : surveillance et rapatriement de juifs étrangers (1942-1944), liste des étrangers israëlites âgés de 15 à 25 ans, cote 985_W_484, Rapport du 8 décembre 1942 du Délégué Départemental au Préfet de la Haute-Vienne. URL: https://lufi.haute-vienne.fr/r/ssFN_nbi0m#NXs6oROT9Ukyq/uz0EOAHcq6xiJaAt6kDdZuPj3uYYY=

7 Dr Henri Kugener, Die zivilen und militärischen Ärzte und Apotheker im Großherzogtum Luxemburg, Band 1/3 (A-G) (Luxemburg: Eigenverlag, 2005), voir sous Marc Cerf. La mère de Marc Cerf était Suzanne Levy (1904-2005) qui a vécu toute sa vie après-guerre à Paris de même que Nicole, la sœur de Marco, également présente à Eymoutiers. Voir aussi un article de Georges Als sur Suzanne Cerf au Luxemburger Wort du 9 juin 2005, p.13.

8 Lettre du 8 novembre 2001 de Monsieur André Javaud d’Eymoutiers à Marion et Gérard Rivollier-Brahms.

9 Archives de la Haute-Vienne, Fonds de la Préfecture – 1ère Division – 1er Bureau (administration générale, cote 985W_456, URL: https://lufi.haute-vienne.fr/r/FQP_Ior8ec#aQLhK6JhJBt8zcM3t7U1WrWvg93hqgNkDZbZxrxenco=

10 Buchon, un lieu près d’Eymoutiers, avec une grange où furent rassemblées les personnes capturées.

11 Voir l’article de Marion Rivollier-Brahms en cliquant sur le nom Fredy Abraham dans la liste des noms sur le site www.convoi73.org.

12 www.ajpn.org/commune-Eymoutiers-87064.html, consulté le 24-7-2022.

13 Simone Veil, Une vie (Paris: Le grand livre du mois, 2007). Simone Veil, née en 1927, déportée à Auschwitz, a perdu son père et son frère Jean partis dans le convoi 73. Au chapitre 2 intitulé La nasse, p. 48-49, elle émet l’hypothèse, à la suite du père Patrick Desbois, que les Allemands aient employé les survivants de ce convoi à déterrer les cadavres des fosses communes en Europe de l’Est pour les faire disparaître et les aient éliminés ensuite. (Information de Marion Brahms)

Ben Fayot
Ben Fayot Photo: privé

Sur l’auteur

Ben Fayot, né en 1937, est enseignant, homme politique, historien. Il a publié e.a. Sozialismus in Luxemburg, 2 volumes 1979 et 1984; Dictionnaire biographique des députés socialistes, 1996 (avec Serge Hoffmann, Jacques Maas, Raymond Steil) et 2020 (avec Alex Bodry); Les quatre référendums du Grand-Duché de Luxembourg, 2006; Toute la vie pour apprendre, 2016; Des proches si lointains, essai d’histoire sociale, 2022.