Freitag31. Oktober 2025

Demaart De Maart

FranceLes Kurdes entre le deuil et les soupçons à l’égard de la Turquie

France / Les Kurdes entre le deuil et les soupçons à l’égard de la Turquie
Hier à Paris: Des manifestantes kurdes montrent des portraits des victimes de deux attentats contre leur communauté  Photo: Julien de Rosa/AFP

Jetzt weiterlesen!

Für 0,99 € können Sie diesen Artikel erwerben:

Oder schließen Sie ein Abo ab:

ZU DEN ABOS

Sie sind bereits Kunde?

La communauté kurde de France reste fortement ébranlée par l’attentat qui a, vendredi soir, causé dans le Xe arrondissement de la capitale la mort de trois de ses membres parmi les plus connus, dont Emine Kara, responsable locale du mouvement des femmes kurdes, qui avait milité durant trente ans en Turquie, Irak, Syrie et Iran.

Commis par un cheminot retraité se définissant comme animé d’un „racisme pathologique“, et qui a été arrêté, ce triple assassinat semble à beaucoup porter en réalité la marque des services secrets turcs. Ceux-ci poursuivent en effet un peu partout en Europe les réfugiés politiques kurdes fuyant l’implacable répression du régime d’Erdogan. Ils n’ont d’autre part jamais fait l’objet en France, où ils sont bien intégrés et bénéficient plutôt d’un consensus de sympathie dans la population de l’Hexagone, d’actes ou même de simples proclamations racistes.

Ce qui fait dire à Agit Polat, porte-parole du Centre démocratique kurde de France: „Quelqu’un se serait donc soudainement réveillé vendredi en se disant qu’il haïssait les Kurdes, et a débarqué avec un pistolet au centre culturel kurde. Puis il a pourchassé l’une de ses victimes dans un restaurant kurde, couru ensuite 150 mètres dans une rue remplie de commerces de toutes les origines pour entrer chez un coiffeur kurde … Comment croire au simple crime raciste?“

En 2013, déjà …

Un sombre souvenir vient alimenter les soupçons – qui sont loin d’être seulement kurdes – à l’égard d’une possible action montée par Ankara qui, outre les champs de bataille du Moyen-Orient, mène en Europe une féroce guerre secrète contre le mouvement kurde. Le 9 janvier 2013, déjà dans le 10e arrondissement de Paris, trois femmes du mouvement kurde: la dirigeante et cofondatrice du PKK (Partiya Karkeren Kurdistan, en français Parti des travailleurs du Kurdistan) Sakine Cansiz, Fidan Dogan, surnommée „la Diplomate“, et Leyla Saylemez, qui encadrait le mouvement de jeunesse du parti, avaient en effet été assassinées par balles dans un appartement.

Leur meurtrier, un Turc infiltré dans les cercles dirigeants kurdes de Paris, repéré grâce à des écoutes téléphoniques, avait été mis en examen mais devait mourir en détention en 2016 d’une tumeur au cerveau avant que l’enquête française puisse faire la lumière sur ses relations avec le MIT, autrement dit les services de renseignement turcs. Relations qui ne faisaient guère de doute mais sur lesquelles le contre-espionnage français se refusa à lever le secret-défense …

Normalement, l’action de la justice aurait alors dû s’éteindre avec l’accusé. Mais aucun non-lieu n’ayant été prononcé par les magistrats contre les complices et commanditaires du tueur décédé, les avocats des parties civiles ont déposé, en mars 2018, une seconde plainte, avec constitution de partie civile, qui a donné lieu, l’année suivante, à l’ouverture d’une nouvelle information judiciaire, notamment à la suite d’une enquête en Belgique. C’est dire que sur le plan judiciaire, le drame de 2013 court toujours.

Au-delà des apparences

Dans la nouvelle affaire, il se trouve qu’au centre culturel kurde qui a été le point de départ des trois crimes de vendredi, on préparait justement avec ferveur la célébration de ce dixième anniversaire. Avec à la clé une manifestation anti-turque qui, compte tenu de la dégradation de l’image du président Erdogan en Occident, allait sans doute avoir une certaine importance – laquelle devrait encore s’accroître après les trois assassinats de vendredi.

Reste l’aspect proprement judiciaire de l’affaire. D’abord considéré comme un déséquilibré, l’auteur des coups de feu meurtriers avait d’abord vu sa garde à vue suspendue, pour transfert dans une unité psychiatrique; mais il a, après un premier examen, été remis à la disposition de la justice. On peut imaginer que la bataille qui va s’engager durant l’instruction portera principalement sur son degré de responsabilité mentale.

Mais il y aura inévitablement aussi, derrière une possible confrontation d’experts, et au-delà des apparences, beaucoup de questions, toujours embarrassantes sur le plan diplomatique, sur d’éventuels commanditaires et/ou manipulateurs. En attendant, le président Macron lui-même a dénoncé „une odieuse attaque contre les Kurdes de France“, auxquels de nombreux responsables étrangers ont aussi exprimé leur sympathie.