Lutter contre l’académisme: Autour du Cavalier bleu

Lutter contre l’académisme: Autour du Cavalier bleu

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C’est un pan de l’histoire de l’art plutôt méconnu ou oublié, du moins en France, qu’une nouvelle exposition au Musée de l’Orangerie explore, l’aventure de Franz Marc (1880-1916) et d’August Macke (1887-1914), artistes majeurs, avec Kandinsky, du mouvement expressionniste allemand Der Blaue Reiter (Le Cavalier bleu).

De notre correspondante Clotilde Escalle, Paris

Cette courte et intense période débute en 1910, par la rencontre des artistes Marc et Macke, qui noueront une amitié profonde. Mobilisés lors de la guerre, ils mourront prématurément sur le front, en France, August Macke en 1914, à l’âge de 27 ans, et Franz Marc, en 1916, à l’âge de 36 ans.

L’expressionnisme correspond davantage à un état d’esprit qu’à un mouvement, il énonce la volonté de s’émanciper de l’académisme et de l’imitation du réel. Franz Marc et August Macke, influencés par Cézanne, Gauguin, Matisse, désirent, dans leur art, prendre de l’indépendance par rapport au sujet traité et traduire la perception de la réalité, une vérité subjective.

INFO

Franz Marc/August Macke:
L’aventure du Cavalier bleu

Jusqu’au 17 juin
Musée de l’Orangerie
Jardin des Tuileries
75001 Paris

La représentation du réel est déformée, sans pour autant que les artistes renoncent à la figuration, en tout cas au début. Robert Delaunay est aussi cité, comme le Douanier Rousseau, l’un pour ses volumes colorés, un rythme dynamique, le second pour la vision synthétique de ses paysages, la simplicité à laquelle il va puiser.

La couleur pour Marc et Kandinsky, tous deux étant les initiateurs du Blaue Reiter, est au service de la spiritualité, de l’harmonie. Franz Marc privilégiera le monde animal pour sa symbiose avec la nature, le cosmos. Il faut dire que, imprégné de spirituel, il s’est détourné d’une vocation de pasteur et de philosophe, au profit de l’art. August Macke, lui, influencé par l’art nouveau et le japonisme, sera plus raisonné, plus sensible à un rythme ordonné.

Dès le début de la visite, nous remarquons chez Macke et Marc une référence forte aux Fauves. Couleurs pures, formes audacieuses sont au rendez-vous. On reconnaît également les pommes de Cézanne, une forme d’hommage lui est rendu avec le „Portrait avec pommes“ d’August Macke (1909, huile sur toile), où, sur un fond dépouillé, de manière encore classique, August Macke campe sa femme, Elisabeth, tenant une assiette pleine de pommes, comme tendues en offrande au spectateur, de ces pommes inventées par Cézanne. Franz Marc, quant à lui, commencera sa carrière par des études de la nature et des animaux, dans un style lyrique qui peu à peu se simplifiera, l’animal, en figure de premier plan, étant traité par facettes, de manière puissante, puis par volumes qui finiront par le déconstruire. L’énergie qui se dégage de ses œuvres est une force vive, parfois enragée, en réponse au monde.

En 1911, Franz Marc rencontre Vassily Kandinsky à Berlin, artiste russe à la place prépondérante sur la scène artistique allemande, fondateur en 1909 de NKVM, nouvelle association des artistes munichois, association dissoute en 1912 pour cause de dissensions. Kandinsky et Marc désirent recréer une avant-garde, un collectif artistique, projettent l’édition de textes sur l’art moderne, sous la forme d’un almanach, l’“Almanach“ du Blaue Reiter. „Nous avons trouvé le nom Der Blaue Reiter“, écrit Kandinsky, „en prenant le café (…); nous aimions tous les deux le bleu, Marc les chevaux, moi les cavaliers.“

Mais le choix est précis, le bleu étant la couleur céleste, tandis que le cavalier, dans l’abécédaire des saints chrétiens, fait référence à saint Georges terrassant le dragon, une métaphore pour un projet destiné à lutter contre l’académisme artistique, affranchir la peinture des codes de la représentation, au profit d’improvisations psychiques. L’almanach sera publié en mai 1912, à Munich, proposant des passerelles entre les arts décoratifs et populaires, la littérature, la musique, l’art extra-occidental, les dessins d’enfants. Cette intériorité, ces visions, mèneront à l’abstraction. Macke, Marc, Kandinsky, et d’autres artistes, expérimenteront la déformation et la simplification jusqu’à la limite extrême, une limite qui leur permettra de se dégager de la figuration. Robert Delaunay est alors considéré comme l’une des figures la plus novatrice du cubisme.

Et c’est dans une déclinaison des volumes et un dépouillement du motif, que les œuvres expérimenteront couleurs et rythmes dans une dimension spatiale nouvelle. Le futurisme influence également Franz Marc, qui extrait ses animaux de leur environnement, pour leur donner une énergie dévorante et destructrice, telle qu’on peut la voir dans „Les loups (guerre balkanique)“ (1913), annonçant l’Histoire tragique.

Alors que Kandinsky et Marc explorent la voie de l’expressionnisme par des taches colorées qui prennent leur indépendance, August Macke s’éloigne du Blaue Reiter pour des compositions géométriques à la fois stables et vibrantes, ceci particulièrement à travers une série d’aquarelles et de peintures réalisées lors d’un voyage en Tunisie avec les peintres Louis Moilliet et Paul Klee. Lors de cette visite, il est intéressant de voir, comme un joyau prometteur, une œuvre de Paul Klee, „Maison“ (liée par un ton gris moyen, 1915), où se met en place une grille colorée, un vocabulaire bien particulier, fait d’un rythme pratiquement musical, partition aux variations subtiles et gracieuses. Les cheminements de Franz Marc et d’August Macke seront brisés prématurément lors de la guerre de 14-18. Cette exposition a le mérite de nous redonner la beauté de leurs œuvres, de la replacer de manière éclatante, à travers ces deux présentations monographiques jusque-là inédites, dans l’histoire de l’art.