FranceDisparition: Robert Badinter, l’homme qui a fait abolir la peine de mort

France / Disparition: Robert Badinter, l’homme qui a fait abolir la peine de mort
Robert Badinter est mort vendredi matin à l’âge de 95 ans Photo: AFP/Ian Langsdon

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Robert Badinter, qui fut en 1981, comme ministre de la Justice de François Mitterrand, celui qui obtint du Parlement français l’abolition de la peine de mort, est mort hier matin. Il était âgé de 95 ans et laisse, outre cette réforme majeure, un important bilan législatif et plusieurs livres importants. Sa mémoire fera l’objet d’un hommage national la semaine prochaine.

„Quel roman que ma vie!“ Robert Badinter aurait pu faire sien ce constat de Charles de Gaulle, tant le récit de son existence semble fait pour illustrer à la fois la destinée tragique de la communauté juive d’Europe orientale durant les années noires et la trajectoire exceptionnelle d’un homme qui, à coup sûr, l’était aussi. Le souvenir de sa famille le hantait. De son père, il racontait par exemple: „Lors des remises de prix à l’école, il avait beau occuper régulièrement les premières places du classement, il revenait chaque fois bredouille à la maison. Le principal du lycée le convoquait dans son bureau: ,Tu es premier en français, en russe et en philosophie, c’est bien. Mais tu t’appelles Shmuel Abrahamovitch‘ …“

Devenu Simon à Paris, Shmuel avait été contraint de se faire marchand de chiffons à son arrivée à Paris: „Je n’ai pas honte de raconter qu’il tirait une charrette dans la rue avec son frère“, ajoutait Badinter. Ce père allait lui être arraché en 1943 par la Milice, lors d’une rafle organisée par Klaus Barbie, et ne jamais revenir du camp de Sobibor, de même que ses grands-parents. Caché avec son frère et sa mère en Savoie jusqu’à la Libération, le jeune Robert revient à Paris, commence à étudier la sociologie, passe une année à l’université de Columbaria aux Etats-Unis, puis revient en France et choisit définitivement le droit.

Plus tard, il expliquera: „Lorsque vous avez vécu ce que nous venions de traverser, vous développez un attachement farouche à la légalité républicaine.“ A 22 ans, le voici avocat, spécialisé en droit pénal, et son brio, s’ajoutant à un travail acharné, en fait vite un des jeunes espoirs du barreau. Il ne tarde pas à s’engager dans une lutte passionnée contre la peine capitale, et cela d’autant plus qu’en novembre 1972, deux de ses clients, Claude Buffet et Roger Bontems, condamnés à mort par un jury populaire pour un double meurtre odieux, certes, mais dont le second n’était pas l’auteur, sont guillotinés. „J’aurai porté toute ma vie cette colère de voir cet homme se faire exécuter devant moi“, devait écrire le futur garde des sceaux dans l’un de ses livres retentissants, „L’Exécution“.

Mais entre temps, Robert Badinter a fait plusieurs rencontres qui vont elles aussi marquer, dans un sens beaucoup plus heureux, la suite de sa vie. François Mitterrand, d’abord, dès 1953 – mais c’est surtout en 1958 que les deux hommes vont se rapprocher: leur sensibilité de gauche, leur formation d’avocat et … leur caractère commun de grands séducteurs, tout, en vérité, va contribuer à en faire des amis et alliés. Autre rencontre majeure: la grande comédienne Anne Vernon, qu’il épouse en 1957, puis surtout, après son divorce, Elisabeth Bleustein-Blanchet, qui deviendra sa femme en 1966 et, très vite, une brillante écrivaine.

„Demain, grâce à vous …“

Elu à l’Elysée le 10 mai 1981, Mitterrand fait de Badinter, qui est aussi devenu professeur agrégé de droit, son ministre de la Justice, avec une première ambition: abolir, comme il l’avait promis dans son programme présidentiel, cette peine de mort que la France est une des dernières en Europe occidentale à pratiquer encore. Ce sera fait, au terme d’un discours resté historique: „J’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France (…). Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises.“

A l’époque, l’opinion publique reste anti-abolitionniste à 62%; quelques années plus tard, quand cette abolition sera inscrite dans la Constitution, l’Assemblée quasi unanime se lèvera pour faire une ovation à Robert Badinter. Entre-temps, ce dernier va poursuivre son combat pour les droits de l’homme sur différents terrains, notamment au Sénat et à la présidence du Conseil constitutionnel, par exemple en supprimant les juridictions d’exception, en dépénalisant l’homosexualité, en réformant les prisons, ou en organisant la protection judiciaire de la jeunesse.

A sa mort, hier matin, ce fils d’immigrés juifs persécutés, devenu un grand bourgeois de gauche sans jamais renier ses convictions, aura reçu de toutes parts une brassée d’hommages, de témoignages de reconnaissance et d’admiration, qui fait penser à l’inscription qui surmonte la façade du Panthéon: „Aux grands hommes, la patrie reconnaissante.“