Un monde immondeEt Tsipras a finalement reculé

Un monde immonde / Et Tsipras a finalement reculé
Alexis Tsipras, le 23 mai, à la sortie d’une entrevue post-électorale avec le président grec Photo: AFP/Aris Messinis

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Je n’aspire pas à être expert de la marche du monde, mais je sens des choses. Je sens la dérive et le besoin de mettre des mots dessus. Ce seront des mots subjectifs, nécessairement intimes. Des mots inermes, qui, je le sens aussi, ne changeront rien. Mais je les écris.

22/05/23

Je regarde, aujourd’hui, en lisant les résultats des élections législatives grecques d’hier, avec nostalgie le temps, pas si reculé que cela, où la Grèce aurait pu devenir le laboratoire européen, sinon de l’utopie, du moins de l’espoir. C’est ce que promettait, en 2015, l’arrivée au gouvernement d’un parti pas comme les autres, une coalition des gauches à gauche de la gauche, dont l’acronyme, Syriza (c’est-à-dire: Coalition de la gauche radicale – Alliance progressiste) annonçait la couleur. Un nom, Alexis Tsipras, était dans toutes les bouches de celles et ceux qui se disaient qu’un autre monde était possible. Et Yanis Varoufakis, son sympathique et sulfureux prolongement. Un monde où l’on taxerait les riches, pas les pauvres. Où l’on redistribuerait enfin les richesses vers le bas et non vers le haut. Où l’on augmenterait salaires et retraites. Où l’on nationaliserait à tours de bras. Où les plus démunis ne paieraient plus ni médicaments ni électricité. Où l’on baisserait drastiquement les budgets militaires. Où, surtout, on annulerait la dette extérieure étouffant le pays. Bref, un monde où l’on se soustrairait aux dictats ultra-libéraux de la Banque centrale européenne, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, la troïka de l’ultra-libéralisme donc, n’offrant leur soutien qu’à qui s’adonne à la casse sociale et enrichit ce faisant éhontément les riches.

Le peuple grec y a cru, en 2015. Et Tsipras est allé porter le message à Bruxelles. La suite est moins belle. La troïka, comme il fallait s’y attendre, lui a mis le couteau sous la gorge. Elle a menacé de ruiner la Grèce si Tsipras et son gouvernement persistaient à s’opposer de front à sa volonté. Piétinant les choix démocratiques d’un peuple. Redisant, ce faisant, à tout peuple d’Europe qui chercherait plus de justice sociale à quelles foudres il s’exposerait. Et Tsipras a finalement reculé. A-t-il vu de quoi le monstre était capable? Aux élections de 2019, après avoir dû accepter et appliquer de drastiques mesures d’austérité imposées par la troïka, Syriza, humiliée, le dos au mur, a perdu la moitié de ses sièges au parlement. Et c’est la droite classique, donc ultra-libérale, la mal nommée Nouvelle Démocratie, qui a repris les rênes du pays. C’est le prix de la trahison de l’espoir. Le prix du renoncement, de la capitulation. Le prix de l’incapacité à changer les choses. Le prix d’être devenu comme les autres partis. C’est-à-dire peu fiable. Et la dégringolade a été confirmée hier. Syriza n’est plus perçue comme le porteur des espoirs du peuple grec. Nouvelle Démocratie non plus, mais au moins, la droite est restée fidèle à elle-même. Contre le peuple. Oh, elle n’a pas obtenu la majorité absolue. Qu’à cela ne tienne. On va revoter, dans moins de trois semaines, le 25 juin prochain. Avec une loi électorale manipulée qui rétablit une prime au gagnant. Le triomphe de la droite est programmé. Celui de la déroute de Syriza aussi. Le rêve et l’espoir sont renvoyés aux calendes grecques.

23/05/23

Partout, on fait tout pour restreindre l’arrivée de migrants, à coup de nouvelles lois qui se suivent et se ressemblent, en Allemagne, en revanche, le ton paraît tout autre. Et cela fait presque du bien d’entendre, dans le concert tonitruant des xénophobes, de la bouche du ministre de l’Emploi Hubertus Heil, que „l’objectif est d’avoir la législation sur l’immigration la plus moderne d’Europe“. Ne plus vouloir d’étrangers, ça ne marche plus, dit-on presque à l’unisson dans l’élite politique et économique. L’Allemagne s’effondrerait sans la venue de millions d’immigrés. Et l’on se casse la tête pour attirer ce que le ministre Heil appelle „des têtes pensantes et des mains secourables“. Autrement dit, de la main-d’œuvre qualifiée. Il y aura donc une nouvelle loi. Avant l’été, promet-on. C’est que ça presse. L’Allemagne sera-t-elle, sinon un nouveau paradis, la terre promise pour les damnés de la terre fuyant guerres et famines? Il y aura, prévoit la loi, une sélection à l’entrée. On n’ose pas le mot tri. Ça jurerait dans le paysage. Les critères sont au nombre de cinq. Il faut avoir moins de 35 ans. Que viennent donc ceux et celles qui sauront renflouer les caisses de la sécurité sociale. Que restent chez eux les vieux qui ne feraient que pomper de l’argent. Comptent aussi les diplômes, l’expérience professionnelle, les langues et ce qu’on a vaguement appelé „la relation avec l’Allemagne“. Pour chaque critère, on aura des points, et si la moyenne est bonne, on se verra remettre une „carte de la chance“.

J’ai dit: cela fait presque du bien. Du moins dans le langage. Il y a moins de mépris dans les mots, qu’ailleurs en Europe. Ce n’est pas rien dans l’ambiance nauséabonde qui nous entoure. On pourra venir des quatre coins du monde. D’Inde, d’Amérique latine, du Maghreb, de partout. Mais cet „on“ doit être qualifié. Les pays d’origine auront donc investi dans la formation des partants qui iront vendre leur savoir-faire ailleurs. On ne prend que les „prêts-à-travailler“. Dans le cas des „têtes pensantes“, cela s’appelle pillage des cerveaux. Et les „mains secourables“ on les pille aussi. Comme si l’on avait plus besoin de secours que le pays qui les envoie. Se dessine une double peine pour les pays fournisseurs de migrants. Non seulement on leur vole des talents, mais on laisse sur place ce qu’un ancien premier ministre français, Michel Rocard, appelait  „toute la misère du monde“. Celle-là, on continuera de ne pas l’accueillir. On fait, en quelque sorte, venir celles et ceux qui en ont le moins besoin. Mais dont on a le plus besoin.

25/05-06/06/23

„La jeunesse des collines.“ Quel beau nom! Quelle belle métaphore! C’est presque de la poésie. „Burqa.“ Qu’est-ce que ça sonne mauvais. A nous hérisser les poils. Or, „La jeunesse des collines“ est un mouvement colon israélien. Un mouvement fasciste. Et „Burqa“ le nom d’un village palestinien, non loin de Naplouse. Qu’est-ce qui les relie? Dans la matinée du 24 mai, Burqa avait osé accueillir une délégation diplomatique de l’Union européenne. Pour constater de ses propres yeux le vol des terres par les colons, les menaces qui sans cesse pèsent sur le village. Mal leur en a pris. „Des Israéliens cagoulés, originaires de l’avant-poste illégal d’Homesh ont attaqué des maisons et des habitants du village.“ C’est The Times of Israel qui le dit.

Parlons-en de Homesh. Un peu d’histoire ne fait de mal à personne. 1978 : Israël exproprie plus de cent hectares de monts appartenant au village de Burqa. Pour y établir un avant-poste militaire qui, en 1980, devient la colonie de Homesh. Un scénario classique. D’abord les soldats, puis les colons. La colonie s’étend, mais, las, 25 ans plus tard, en 2005, Ariel Sharon, au moment d’évacuer Gaza, enjoint également aux colons de Homesh de se retirer. Le fameux plan de désengagement unilatéral. A-t-on alors rendu les terres aux habitants de Burqa? Non. L’armée israélienne en a interdit l’accès aux Palestiniens. Les colons israéliens, eux, n’ont pas été empêchés d’y maintenir leur présence. Recommence le bras de fer. Y compris au niveau juridique. Et, miracle, la justice donne raison aux habitants de Burqa. La Haute Cour israélienne. Elle statue que Homesh est une propriété foncière appartenant aux agriculteurs palestiniens. La présence de colons israéliens y est interdite. Ce qui signifie que la colonie de Homesh est illégale, non seulement, comme toutes les autres colonies, d’après le droit international, mais également au regard du droit israélien. Je repose la question: A-t-on alors rendu les terres aux habitants de Burqa? Non. Les colons sont restés, y maintenant un avant-poste, se mettant ainsi hors la loi. Et l’armée israélienne a laissé faire. Epilogue, il y a un peu plus de deux mois, en mars dernier, la Knesset, le parlement israélien donc, a tranché. En faveur des habitants de Burqa? Non. Elle a permis aux colons de réinstaller la colonie de Homesh. Le feu était remis aux poudres. C’est ce que la délégation d’élus de l’Union européenne était venue constater ce 24 mai. Un appel à l’aide des agriculteurs de Burqa, pour sortir de l’isolement médiatique qui étouffe leur tragédie. En représailles, les colons ont envoyé leurs hommes de main de „La jeunesse des collines“ semer le feu et le sang. Selon Yesh Din, une organisation israélienne de défense des droits humains apportant un soutien juridique aux Palestiniens des Territoires occupés, „des dizaines de colons, accompagnés par l’armée, ont envahi le village, incendiant plusieurs maisons. Des Palestiniens ont signalé avoir été blessés par des tirs à balles réelles.“

Il y a désormais des escadrons fascistes, en Israël, agissant au grand jour, blessant et tuant des civils palestiniens. Et c’est sinon attisé, toléré par les autorités. Cela me fait mal de le dire. Le fascisme montre son visage le plus laid dans le pays dont les ancêtres en ont le plus souffert. Le 27 février dernier, une expédition punitive menée par plus de cent nervis armés s’en était prise à Huwara, un autre village palestinien non loin, lui aussi, de Naplouse. Même scénario de maisons brûlées, de tirs à balles réelles, faisant un mort et plus de cent blessés. Ce qu’on appelle la communauté internationale s’en est dite, comme toujours, „fort préoccupée“. Le mot „pogrom“ est tombé. Dans la bouche d’organisations israéliennes de défense des droits humains. Dans d’autres, ce serait taxé d’antisémitisme. Les escadrons fascistes, eux, se sentent épaulés. „Je crois que Huwara devrait être anéantie.“ Ça, c’est le plus sinistre des ministres du gouvernement de Netanyahou, Smotrich est son nom, qui l’a fanfaronné. Il occupe le portefeuille des Finances et dirige le parti d’extrême droite Sionisme religieux. C’est un appel au pogrom. „C’était irresponsable, c’était répugnant, c’était dégoûtant.“ Ces mots-là viennent, une fois n’est pas coutume, du porte-parole du Département d’Etat étasunien. Est-ce dire que l’allié historique et inconditionnel d’Israël commence à avoir honte de soutenir l’insoutenable?

Sur l’auteur

Jean Portante est écrivain. Toutes les deux semaines, il publie ici des extraits de son journal intime, commentant l’actualité avec un regard lucide et acerbe.

Jean Portante
Jean Portante Photo: Editpress/Hervé Montaigu