FranceUne réforme électorale rejetée par les Kanaks embrase la Nouvelle-Calédonie

France / Une réforme électorale rejetée par les Kanaks embrase la Nouvelle-Calédonie
Le conflit en Nouvelle-Calédonie se joue aussi entre les autochtones et les Français de souche Photo: AFP/Delphine Mayeur

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La Nouvelle-Calédonie, territoire d’outre-mer français d’un peu moins de 19.000 kilomètres carrés et d’environ 300.000 habitants, situé en Océanie et en mer de Corail, à quelque 17.000 kilomètres de la Métropole, et doté d’un statut particulier qui lui confère une autonomie poussée, est de nouveau en proie, depuis le début de la semaine, à de graves troubles. Des troubles qui ont déjà fait au moins quatre morts par balles, et viennent réveiller de douloureux souvenirs vieux de plusieurs décennies.

Des souvenirs qui renvoient à ce que l’on appelle pudiquement à Nouméa, la métropole régionale, „les événements“, en fait une série d’affrontements entre les indépendantistes kanaks, autrement dit les héritiers de la population autochtone de l’archipel avant l’arrivée des Britanniques, qui laissèrent la place aux Français en 1853, et les forces de l’ordre. Et cela dans un climat qui allait vite devenir, à la fin des années 1980, quasi-insurrectionnel, et culminer dans le drame de la prise d’otages de gendarmes et d’Européens par les Kanaks dans la grotte d’Ouvéa, opération qui donna lieu à un sanglant assaut en 1988.

Cette affaire créa un choc suffisant pour que des négociations s’engagent. François Mitterrand, réélu, en chargea son nouveau premier ministre, Michel Rocard, dont les talents de diplomate se révélèrent à cette occasion puisqu’un accord put être conclu entre le gouvernement de Paris et, sur place, les représentants des deux communautés, le député Jacques Lafleur pour la population d’origine européenne, et Jean-Marie Djibaou – qui se révéla lui aussi en la circonstance un négociateur avisé et réaliste – pour les Kanaks.

Dans l’accord historique du 26 juin 1988, ceux-ci allaient obtenir, à défaut de l’indépendance de la „Kanakie“ (ainsi nomment-ils ce que du côté officiel français on continue d’appeler la Nouvelle-Calédonie) un certain nombre d’avancées importantes en leur faveur. En particulier sur le plan économique, avec le lancement de grands travaux, sur le plan identitaire avec des mesures de protection de leur langue et de leur culture, et bien entendu sur le plan politique, avec un réaménagement des structures régionales dans une optique autonomiste, incluant une meilleure représentation de leur ethnie.

Trois référendums ont rejeté l’indépendance

Et surtout la promesse de l’organisation d’un référendum sur l’indépendance de l’archipel, ce qui nécessita d’ailleurs une révision de la Constitution de la Ve République. Mieux encore: si le „non“ l’emportait, il était convenu qu’ils pourraient demander une nouvelle consultation deux ans plus tard, puis une nouvelle fois quatre ans plus tard en cas de nouveau refus populaire. Cet engagement de Paris allait être tenu à trois reprises comme promis, et à trois reprises aussi, le „non“ l’emporta très largement, quoique le „oui“ à l’indépendance ait progressé lors de la dernière consultation.

Mais c’est plutôt une nouvelle péripétie parlementaire qui a, cette fois-ci, mis le feu aux poudres. A Paris, l’Assemblée nationale a en effet commencé en début de semaine l’examen d’un projet de loi déjà adopté par le Sénat, et tendant à élargir le corps électoral néo-calédonien aux élections provinciales. Auparavant, seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant la date de 1998 peuvent voter aux élections provinciales; il s’agit dans ce texte d’y inclure notamment les personnes ayant au moins dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie, ce qui ajouterait quelque 25.000 habitants au corps électoral de l’archipel. Réajustement dans lequel les indépendantistes voient „le risque de minorer encore plus le peuple kanak“ au profit de la majorité favorable au maintien de l’archipel dans la République française.

Depuis, les manifestations ont dégénéré en émeutes, avec d’importants dégâts matériels, des gendarmes blessés plus ou moins grièvement, des bâtiments et des voitures incendiés, des routes hérissées de barricades, et des affrontements entre les Kanaks et des groupes d’auto-défense de la population d’origine européenne qui ont déjà fait au moins quatre morts par balles, et probablement davantage. En particulier à Nouméa, où un couvre-feu a été établi dès mardi soir sans parvenir à empêcher une nouvelle nuit d’émeutes, théâtre de nombreuses destructions et des pillages de magasins.

Le nickel et la zone maritime

De son côté, le gouvernement tente de déminer la situation et d’obtenir un retour au calme, en assurant qu’il „tend aux indépendantistes une main qu’ils devraient s’empresser de prendre“ et invitant leurs leaders à venir négocier ce qui peut encore l’être. L’exécutif ajoute que de toute façon le Congrès (autrement dit la réunion des députés et des sénateurs), qui devra transformer en nouvelle révision constitutionnelle le vote parlementaire ne sera pas réuni dans la foulée de l’approbation du texte au Palais-Bourbon, intervenu tard dans la soirée de mardi, mais nettement plus tard.

Mais s’il redoute tant une possible dérive qui rendrait l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie inéluctable, ce n’est pas seulement par principe: c’est aussi pour des raisons internationales, tant économiques que stratégiques. Car l’archipel dispose de très importantes ressources en nickel, estimées à au moins 25% des réserves mondiales; et il contribue d’autre part à doter la France d’un vaste domaine maritime, dans une région du monde où celui-ci peut se révéler capital.

Deux raisons aussi pour lesquelles, soupçonne-t-on à Paris, la Chine pourrait bien être à la manœuvre, comme elle l’a par exemple été pour détacher, économiquement dans un premier temps, les îles Salomon de l’influence américaine. Pékin ayant de plus en plus tendance à considérer comme sien l’immense ensemble du Pacifique. En attendant d’y voir plus clair, le président Macron a d’ailleurs convoqué un conseil de défense à l’Elysée à l’issue duquel le président a décidé d’imposer l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie.