Pourquoi j’ai dû faire passer clandestinement les cendres de mon beau-père défunt en Islande
Il arrive que le vrai visage d’une civilisation ne se révèle ni dans ses musées ni dans ses bibliothèques, mais au guichet impersonnel d’un aéroport. Nous étions là, ma femme et moi, impatients de retrouver la famille en Islande. Dans la valise: les cendres de mon beau-père – certifiées, légales, inoffensives. Un dernier fragment d’humanité, en quête de son ultime retour au pays.
Devant le comptoir du check-in, le panneau qui montre tous les objets défendus dans l’avion. Je le scrute soigneusement: bombes interdites, pistolets interdits, couteaux interdits. Un pictogramme martial, flamme et mèche incluses. Rien sur les urnes. J’étais soulagé! J’en ai déduit, logiquement, que si l’on m’interdisait même les explosifs en image, mais que les cendres n’étaient pas mentionnées, j’étais en règle. Après tout, la cendre est l’antithèse du feu. Mais la réalité s’annonçait autrement.
„Est-ce votre bagage?“, demanda une dame en uniforme de la compagnie aérienne, sévère comme une frontière.
„Bien sûr.“
„Il contient un objet que vous ne pouvez pas transporter.“
„Ce n’est pas un objet, mais mon beau-père – ou du moins ses restes mortels sous forme de cendres.“
„Je parle de l’urne. Les contenants métalliques sont proscrits par nos directives.“
Je pointai le panneau, avec une ironie polie: „Bombes! Pistolets! Couteaux! Voyez, tout est indiqué, sauf les urnes.“
Elle acquiesça doctement: „Justement. C’est une exception.“
Nouvelle logique pour moi: ce qui n’est pas sur la liste est interdit, parce que c’est exceptionnel. „Vous voulez dire que pour la compagnie, il est plus normal que des gens se promènent ici avec des bombes et des pistolets que de transporter des cendres d’un défunt?“
Pris d’un léger effroi, je scrutai les alentours, craignant de croiser un passager muni d’explosifs. L’aéroport semblait soudain un lieu périlleux.
La fonctionnaire, imperturbable, poursuivait son devoir. „Les rayons X ne traversent pas l’acier, nous ignorons ce que vous transportez.“ „Soulevez simplement le couvercle, vous verrez.“ Elle refusa – la curiosité scientifique s’arrête là où l’on risque de se salir les doigts de poussière.
La police fut finalement appelée pour trancher ce cas insolite. Les agents examinèrent l’urne et le certificat qui m’autorisait à transporter cette urne, trouvèrent tout en ordre et me souhaitèrent bon voyage. Mais règle est règle, répéta l’uniforme, inflexible. Les policiers s’excusaient, exprimaient leur sympathie tout en me disant qu’ils ne pouvaient pas faire plus pour moi.
Nous avons donc rebroussé chemin. Ma femme, mon beau-père et moi. A pied.
De retour à la maison, les funérailles en perspective (les rendez-vous sont difficiles à déplacer dans l’éternité), je repensai à ma phrase: chimiquement, guère différente de la cendre de cheminée. Nous avons trouvé un carton discret: „Bicarbonate de sodium.“ Un manteau neuf pour une dignité ancienne. Nouveau vol, même aéroport, mêmes panneaux. Cette fois, personne n’a rien remarqué. Le monde est rassuré tant que les cendres voyagent sous l’étiquette d’un produit ménager.
Les funérailles furent belles, le ciel limpide, la famille reconnaissante. Il reste pourtant un arrière-goût amer: aucune circonstance qui aurait pu menacer la sécurité du vol a été constatée, aucune loi n’a été effrénée comme nous l’ont affirmé les policiers, seulement un règlement interne qui n’est pas publié de façon correcte. Une boîte de haricots aurait franchi la frontière sans encombre.
La dignité de l’homme est certes intangible, mais cela ne vaut plus pour ses cendres. Seul réconfort: mon beau-père ne saura jamais que son dernier voyage s’était accompli dans un carton de bicarbonate de sodium.
De Maart
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