La longue vie des clichés

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L’histoire du concombre tueur est révélatrice à plus d’un titre pour une Allemagne qui, tout en restant la locomotive de l’économie européenne, a une peur bleue de l’avenir.

Or, la peur est par définition irrationnelle et favorise tous les clichés et tous les préjugés. Comme celui qui veut que les pays du Sud de l’Europe soient plus laxistes, plus fainéants, plus insoucieux et donc moins fiables que ceux du Nord.

Danièle Fonck
dfonck@tageblatt.lu

Il était, dans une telle vision des choses, du moins dans un premier temps, inconcevable d’imaginer que l’origine de la bactérie E.coli 0104 puisse être allemande. La hâte avec laquelle on a pointé du doigt l’Espagne, celle du Sud de préférence, sans vérification sérieuse, en dit long sur la santé des clichés. La déclaration s’est propagée – avec des médias à l’affût de la moindre nouvelle faisant recette – comme une onde de choc et a touché, à la minute même où elle est sortie de la bouche des porte-parole allemands, de plein fouet les producteurs espagnols qui n’en reviennent toujours pas de s’être ainsi vu montrer du doigt.

Un seul mot prononcé à la va-vite

On en est donc arrivé là. Aujourd’hui, un seul mot prononcé à la va-vite quelque part dans le monde peut faire des ravages instantanés à l’autre bout de la planète. Voilà donc une filière économique toute entière sinistrée en un rien de temps. Sinistrée durablement, parce que si l’effet d’annonce est instantané, il a, contrairement à son démenti, de beaux jours devant lui.

Mais revenons au cliché. La bactérie se devait de provenir d’un pays jugé moins fiable que l’Allemagne. Cela se trouvait dans la tête de tous ceux qui ont contribué à propager la nouvelle. Et même s’ils sont aujourd’hui, alors que les dégâts sont faits, forcés d’avouer que c’est probablement chez eux qu’est née la bactérie tueuse, ils n’en continuent pas moins à nourrir leurs préjugés.

Parmi ceux-là, la palme revient à celui qui dit que, si la Grèce est dans de mauvais draps aujourd’hui et ne mérite pas qu’on l’aide, c’est parce que les Grecs seraient plus paresseux que les Allemands. La cure de cheval que les instances monétaires internationales font subir à Athènes, au risque d’étouffer un Etat malmené à outrance par les aléas de la crise économique, ne suffit pas à effacer des logiciels allemands l’image qu’ils se sont faite des Grecs.

Or, il suffit de regarder les chiffres de l’OCDE pour se rendre compte que, contrairement à ce qu’on croit, non seulement en Allemagne, mais un peu partout dans le Nord, et même chez nous, la durée du travail annuelle est moins longue qu’en Grèce, au Portugal ou en Espagne. En d’autres mots, les Grecs, les Portugais, les Espagnols effectuent, chaque année, bien plus d’heures de travail que les Allemands. Quant à la sacro-sainte productivité, elle n’est pas davantage plus consistante outre-Rhin que dans l’Europe du Sud. Et même en ce qui concerne l’âge réel du départ à la retraite, on n’est pas mieux loti en Grèce qu’en Allemagne.

La crise grecque n’a rien à voir avec cela. Tout comme le fait que la moitié des jeunes Espagnols n’aient pas de travail et soient de ce fait exclus de la vie sociale. La santé des préjugés relève plutôt du réflexe de repli sur soi, de plus en plus propagé sur le vieux continent. Au lieu de miser sur la solidarité qu’appellerait un destin européen commun, on préfère, quand ça va mal et que la peur s’installe, fustiger les plus faibles.

Que n’aurait-on dit si la catastrophe de Fukushima s’était produite non au Japon mais en Italie par exemple. Cette Italie qui a cru bon, en son temps, de ne pas se doter d’un parc de centrales nucléaires. Cette Italie que l’Allemagne imite désormais quand elle affiche sa volonté de sortir à son tour de l’ère de l’énergie atomique.