Droits d’auteurZhang vs Dieschburg: Une affaire originale à la barre

Droits d’auteur / Zhang vs Dieschburg: Une affaire originale à la barre
A gauche la peinture de Jeff Dieschburg, à droite la photo de Jingna Zhang Photo: twitter.com/zemotion

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Mardi après-midi se tenaient devant la Cour d’appel les plaidoiries dans l’affaire de plagiat qui oppose l’artiste-peintre Jeff Dieschburg à l’artiste photographe Jingna Zhang. C’est la question de l’originalité de l’œuvre copiée, et avec elle de la pratique photographique, qui est posée.

Le 10 octobre dernier, l’avocat de Jeff Dieschburg, Gaston Vogel, avait promis l’enfer à l’avocat de Jingna Zhang, Vincent Wellens, à leur prochaine rencontre. Les plaidoiries venaient d’être remises au 21 février en raison d’une pièce déposée tardivement par ce dernier. C’était le deuxième report des plaidoiries après qu’un accident avait empêché Gaston Vogel de plaider au mois d’avril précédent. C’est donc plus de 14 mois après le jugement, en première instance, par la huitième chambre civile du tribunal d’arrondissement présidée par le juge Hannes Westendorf, que l’affaire était plaidée en appel en ce 20 février.

Les deux artistes en litige étaient dans la salle, au côté de leur défenseur. La présence de Jingna Zhang, résidente américaine, était nouvelle et devait démontrer qu’elle ne nourrissait aucune condescendance envers la justice luxembourgeoise, comme allait le faire remarquer son défenseur, Vincent Wellens, premier à plaider. Le jugement du 7 décembre 2022 avait estimé que Jingna Zhang n’avait pas établi l’originalité de son œuvre et donc que cette dernière ne pouvait tomber sous la protection de la législation sur les droits d’auteur. Et dès lors, il ne pourrait y avoir contrefaçon. Pour être originale, une œuvre „doit porter la marque de la personnalité, de l’individualité, du goût, de l’intelligence et du savoir-faire de son créateur“, lisait-on dans le jugement.

La barre a été mise plus haut, alors nous sautons plus haut

Vincent Wellens, avocat de Jingna Zhang

A vrai dire, Zhang avait mis en avant „un travail particulier sur le choix des couleurs, l’éclairage, le positionnement, le maquillage et les vêtements du modèle ou encore l’ajout d’un bouquet de fleurs au coloris en contraste avec le reste du portrait“. Le tribunal avait toutefois jugé qu’il s’agissait là d’„affirmations générales, non étayées par des éléments précisés“ et regrettait l’absence d’informations sur des éléments tels que la composition et l’organisation de l’image, son cadrage, l’angle de prise de vue ou encore le choix de la luminosité, parmi d’autres. „La barre a été mise plus haut, alors nous sautons plus haut“, a résumé l’avocat Vincent Wellens, en déposant des plaidoiries écrites qui contiennent onze pages de descriptions sur la manière dont la photographe est intervenue, a mis son empreinte sur la photo. „A différents moments, dans la mise en scène, lors de la prise (éclairage, angle, atmosphère) et dans la postproduction par différentes techniques de développement, l’acte créatif peut intervenir en photographie“, a-t-il expliqué avant d’ajouter:  „Même si l’œuvre est composée d’éléments banals, tant que la composition est originale, il y a protection.“ „Même une photo de portrait, pourtant la plus banale pose qu’il puisse y avoir, peut être originale“, a-t-il souligné par ailleurs.

Questions de style

On pouvait s’attendre à des éclats lors des plaidoiries. Il y aura eu de l’électricité dans l’air, mais pas de foudres pour autant. Les débats étaient certes partis sur les chapeaux de roue. L’avocat de Zhang, Maître Wellens, après avoir dit l’importance de l’arrêt que devra rendre la Cour d’appel pour la photographie en tant qu’art ou activité intellectuelle, avait souligné que Jeff Dieschburg n’en était à vrai dire pas à sa première copie avec le cas présent, puisque deux œuvres de Bekka Björke avaient aussi grandement influencé deux autres tableaux. „Il est d’ailleurs en train d’en faire une de vous“, avait ricané Gaston Vogel.

Le jugement en première instance avait réussi à satisfaire l’avocat Vincent Wellens, en reconnaissant la titularité des droits de Jingna Zhang. Personne d’autre ne l’a réclamée, a-t-il fait remarquer. Quatre personnes présentes au shooting ont estimé qu’elle était bien l’auteure. „Eux étaient présents et la défense n’était pas là“, a souligné l’avocat. Et pour cause, en première instance, Jeff Dieschburg avait défendu l’idée que c’était la styliste qui avait le plus grand mérite dans une œuvre qui serait en fait collective. Lors de ses plaidoiries, Maître Vogel a continué à contester la titularité des droits et a remis en cause la véracité des témoignages. Il évoque une „collégialité malsaine“, à l’abri de toute plainte pour faux témoignage qu’il faudrait aller déposer à Singapour.

Le jugement avait aussi satisfait Gaston Vogel qui en a vanté la „haute intellectualité“ devant la Cour d’appel, du fait qu’il a considéré que l’originalité n’était pas établie. Pour la défense, la photographie de Jingna Zhang est banale. „L’œuvre pour autant que l’on puisse utiliser ce mot pompeux, était une image commerciale“, plaide Gaston Vogel. Zhang ne pourrait revendiquer le moindre impact, a-t-il dit, avant de citer une interview en anglais, dans laquelle elle parle de son manque de liberté dans de pareils exercices. Elle aurait simplement été appelée à la fin des préparations pour prendre quelques photos.

Gaston Vogel a aussi mis en avant les attaques dont Jeff Dieschburg avait été la cible, le jugement étant contesté par „des demeurés de la presse et des rebuts des réseaux sociaux“ – en amont des plaidoiries, l’avocat Gaston Vogel avait d’ailleurs refusé au Luxemburger Wort une déclaration de son client parce que la presse ne serait pas „en capacité de traiter objectivement du sujet“. Vincent Wellens aura rétorqué que sa cliente avait subi, elle aussi, son lot d’attaques, suggérant qu’elles étaient notamment venues du camp adverse.

Quant au jugement en première instance, Gaston Vogel a aussi manifesté son regret que „le tribunal a trop facilement glissé sur une question de procédure“ qu’il a de nouveau soulevé devant la Cour d’appel, à savoir qu’au moment de l’assignation, il manquait l’intérêt nécessaire pour aller en justice. L’exposition s’était achevée le 28 juin, Dieschburg en avait retiré l’œuvre le 3 juin. Et dans une lettre du 10 juin, il avait pris l’engagement qu’elle ne soit ni exposée ni vendue. „Tant que le tableau existe, il y a un risque de contrefaçon“, estime pour sa part l’avocat de Zhang. „Et si jamais on laisse faire ça, il pourra recommencer.“

En première instance, la défense avait évoqué que l’œuvre de Jeff Dieschburg, en fait un diptyque, relevait du pastiche. „Pour qu’il y ait pastiche en droit luxembourgeois, il faut qu’il y ait un élément humoristique“, a opposé Vincent Wellens, sans que Maître Vogel ne revienne sur le sujet. 

Si l’originalité de la photo était établie, la contrefaçon serait sans aucun doute, elle aussi, reconnue par la Cour d’appel. Jeff Dieschburg n’a jamais contesté s’être inspiré de la photo incriminée et, comme l’a souligné l’avocat de Zhang, il a déjà reconnu lui-même son erreur devant ses professeurs de l’université de Strasbourg, où il suivait un master en arts plastiques, pour éviter une sanction. L’avocat a aussi prévenu que si la titularité des droits n’était pas reconnue à Jingna Zhang, alors l’affaire repasserait devant les tribunaux, avec cette fois la styliste pour plaignante. La Cour d’appel rendra son arrêt le 8 mai prochain.