Cette période est courte, elle ne dure que deux mois, à la sortie de Vincent de l’hôpital de Saint-Rémy-de-Provence, en 1890. Auparavant, Van Gogh s’était installé à Arles en février 1888. Il y découvre la lumière du sud, sa palette s’est éclaircie. Van Gogh a une piètre estime de lui-même, issu d’une famille calviniste du Brabant, son père étant pasteur, il désire entrer au séminaire d’Amsterdam, mais sa préparation échouera. Il devient prédicateur laïc en Belgique, auprès de mineurs. Il prêche avec une telle fièvre qu’on le suspecte de folie mystique et il est relevé de ses fonctions. Le dessin l’intéresse, la peinture aussi. Son frère Théo l’encourage à suivre cette voie. Si l’on ne tombe pas dans le piège du voyeurisme d’une vie écorchée, jusqu’à rapprocher l’œuvre de l’état mental de Van Gogh, cherchant ici ou là des correspondances, c’est en partie grâce aux lettres que Vincent écrit à Théo. Certes, il y expose sa difficulté à vivre de sa peinture et la culpabilité qu’il éprouve, car son frère le soutient financièrement, mais il tient sur l’art et les visions qu’il en a des considérations d’une grande force. Imprégné de spiritualité, il cherche la lumière dans les ténèbres.
La couleur juxtaposée au geste
À Anvers, en 1885, visitant des galeries d’art, il découvre l’estampe japonaise, qui orientera sa peinture d’une toute autre manière. Van Gogh se dégage alors de la notion de profondeur et de spatialité pour donner une vision en deux dimensions. Plus légère, où la couleur et la forme dominent. Il faut savoir que les touches si typiques de l’œuvre de Van Gogh sont des gestes à vif sur la toile, laissés tels quels. La couleur, libérée du relief, est souveraine. Cette couleur triomphe dans le sud, où Van Gogh croit trouver le paradis évoqué par les estampes – la mise à plat des champs, les volutes du ciel, la lumière vive.
S’étant lié d’amitié avec Gauguin lors de son passage à Paris, il l’invite à venir séjourner dans le sud, espère une émulation dans leurs travaux respectifs. On le sait, l’équilibre de Van Gogh est vacillant, son angoisse sublimée par la peinture, notamment par la couleur, qui doit reposer l’esprit. Chaque couleur a une vertu symbolique. Le jaune est celui de la lumière, le bleu évoque la profondeur et le mystère de l’univers, le rouge et le vert, la passion. Ces couleurs viennent se poser comme indépendantes de ses gestes fébriles. Et c’est là la force de Van Gogh, cette essence de la couleur, juxtaposée au geste, au mouvement en volute. Deux pôles, la lumière et la fébrilité, travaillent l’espace de la toile.
Des événements ont bouleversé la vie du peintre et sûrement influencé son évolution. Le 23 octobre 1888, Gauguin rejoint Van Gogh à Arles pour travailler avec lui. Ils se disputent le 23 décembre et Van Gogh menace de tuer Gauguin. En état de sidération devant cette menace et la gravité de son acte, Van Gogh se tranche l’oreille. Ce sont ses premières crises de démence. Son frère Théo vient le secourir, Vincent van Gogh accepte de se faire interner. Il peint entre deux crises. Après une grave dépression, Van Gogh quitte la maison de santé de Saint-Paul-de-Mausole à Saint-Rémy-de-Provence le 16 mai 1890. Les médecins l’estiment „guéri“. Van Gogh paraît apaisé, ce que confirmeront sa belle-sœur et son frère Théo, lorsqu’il les visitera à Paris avant de s’installer à Auvers-sur-Oise, où il compte bien les voir. Son suicide, deux mois après la sortie de l’hôpital, surprend tout le monde. Sa souffrance semble sans issue, malgré le fait qu’il peigne de manière acharnée, et malgré la présence du docteur Gachet, qui le reçoit chez lui et l’encourage. Arrivé en mai 1890 à Auvers-sur-Oise, Van Gogh se tire une balle dans la poitrine, le 27 juillet, au milieu d’un champ peint quelques jours plus tôt, „Champ de blé“ (1890). Il succombe à sa blessure le 29 juillet, son frère Théo est à son chevet.
„Cet éternel indéfinissable“
Pendant cette courte période, il peint des chefs-d’œuvre. Le docteur Paul Gachet (6-7 juin 1890) représente son ami dans une pose mélancolique, la mélancolie étant la maladie dont il est le spécialiste. Van Gogh semble en même temps dresser un autoportrait, car il dira: „Son expérience de docteur doit le tenir lui-même en équilibre en combattant le mal nerveux duquel, certes, il me paraît attaqué au moins aussi gravement que moi.“ Van Gogh tente d’atteindre, dans ce qu’il appelle le „portrait moderne“, „cet éternel indéfinissable, dont le nimbe était le symbole et que nous essayons d’atteindre par l’éclat lui-même, par la vibration de nos couleurs“. Il trouve ses modèles chez le docteur Gachet, peint sa fille Marguerite, ou dans son entourage immédiat, la fille de son aubergiste, Adeline Ravoux, des enfants, d’autres personnes anonymes.
Alors que les peintres qui séjournent à Auvers-sur-Oise, qui n’est qu’à une heure de train de Paris, représentent les rives de l’Oise, Van Gogh se sent davantage attiré par les champs, les maisons, et l’église, qu’aucun à part lui n’a représentée. Une touche torturée, un bâtiment fortement structuré et qui semble cogner contre le ciel, tandis que le paysage autour vacille, une silhouette donnant par sa présence la mesure de l’édifice, du paysage. La même touche torturée, l’espace vacillant et une présence forte, celle de Vincent van Gogh, font écho, par le traitement, à l’église, il s’agit d’un autoportrait datant de la même époque. Ailleurs, les audaces perceptives sont magistrales dans leur traitement, les champs courent, tandis que le ciel semble y répondre par des mouvements qui viennent se surimposer, chaque élément se distingue par une touche particulière, les feuillages sont denses, abondants. La force d’expression est là sans la pesanteur de la profondeur. La vision s’étale et parcourt un espace à la fois lumineux et violent.
Le jour de son suicide, Van Gogh peint un entrelacs de racines dans un cadre resserré, un enchevêtrement tortueux, symbole d’une vie de souffrance. Auparavant, le 10 juillet, Van Gogh écrivait: „Ma vie à moi aussi est attaquée à la racine même.“
Les œuvres sont sidérantes, magistrales, d’une grande puissance. Cette exposition est un immense cadeau.

Infos
Van Gogh à Auvers-sur-Oise, Les derniers mois
Jusqu’au 4 février 2024
Musée d’Orsay
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing
75007 Paris
www.musee-orsay.fr
Catalogue de l’exposition: Van Gogh à Auvers-sur-Oise, Les derniers mois, versions français et anglais, Coédition Musée d’Orsay/Hazan, 45 €
De Maart
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