IcôneUn tombeau pour Serge Gainsbourg

Icône / Un tombeau pour Serge Gainsbourg
Charlotte Gainsbourg à la cérémonie d’ouverture de la „Maison Gainsbourg“, la première institution culturelle dédiée à son père, l’artiste Serge Gainsbourg (1928-1991) Photo: AFP/Alain Jocard

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

La maison de Serge Gainsbourg faisait rêver, du vivant de l’artiste. Facile à reconnaître par les graffitis en son hommage. A sa mort, en 1991, la maison est restée en l’état. Depuis septembre 2023, nous pouvons la visiter, dans une atmosphère à la fois fascinante et mélancolique.

Cette immersion dans l’univers de Gainsbourg se fait sur l’invitation de sa fille, Charlotte Gainsbourg. Muni d’un casque, le visiteur se laisse guider. La voix est légère, tremblée, proche de la diction et de la fragilité de celle de sa mère, Jane Birkin. Cette maison, aux murs et aux plafonds noirs, a été longtemps le refuge de Charlotte, avant qu’elle puisse, la douleur atténuée, l’ouvrir au public et ainsi rendre un dernier hommage à son père. Elle nous confie qu’il était impossible d’aller se recueillir sur la tombe de son père, à cause de la foule, et qu’elle se tenait là, dans ce sanctuaire. Nous sommes d’emblée transportés, avec délicatesse et une forme élégante de familiarité, dans l’univers fantasmé par tant d’entre nous.

Une intimité perdue

Ouvrez la porte, dit Charlotte. Nous entrons dans le salon. Des pianos, des photos de Brigitte Bardot, de Jane Birkin, de Charlotte, un canapé qui a gardé trace du corps de Serge Gainsbourg. C’est ce qui lui faisait le plus mal, nous confie Charlotte, la trace de ce corps qui évoquait à la fois la présence d’autrefois et l’absence de son père. Quelques lumières sont allumées, accentuant la profondeur du noir partout, comme un cocon, une protection contre le monde extérieur. Gainsbourg se levait tard, vers les 13 h. Puis, nous ressortons et longeons un couloir qui mène à la porte d’entrée des familiers. Une cuisine minuscule, que tous les fans de Gainsbourg et Birkin connaissent, par des reportages où on les voit deviser, tandis que Charlotte dormait dans la chambre, à côté. Une pièce condamnée, la porte en bois, au loquet métallique, a été définitivement fermée lorsque Serge Gainsbourg, qui louait cette chambre attenante à la maison, a voulu l’acheter et qu’on le lui a refusé. Cet événement a correspondu avec le départ de Jane Birkin. Le ton de la confidence nous place d’emblée dans un mode particulier, nous visitons les lieux en voyeurs d’une intimité perdue. Nous marchons sur les traces d’un mythe, habités par la vie et la mort, par une époque qui nous semble aujourd’hui bien lointaine. Comment Serge Gainsbourg s’y prendrait-il aujourd’hui avec la censure, le politiquement correct, lui qui déjà en scandalisait beaucoup? C’est en connaissant sa carrière, son côté sulfureux, que nous avançons – un peu comme si nous visitions la maison d’Elvis Presley. Il est rare de se trouver, en France, dans une telle situation, sur les lieux de vie d’une icône.

Réincarner le souvenir

Nous repassons par le salon, ouvert du côté des familiers. Une autre anecdote, qui prouve la fascination que Gainsbourg exerçait. Sur une table, des insignes de policiers, des menottes. Et Charlotte de nous dire que son père, la nuit, invitait la police chez lui. Après de longues heures de conversation, les policiers acceptaient de laisser leurs insignes, ce qui était formellement interdit, et qui réjouissait Serge Gainsbourg. Nous montons à l’étage. Et toujours dans le culte de l’idole, nous arpentons des couloirs, regardons la mince penderie de Serge Gainsbourg. Trois quatre jeans, trois quatre chemises, des vestes, des chaussures blanches Repetto, qu’il portait hiver comme été sans chaussettes. Ce sens du détail, il n’y avait que Charlotte pour nous le donner, avec la sincérité d’un amour qui cherche à reconstituer, à offrir des pans de vies. Ce besoin de redonner corps à son père, de réincarner le souvenir, est émouvant et juste. La salle de bain, Jane Birkin et ses filles, la façon de leur sécher les cheveux avec des serviettes, en frottant les têtes vigoureusement.

Et s’il s’agissait d’un journal intime, celui de Charlotte Gainsbourg, couplé à la créativité de Serge Gainsbourg et de Jane Birkin? Charlotte Gainsbourg nous écrit depuis l’infini de son enfance, de sa nostalgie, de sa chair. De sa solitude d’enfant abandonnée par un père disparu. Nous arrivons à la chambre, noire, où Gainsbourg a été retrouvé mort, parti d’un infarctus, on l’a trouvé là, couché, une jambe sortant du lit. Charlotte s’est allongée à côté de lui. Le temps ne passait plus. Elle entendait au-dehors les messages d’amour criés par ses fans. Dans cette chambre noire et mythique, où un écran se déroulait pour des séances de cinéma. Gainsbourg et Charlotte y regardaient des films américains, sans sous-titres, et toujours cette voix de Charlotte, qui nous donne l’adresse où il achetait les cassettes. Nous devenons des habitués des lieux. Nous imaginons, nous voyons Gainsbourg, sur sa dernière couche. Et nous avons hâte de ressortir de ce tombeau, les murs noirs se resserrent sur la mémoire et le temps à jamais enfoui. Ce temps de l’imprégnation joue longtemps après la visite, la voix de Charlotte résonne, comme celle d’une enfant, portant dans son récit la force de l’universel. Ce moment est unique et précieux.

La puissance des archives

En traversant la rue, de l’autre côté, il s’agit de tout autre chose, de plus habituel. Le Musée Gainsbourg. Emouvant et archivé. Depuis les premiers bulletins de classe de Serge Gainsbourg jusqu’à ses films, les pochettes de la chanson à scandale et qui eut un succès fou, „Je t’aime moi non plus“. Avec la beauté flamboyante de Brigitte Bardot, Jane Birkin, les audaces et l’érotisme. Les interviews télévisées de Gainsbourg, ses quelques peintures, lui qui portait cet art au pinacle, des livres – il lisait beaucoup. Sa voix, son visage, et cette veste à rayures, qui devint son uniforme. Le musée prend de l’ampleur après la visite de la maison. Toujours dans le culte de la star. Ce qui manque peut-être, c’est d’entendre çà et là ses chansons, sa voix, des extraits de disques mythiques, comme „L’Homme à tête de chou“.

En montant quelques marches, nous arrivons au bar, créé à l’image de ceux que Serge Gainsbourg côtoyait, luxe et cocktails choisis, les murs toujours noirs, et la moquette semblable à celle de la maison de Gainsbourg, des fleurs de pavots. Un lieu pour des nuits blanches. Tout de suite après, la salle aux produits dérivés. Les jeans et chemises et vestes à la manière de Gainsbourg, entre autres. Il est curieux, étrange, peut-être inconfortable, d’avoir dérivé ainsi, depuis l’intime, chuchoté par Charlotte Gainsbourg, aux produits à acheter. En tout cas, le culte de Serge Gainsbourg est vivace. Et nous emportons surtout la force du texte de Charlotte Gainsbourg, l’hommage à son père, dans des lieux devenus émouvants.

Infos

Maison Gainsbourg
14, rue de Verneuil
75007 Paris
maisongainsbourg.fr