Dans la préface du livre de Busty, „Pete Doherty“ (2006), Patrick Eudeline écrit: „Comment ne pas aimer Doherty? Il est tout le Rock. A une époque où du rock, il n’y en a plus guère.“ Sauf que. Nous sommes au milieu des années 2000. Le retour du rock a bien eu lieu avec Arctic Monkeys, The White Stripes, The Strokes, Interpol ou Franz Ferdinand. Eudeline complète sa sentence péremptoire par cette question rhétorique: „Quelqu’un qui vit sa vie comme un roman qui s’écrit au jour le jour?“ En effet. Aussi bien par ses coups de génie que par sa vie, relatée en long en large et en profondeur dans les tabloïds ainsi que par les qualificatifs qui font office de synonymes à son sujet (écorché, romantique, imprévisible), Pete Doherty est – et reste – „tout le Rock“. Avec Amy Winehouse, Pete est bien la rock star de ce début de siècle.
Les années 2000 sont aussi appelées les „années zéro“, comme s’il fallait tout reprendre depuis le début; le passé ressemble à une page blanche. Formés en 1997 à Londres par Pete Doherty et Carl Barât (auxquels s’ajoutent Gary Powell à la batterie et John Hassall à la basse), c’est bien au début des 2000s que The Libertines font des étincelles, en reprenant le bon vieux tryptique „sexe, drogue et rock’n’roll“, comme si rien n’avait existé avant, mais aussi comme si rien ne serait plus pareil après. Pete Doherty, dans ses mémoires intitulés „Un garçon charmant“ (2024): „Je me rappelle avoir regardé le dos de la pochette de l’album de Supergrass ‚I Should Coco‘, où l’on voyait le groupe en sueur dans des fringues cool, photo prise après un concert, et avoir alors pensé que c’était ça, la vie.“ Ça sera ça, sa vie.
Pete et Carl
Avec The Libertines, la démarche est nihiliste. Il s’agit de tout envoyer valdinguer. Avec ses „fucking“ épars, le premier single „What A Waster“, qui parle en fait d’un junkie, ne passe pas par quatre chemins – par conséquent, pas trop sur les ondes. Production: Bernard Butler, l’ex-guitariste de Suede. C’est la classe. On parle très vite de The Libertines en tant que „réponse anglaise aux Strokes“. La possibilité d’une rivalité? Pete Doherty est fan du combo américain; elle se situe ailleurs, la rivalité. Pete Doherty est „tout le Rock“ mais rectifions le constat, dans le cadre des Libertines: à lui seul, non; avec Carl Barât, oui. Carl n’aime pas toujours que son acolyte tire trop la couverture (des magazines) à lui. Au sujet de leur relation, le terme „turbulence“ ressemble à un euphémisme. Plus qu’à des amis, les deux trublions font penser à des frères; dans le rock, en l’occurrence, à des frères tels que les Reid (The Jesus & Mary Chain) ou les Gallagher (Oasis). Il est question de bagarres sur scène. De guitares en sang.
Le nom du premier album, „Up The Bracket“ (2002), se réfère à une phrase de „Half Hour“ de Matt Hancock qui signifie „Dans ta gueule“. Parle-t-il de l’uppercut provoqué par la décharge électrique de ce brillant manifeste? Sûrement, mais en parlant de „clash“, c’est Mick Jones qui produit l’album et le suivant, „The Libertines“ (2004). Une claque. A l’instar de „Campaign Of Hate“, avec sa courte accélération finale, si les titres sont enregistrés à l’arrache, les guitares parfois par-dessus la jambe et le chant pas toujours juste, tout cela sonne authentique, urgent; la spontanéité écrase le côté référencé. Et loin de n’être qu’un cafouillis brouillon, car ces types, en ayant l’air de ne pas trop forcer, savent écrire de sacrées chansons. Et en ce qui concerne les textes, imprégnés de références littéraires, „The Libertines“ met les deux doigts dans la crise: l’album suinte la passion et la tension, à travers les dommages des drogues dans une relation („The Saga“), jusqu’à ce que sur „What Became Of The Likely Lads“, les voix de Barât et Doherty, alors en champ-contrechamp, s’embrassent fort. Mais il y a un problème. Les concerts qui suivent le disque se font sans Pete Doherty; le groupe l’éjecte à cause de tout ce qu’il s’injecte. Pour Pete, cette décision rime avec trahison. En décembre 2004, rideau, c’est la fin des Libertines.
Entre 2004 et 2024, beaucoup de péripéties. Et, n’oublions pas, c’est le plus important, presque autant de musique. Babyshambles sort, rien à redire, deux bons disques, l’un en 2005, „Down In Albion“ (avec „Fuck Forever“, le dernier hymne rock à ce jour) et l’autre en 2007, „Shotter’s Nation“ (et la super ballade „There She Goes“). Entre les deux, en 2006, „My Dark Places“ marque le retour des cultes Television Personalities. Au sujet de Doherty, on pourrait y voir, en plus de Shane MacGowan ou Peter Perrett (il a chanté en leur compagnie), une filiation avec Dan Treacy, le leader cramé des TV Personnalities; la différence, c’est que ceux-ci, même réhabilités en 2010 par MGMT („Song For Dan Treacy“), n’ont jamais été des personnalités. Après la fin des Libertines, Pete Doherty, à l’inverse, continue d’occuper l’espace (médiatique) à travers ses histoires, de drogue ou d’amour avec Kate Moss. C’est un feuilleton. Pete ceci, Pete cela, Pete dessine sur les murs avec son sang, Pete annule une interview, Pete vole un cactus, Pete à sec, pour payer sa dope, fait des „concerts guérillas“, dans des appartements. En 2013, Babyshambles sort un „Sequel To The Prequel“ au songwriting soigné, pépère, à la Townes Van Zandt ou à la Bob Dylan. Et d’autres disques, en solo ou avec Frédéric Lo.
La musique, Pete Doherty n’a jamais arrêté: la drogue, si. Plus discret mais pas moins actif, Carl Barât, de son côté, mène la barque de Dirty Pretty Things et grave en 2010 un excellent album sous son nom („Carl Barât“, à cheval entre les Kinks et le cabaret). Ensemble ou séparés, Barât et Doherty restent des héros rétros-éternels. Il y a pas de fin non plus à The Libertines puisque le groupe revient en 2015, avec „Anthems For Doomed Youth“ et, incroyable, cette année encore avec „All Quiet on the Eastern Esplanade“. A Carl Barât les chansons les plus vitaminées, comme „I Have A Friend“ – tiens, tiens, ce titre – ou encore „Run Run Run“, où il est question de fuir le passé. Pendant ce temps-là, „Be Young“ semble être influencé par … Dirty Pretty Things. Et à Doherty les morceaux les plus mélancoliques, à l’instar de „Baron’s Claw“ avec sa trompette qui pleure ou „Merry Old England“, mais là, c’est Doherty qui sanglote. Sur „Night Hunter“ la voix des deux fusionne. Quelles retrouvailles! Et ils jouent ce 16 mai à l’Atelier … Après le retour du rock des années 2000, incarné avec panache par The Libertines, Pete Doherty et Carl Barât sur scène en 2024, c’est un retour miraculeux.
De Maart
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