La plus prestigieuse récompense littéraire du monde francophone a été attribuée à Éric Vuillard pour son récit saisissant sur l’arrivée au pouvoir d’Hitler, l’Anschluss et le soutien sans faille des industriels allemands à la machine de guerre nazie.
Le prix Renaudot a pour sa part été attribué à Olivier Guez pour „La disparition de Josef Mengele“ (Grasset), un roman en forme de documentaire sur les dernières années du médecin tortionnaire d’Auschwitz, Josef Mengele.
Vuillard revisite l’Histoire
L’écrivain de 49 ans a une façon unique de se glisser dans les coulisses de l’Histoire pour donner à ses lecteurs une autre grille de lecture d’événements a priori archi connus. Après la chute de l’empire Inca („Conquistadors“, 2009), la conquête coloniale („Congo“, 2012) et la Révolution française („14 juillet“, 2016), „L’ordre du jour“ est l’occasion de revisiter l’arrivée au pouvoir des nazis.
Le 20 février 1933, un mois avant les élections générales, une réunion secrète se tient à Berlin autour d’Hermann Goering et du nouveau chancelier allemand Adolf Hitler. Elle réunit „le nirvana de l’industrie et de la finance“.
„Ils étaient vingt-quatre, près des arbres morts de la rive, vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paires d’épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même nombre de pantalons à pinces avec un large ourlet“, raconte Éric Vuillard.
L’implication de Krupp, Opel et Siemens
Parmi ces vingt-quatre, Gustav Krupp, Wilhelm von Opel, le patron de Siemens, d’IG Farben… Avec Éric Vuillard, nous sommes dans ce salon à Berlin et aujourd’hui, en 2017. „A présent, Opel est bien plus vieille que de nombreux États, plus vieille que le Liban, plus vieille que l’Allemagne même…“, écrit-il.
Ces industriels vont donner aux nazis tout l’argent qu’ils réclament pour les élections. Si les nazis l’emportent „ces élections seront les dernières pour les dix prochaines années et même pour cent ans“, dit Goering dans un éclat de rire sans provoquer l’effroi.
Le nazisme s’effondrera mais, rappelle Vuillard, BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken „sont là, parmi nous, entre nous“. „Tous survivront au régime et financeront à l’avenir bien des partis à proportion de leur performance“. Aujourd’hui encore, „notre quotidien est le leur. Ils nous soignent, nous vêtent, nous éclairent (…) Ces noms existent encore. Leurs fortunes sont immenses“.
On pense évidemment en lisant Vuillard au mythe terrible de Faust. Les nazis installés solidement au pouvoir, il y aura d’autres réunions où nous introduit Vuillard le passe-partout. En novembre 1937 après l’annexion de la Sarre, la remilitarisation de la Rhénanie, Hitler reçoit le Britannique Lord Halifax. Le vieil aristocrate britannique est fasciné par ses hôtes. „Pour ce qui est des idées (des nazis), il n’est pas bégueule Halifax“, écrit méchamment Vuillard.
Vuillard le passe-partout
L’écrivain est d’une ironie acide lorsqu’il raconte les rencontres en 1938 entre Hitler et Kurt Schuschnigg, „le petit dictateur autrichien“ qui ne voit pas venir l’Anschluss. La description du repas mondain qui a lieu à Downing Street le jour où les soldats allemands envahissent l’Autriche ressemble à un vaudeville atroce. Cette invasion, rappelle au passage Vuillard, présentée comme une promenade de santé par la propagande nazie, a failli en fait tourner au fiasco: quasiment tous les chars nazis sont tombés en panne à peine la frontière autrichienne franchie.
Orfèvre en écriture, Éric Vuillard a choisi de raconter l’Histoire en insistant sur les détails. „La vérité est dispersée dans toute sorte de poussière“, écrit-il. En 160 pages, l’écrivain au regard implacable – rien n’est inventé, tout est vrai – embrasse de façon magistrale cette tragédie européenne du XXe siècle.
Femina et Médicis à suivre
A côté du Renaudot et du Goncourt, nous connaîtrons cette semaine les lauréats du prix Médicis (révélés ce 9 novembre) et du prix Femina (annoncés le 8 novembre) et le Prix Décembre (couronnés demain).
Rappelons que le 26 octobre, ce fut Daniel Rondeau qui remporta le Grand Prix du roman de l’Académie française pour „Mécaniques du chaos“ (paru chez Grasset).
Nous reviendrons en détail, au cours de la semaine prochaine, sur les ouvrages couronnés en cours de cette semaine par les différents jurys du florilège de prix littéraires français.
De Maart
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