Depuis un „moment“, les inoubliables réalisateurs de „Rosetta“ (1999) partent en mission: présenter leur dernier opus au Festival de Cannes. Une troisième Palme d’or en vue? „On n’a qu’un souhait, que le film soit bien accueilli“, confiait Luc Dardenne, avant la projection officielle de „Jeunes mères“ au Festival. Tout a commencé par un début de scénario, celui d’une jeune mère hébergée dans une maison maternelle. La résidente n’arrivait pas à établir un contact avec son enfant. Au départ, il était question d’un seul personnage dans une institution dotée d’un personnel aidant, conseillant, soutenant, qui encadre les (futures) jeunes femmes.

„On connaissait son existence, mais on ne savait pas ce qu’il se passait réellement dans une maison maternelle“, précise Luc Dardenne. „Et on s’est dit, il faut qu’on se documente sur l’endroit où cette fille réside, puisque ce lieu va quand même dicter très pratiquement ses moments libres, la manière dont elle peut organiser sa vie à l’intérieur – bienveillant – et à l’extérieur – violent – parce qu’elle venait un peu de la rue aussi.“ Et ils y sont allés, tout simplement, par curiosité. Etonnés. Ils ont été „pris, happés par la vie“ qu’ils ont vue dans ce lieu appelé maison maternelle.
La coexistence de ces bébés, de ces jeunes mères et du personnel aidant les a captés. Ils ont passé du temps là-bas. Ils ont regardé, écouté. Rencontré à plusieurs reprises la psychologue, les éducatrices. „Et je pense que c’est de voir, comment cette fragilité de la vie, cette incertitude du premier lien entre ces jeunes femmes et leur bébé, étaient entretenues là-bas. D’une certaine manière, on s’est dit pourquoi ne ferions-nous pas un film de groupe, inévitablement. Comme si le lieu, les personnes nous avaient dit: racontez nos histoires. Ce serait l’occasion de faire autre chose“, se souvient Jean-Pierre Dardenne.
A la rencontre des mères
„Jeunes mères“ suit cinq adolescentes hébergées dans une maison maternelle à Alleur (région liégeoise, en Belgique). Toutes tentent de construire une vie meilleure pour elles et leurs enfants. Rejetée par ses proches à l’annonce de sa grossesse, Naïma (Samia Hilmi) quitte la maison maternelle, prête à se lancer dans la vie de mère célibataire dont elle avait honte. Julie (Elsa Houben), ancienne toxicomane, Jessica (Babette Verbeek), abandonnée par une mère qui le fut elle-même adolescente, Perla (Lucie Laruelle) et Ariane (Janaina Halloy Fokan), filles de femmes alcooliques ou en proie à des troubles psychiques, sont, elles aussi, sur cette voie, sur le chemin d’une libération possible.
Nous ne connaissions pas le fonctionnement d’une maison maternelle. Nous avons découvert un lieu doté d’humanité.
Avec „Jeunes mères“, le duo belge aborde le sujet de la filiation, en se plaçant du point de vue des femmes. Touchant par sa retenue et sa justesse, le film suit de façon très fluide le courage des jeunes femmes à disposer de leurs corps comme de leur vie. Les réalisateurs parviennent à restituer, à travers la fiction, dans un lieu qui n’est pas estampillé cinéma, la dimension universelle des trajectoires individuelles et à faire comprendre pourquoi l’expression désuète „fille mère“ devenue „mère célibataire“, longtemps synonyme de solitude et d’opprobre, est aujourd’hui encore source de colère et d’humiliation. A l’heure où certains pays contestent les droits des femmes, „Jeunes mères“ est un message qui s’adresse à tous les sexes et à toutes les générations.
Avec un film choral, comment faire?
Pour la première fois, les frères Dardenne ont réalisé une œuvre chorale. Et à les entendre, c’est une expérience fabuleuse, pour eux. Luc Dardenne explique: „D’abord, on ressent une peur, une gêne. Est-ce qu’on va y arriver? Comment enchaîner tout ça? Comment s’y prendre pour faire exister aussi cinq individus et que la structure du film n’apparaisse pas surconstruite? Donc, on a commencé par développer chaque histoire, chaque jeune fille, séparément. Et puis, on les a mélangées. Et en les mêlant, des morceaux d’histoire de chacune disparaissent. Nous avions un a priori: que chaque histoire se finisse bien. »
Evidemment. Les jeunes héroïnes de ce nouveau film luttent, sans le savoir, contre les lois d’un déterminisme social et familial qui n’invite aucunement à l’optimisme concernant leur avenir et celui de leur progéniture. Et pourtant. Deuxième révolution des frères Dardenne: au bout d’un long tunnel sombre, semé d’embûches, de doutes et de souffrances, il y a une lumière. „Elles s’en sortent. Pas triomphalement bien mais fragilement bien, d’une manière lumineuse. On voulait qu’elles ne soient pas enfermées dans toute leur détermination économique, sociale, affective. Elles ont des vies cabossées, précarisées, sinon elles ne seraient pas en maison maternelle. Non sans raison. La psychologue, les éducatrices font un travail formidable. Nous ne connaissions pas le fonctionnement d’une maison maternelle. Nous avons découvert un lieu doté d’humanité.“
Contre le destin
Les vies des cinq jeunes filles sont en partie inspirées d’histoires que la psychologue a racontées. Elles sont nées aussi d’hypothèses que les frères cinéastes avaient proposées. Il importe d’être crédible. „En gros, on peut dire quand même qu’il y a quelque chose qui les réunit toutes aussi: elles ont chacune un rapport difficile avec leur propre mère. Et ça, c’est vrai que, même dans la vraie vie, la plupart des jeunes filles qui sont dans cet endroit, ont une histoire qui se répète de mère en mère“, explique Jean-Pierre Dardenne.
Du toujours pareil. Du répétitif. C’est contre la fatalité, contre le destin qu’elles se battent. Il n’y a pas de malédiction. Jean-Pierre Dardenne raconte: „Ce sont des faits de société. Et c’est terrible de vivre avec ce stigmate-là, en tant que femme. Avant, on parlait de filles mères. Aujourd’hui, on les appelle mères célibataires. Quand la petite Naïma dit ,Je n’ai pas honte d’être une mère célibataire“, cela signifie qu’elle avait honte de l’être. Et elle dépasse ce sentiment. C’est ça, sa libération. »

Qu’on ne s’étonne pas. Les Dardenne font (feront toujours?) du Dardenne. Les cinq jeunes protagonistes n’ont jamais fait de cinéma, ou presque. Le plus souvent, les deux frères préfèrent ne pas prendre de comédiens connus qui transporteraient beaucoup de rôles avec eux1). Leur souhait? Que le public voie une personne, pas un personnage et un acteur. Mais faire jouer des acteurs amateurs a-t-il son lot de contraintes? Surtout quand il s’agit de filmer des bébés? „Le tournage a duré 38 jours. On a moins cherché la perfection que dans les films précédents. On a fait six, sept prises, au lieu de 15, avec tout le monde. On pensait que les bébés allaient être un handicap. Ils pleurent, ils ont des coliques, ils ne vont pas bien … Ils ne nous ont pas retardés. Il faut s’adapter, beaucoup répété puisque chaque personnage enfant pouvait être interprété par plusieurs bébés. Et puis, finalement, quand on avait un plan où l’enfant était magnifique avec la comédienne aussi, évidemment, on s’était dit: soyons libres, laissons-les jouer. On les regardait et on sentait que le plan avait été vivant. Les bébés sont des bons acteurs.“
Le duo belge a déjà eu six prix à Cannes, dont deux Palmes d’or. II repart cette année avec le prix du Scénario 2), comme en 2008 pour „Le Silence de Lorna“ avec l’Albanaise Arta Dobroshi, alors inconnue en Europe. Les émotions les plus inattendues tiennent beaucoup aux jeunes actrices qu’ils révèlent dans „eunes mères“, 26 ans après l’Emilie Dequenne de „Rosetta“ (1999), décédée en mars dernier3). Les frères Dardenne ont eu la générosité de partager leur prix avec elles.
1) Dans „Jeunes mères“, apparaissent les actrices Claire Bodson (la psychologue), Christelle Cornil (Nathalie, mère d’Ariane) et India Hair (Morgane, mère de Jessica).
2) Les frères Dardenne ont également reçu le prix Œcuménique, le prix Ecoprod et le prix du Cinéma positif.
3) La compétition officielle de la 78e édition du Festival de Cannes était dédiée à Emilie Dequenne.
De Maart
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können