ExpositionMusée du Quai Branly à Paris: Voyages dans l’invisible

Exposition / Musée du Quai Branly à Paris: Voyages dans l’invisible
Pablo Amaringo, Vision of the Snakes, 1987, Gouache sur toile, 30,9 × 40,8 cm, Collection L. E. Luna Photo: Courtesy de l’artiste/photo Luis Eduardo Luna

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Le Musée du Quai Branly propose une exposition autour des vertus particulières de l’ayahuasca. Il s’agit ici d’explorer les horizons artistiques que sa consommation dévoile et l’engouement pour cette plante en Occident depuis peu.

L’ayahuasca, préparé en breuvage par les Indiens d’Amazonie, leur permet de se libérer des contraintes terrestres et d’explorer d’autres univers, le cosmos, la terre des ancêtres, celles d’extraterrestres. Cette plante permet des rencontres avec des créatures chimériques. Ces voyages dits psychédéliques ont abreuvé la littérature américaine. Nombre d’artistes, dont les Amazoniens eux-mêmes, en usent aujourd’hui pour des dessins et des visions dont ils ont été les témoins. Ses propriétés visionnaires ont conduit le Pérou à reconnaître aux pratiques liées à l’ayahuasca la qualité de patrimoine culturel. Ainsi, pour la première fois, l’exposition pose les enjeux d’une culture particulière au moment de la mondialisation, les enjeux d’un tel art, d’une pratique rituelle, conjugués à un vocabulaire standardisé occidental. Cette identité forte chamanique permet aujourd’hui de poser de telles pratiques comme des horizons nouveaux, facilement identifiables, et caractéristiques d’une culture. L’inconvénient d’une telle appropriation par la mondialisation serait la perte du contexte d’origine, de la culture, qui les ont engendrés.

L’ayahuasca, des origines à nos jours

Des archéologues ont permis de dater l’usage de l’ayahuasca à environ 2.000 ans avant notre ère, grâce aux résidus contenus dans des pipes en os de puma. Ensuite, on retrouve cette plante dans des rituels funéraires boliviens, en 1000 avant notre ère. Un missionnaire jésuite autrichien Pablo Maroni est le premier Occidental à en faire mention dans ses écrits, en 1737, lors d’une expédition en Amazonie péruvienne. Des artistes occidentaux en consomment, notamment l’écrivain et peintre polonais, Stanislaw Witkiewicz, en 1928-1930. En 1963, les écrivains William Burroughs et Allen Ginsberg racontent leurs aventures respectives en Amazonie, sous l’emprise de l’ayahuasca. Ces écrits deviendront un classique de la contre-culture.

En 1991, l’anthropologue colombien Luis Eduardo Luna et l’artiste guérisseur péruvien Pablo Amaringo, co-signent un ouvrage dans lequel sont reproduites quarante-cinq peintures de Pablo Amaringo, inspirées par les visions que produit l’ayahuasca. C’est le début du tourisme chamanique. Jusqu’à ce jour, nombre de personnes parties en Amazonie vivre ces expériences en retirent des bénéfices artistiques ou psychologiques – des séjours ayant été organisés par des psychiatres. Cette plante est d’ailleurs à l’étude pour ses effets contre la dépression, l’anxiété, le stress. Toujours est-il qu’en 2005, l’ayahuasca est inscrite au registre des stupéfiants, en France. Mais en 2006, aux Etats-Unis, l’ayahuasca n’est plus pénalisée dans le cadre d’une pratique religieuse. En 2008, le ministère de la Culture du Pérou reconnaît comme patrimoine culturel de la Nation les connaissances et usages traditionnels de l’ayahuasca par les communautés natives d’Amazonie.

Le chemin visuel

Comme l’écrit si bien l’anthropologue français Philippe Descola, dans „Les Formes du visible“ (Editions du Seuil, septembre 2021): „La figuration n’est pas tout entière livrée à la fantaisie de ceux qui font des images. (…) Le chemin visuel que nous traçons spontanément dans les plis du monde dépend de notre appartenance à l’une des quatre régions de l’archipel ontologique: animisme, naturalisme, totémisme ou analogisme. Chacune de ces régions correspond à une façon de concevoir l’ossature et le mobilier du monde, d’en percevoir les continuités et les discontinuités, notamment les diverses lignes de partage entre humains et non-humains.“

Dans le cas de l’ayahuasca, cette plante permet, outre les visions et les représentations qu’elle suscite, comme une projection hors-sol traçant la frontière entre le monde humain et le non-humain, des pratiques religieuses, thérapeutiques, de développement personnel, et une lutte politique, dans le cadre d’une revendication de la culture des Amazoniens – surtout lorsque, avec la mondialisation, celle-ci a subi parfois les dérives du mercantilisme.

Commencer avec l’art autochtone, celui de la communauté péruvienne des Shipibo-Konibo, au rythme graphique et géométrique, utilisant de nombreux supports, poteries, tissus, sculptures. Il est évident qu’au-delà de ces partitions se dévoile un sens qui appartient à cette culture, même si l’Occident s’empare de la forme sans s’occuper vraiment du contexte. Il n’est qu’à voir par la suite les visions des artistes sous emprise de l’ayahuasca pour comprendre que le répertoire d’origine est codifié. Une nouvelle forme d’art visionnaire voit le jour, des artistes contemporains amazoniens accèdent à une notoriété internationale, en faisant le voyage hallucinatoire. Et il est fascinant de voir les clôtures du monde voler en éclats, d’accéder à d’autres univers, comme une transcendance ou une sublimation de la condition humaine ouverte au cosmos. Nous sommes loin des motifs géométriques, mais plutôt dans une confrontation, une juxtaposition de différents mondes, l’espace et sa cosmogonie, mais aussi le monde animal, nous découvrons des personnages baignés de lumière, des visions à la fois oniriques et étrangères, non pas à la manière surréaliste, mais comme un décryptage d’une relation ontologique.

C’est au tour de l’Occident de s’emparer ou de tenter de reproduire ces expériences chamaniques. A sa façon. Les visions se vêtent d’un certain universalisme, comme une psyché à l’œuvre, aux prises avec des forces invisibles, inconnues, ou tout simplement, pour des esprits plus rationnels, sous emprise de la drogue. Réalisme fantastique, science-fiction, accommodés aux techniques de nos jours, donnent un autre versant de cette expérience, comme une fébrilité à vouloir donner du sens, tout en se maintenant dans une certaine grille de lecture, là où les Amazoniens, à l’origine, tentaient d’établir une ouverture avec plus grand que soi. Gageons que chacun des artistes, à titre individuel, tente cette aventure, aux confins du réel.

Infos

Visions chamaniques, Arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne
Jusqu’au 26 mai 2024
Musée du Quai Branly
37, Quai Branly
75007 Paris
www.quaibranly.fr