Contemporain du peintre danois Vilhelm Hammershoi, connu pour ses scènes d’intérieur, Peder Kroyer, quant à lui, privilégiera les peintures de plein air, mettant dans un premier temps les petites gens en scène, notamment les pêcheurs, pour ensuite accéder à l’impressionnisme d’une mer et de personnages dépouillés d’accessoires, perceptions rétiniennes atemporelles et absolues de poésie. Célèbre de son vivant, contrairement à certains peintres de son époque, il s’est détourné des scènes urbaines pour une peinture du large, notamment celle de l’Heure bleue.
Une contemplation absolue

Dessinateur, peintre, mais aussi photographe, Peder Kroyer utilise l’appareil photo pour immortaliser les scènes et les peindre. Certes le plein air joue son rôle, mais il est intéressant de voir combien la photo prend sa place également dans la peinture. Le mouvement arrêté des vagues ajoute au pouvoir hypnotique de la couleur, là où le ciel se fond, au crépuscule, avec la mer, dans une fine ligne d’horizon qui fait basculer les bleus, avec la particularité pour les ciels danois d’être très clairs en été.
Le chef-d’œuvre „Soirée calme sur la plage de Skagen, Sønderstrand (Anna Ancher et Marie Krøyer marchant)“ (1893, Skagen) est un moment de contemplation infinie. Deux longues silhouettes féminines, de dos, marchent au bord de la mer, éclaboussant la rétine de leurs robes blanches, et viennent souligner par le tremblement de leurs présences un paysage composé d’une mer et d’un ciel omniprésents, le regard étant poussé au loin grâce à la bande de sable ocre au premier plan. Vibration subtile de la couleur, qu’aucun détail „anecdotique“ ne vient troubler, ni une barque ni un oiseau, le tout baignant dans la simplicité de l’évidence, inspirée du plein air, mais également d’une image idéalisée.
Si l’on aborde l’œuvre de Peder Kroyer par la fin, nous voyons combien la figure, insérée dans un décor luxuriant, où la nature reprend ses droits, s’y fond harmonieusement, comme s’il s’agissait d’un long poème. Et l’enfance aussi, dans ses élans. Ces œuvres-là sont impressionnistes, lui qui fut un peintre classique, inscrit dans la lignée naturaliste, un peintre à la carrière officielle. Peder Kroyer a enseigné à Copenhague – il a été lui-même formé à l’Académie royale des beaux-arts –, et passait ses étés en famille dans le petit port de Skagen, dans une communauté d’artistes. Il est également passé à Paris dans l’atelier de Léon Bonnat, où il apprend une nouvelle manière dans l’art du portrait et des figures, qui marquera son œuvre.

Cette manière considère la figure ou le portrait comme un tout, sans porter une attention précise au détail, ce qui permet de se focaliser sur la couleur et la nuance, la gamme chromatique restreinte offrant un modelé des couleurs. Le caractère apparemment inachevé de l’œuvre, contrairement à une scène bien campée et riche de détails, déconcerte Peder Kroyer qui, on le verra par la suite, en fera sa marque, cherchant dans la nature l’infini, l’atemporalité. Il délaissera les pêcheurs et les ouvriers du début de sa carrière. L’engagement social ne sera plus son cheval de bataille.
Il faut savoir qu’un mouvement, la Percée moderne, apparu en 1870, s’est rapidement propagé dans toute la Scandinavie par le biais de la littérature et de la peinture. Il dénonçait l’oppression politique des paysans et des ouvriers, proposait l’égalité entre les hommes et les femmes, la séparation de la science et de la religion. C’est dans un tel contexte que des peintres comme Peder Kroyer ont rejoint un naturalisme inspiré par Zola. Mais ce seront surtout l’Heure bleue danoise, sa lumière si particulière, ses mers à l’horizon lointain, qui marqueront son œuvre délicate, légère et magnifiquement saisie. Une méditation à l’infini.
L’Heure bleue de Peder Severin Kroyer
Jusqu’au 26 septembre 2021
2, rue Louis Boilly
75016 Paris
De Maart
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