La fonction utilitaire de l’espaceLe mobilier urbain luxembourgeois en 1900

La fonction utilitaire de l’espace / Le mobilier urbain luxembourgeois en 1900
Kiosque limonadier au parc de la ville: reconstruction et nouvel emplacement Photo: © rolph

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La création de lieux de rencontres conviviaux par l’aménagement ou le réaménagement de places publiques au sein de la ville traduit le souci de la qualité par l’attrait de mobilier urbain: réverbères, bancs, décorations florales, poubelles servent la fonction utilitaire de l’espace, augmentent l’attrait de la ville et expriment son auto-représentation.

Lorsqu’en 1867, suite au Traité de Londres, l’Etat démantelait la forteresse et aménageait les anciens domaines militaires en quartiers urbains, les responsables devaient procéder à des choix pour meubler ces nouveaux lieux par des plantations, monuments commémoratifs et du mobilier urbain. L’habillage d’un espace lui confère force de symbole. La place de la gare aménagée par l’ingénieur-paysagiste Edouard André devait marquer une entrée en ville et masquer l’environnement semi-industriel et périphérique. D’autres places, comme celle du St Esprit (située à l’entrée du parking actuel du Saint-Esprit), la place du Théâtre, la place des Bains, la place de Paris furent conçues comme des sites embellis par des plantations. Elles servaient de sites d’aération d’un tissu urbain dense. Leur aménagement ne devait aucunement encourager le fonctionnement organique de ces lieux, sinon ils auraient concurrencé la place d’Armes promue comme centre de la ville. Ces nouveaux espaces furent des squares fonctionnant tout au plus suivant le principe d’un arrêt de tram, mais ne représentaient pas de lieux de vie. La ville devait se développer comme espace monocentrique, dont la place d’Armes allait présenter le haut-lieu.

Production industrielle ou créativité locale?

Les villes de province, et aussi Luxembourg, reprirent le mobilier urbain produit à l’échelle industrielle pour son coût mais aussi pour s’inscrire dans un réseau de villes pris en modèle.

Les revues spécialisées, les livres d’ornements, les expositions nationales et universelles contribuaient à la grande diffusion de ce mobilier urbain standardisé. Il ne faut pas négliger l’impact important des déplacements en train et l’usage systématique de l’appareil photo sur nos architectes, ingénieurs et personnalités politiques. Très souvent, ils se réfèrent aux aménagements vus à Bruxelles, Anvers, Berlin, Wiesbaden, Paris, Francfort, Cologne, Lyon ou Londres.

Certains aménageurs étaient séduits par la logique de production industrielle, d’autres réclamaient la promotion de la créativité et du savoir-faire local, des matières premières de la région.

Le mobilier urbain de la Belle Epoque se nourrit à Luxembourg de plusieurs sources d’inspiration, surtout que le Grand-Duché occupe une position de charnière entre les mondes latin et germanique. Paris, centre doctrinal en tant que siège de l’administration nationale et de l’Ecole des beaux-arts, n’inspirait pas en exclusivité les autorités publiques luxembourgeoises. Celles-ci furent également ouvertes aux productions allemandes, surtout qu’au cours des années 1867/1919 le Grand-Duché fit partie de l’Union douanière avec l’Allemagne. Ainsi, les réverbères, par exemple, étaient fournis par des entreprises spécialisées originaires de Mayence, de Paris, mais également de Luxembourg.

Le kiosque à musique était également un produit industriel, livré clé en main. On les retrouvait à la place d’Armes, la fausse braie Beck-Jost, au parc de la ville. Ces infrastructures étaient vues d’un mauvais œil par les représentants de l’artisanat local. Leur opposition explique le déclin de l’offre d’un fournisseur de vespasiennes de Metz. Le Conseil communal fut d’accord à acquérir un modèle messin pour le faire copier avec de légères modifications par des artisans indigènes.

Une vaste gamme de mobilier urbain

Dans ce répertoire d’objets mobiliers, à la fois identiques et monumentaux, la grille et le réverbère jouent un rôle essentiel. Toute une hiérarchie de grilles caractérise cette organisation de l’espace. Celles entourant les parcs et les squares étaient généralement placés à ras le sol et contribuaient à l’uniformisation de l’espace public. Ces galeries au dessin très économique, en usage à Luxembourg, avaient été créées par les services d’Alphand à Paris. Même les grilles destinées à protéger la base des arbres présentaient un dessin raffiné et faisaient partie de cette esthétique urbaine développée du temps d’Haussmann et exportée à grande échelle.

Corollaire de la conduite au gaz, le réverbère en fonte se trouve démultiplié à l’infini et forme un paysage graphique d’une séduisante abstraction. Cette forêt d’arbres de fonte répand, la nuit, une nappe de lumière régulière, dont la beauté tient à son échelle.

La taille, l’opulence du décor, le traitement de la matière première des réverbères soulignent la hiérarchie de l’espace public. On ne pose pas de réverbère sans discernement sur la signification du lieu! Tout en bas de la gamme se trouve la console murale, appropriée aux petites rues dont les trottoirs étroits ne permettent l’installation de candélabres verticaux.

Dans les voies moyennes apparaît la colonne isolée placée à ras le sol (boulevards et avenues), ou montée sur une balustrade (viaduc, pont du Château) ou même sur une vespasienne (marché aux Poissons).

La grande colonne à simple lanterne (pont Adolphe, place de la Constitution, place d’Armes, place Guillaume), ou à crosse (place d’Armes, Cercle) est réservée aux lieux de prestige.

Au sommet de la hiérarchie se trouve la grande colonne à jardinière à plusieurs branches, surmontée d’une lanterne en couronnement. Le plus souvent, elle est placée sur un piédestal. Au-delà de sa simple fonction, elle prend le rang d’un véritable meuble et entre en concurrence avec le monument commémoratif. Celles installées aux places de la Gare, des Bains, du Puits rouge et même au centre du rond-point (Schuman) marquaient des points de grande monumentalité.

Cette hiérarchisation se complète par celle des matériaux et des codes couleurs. Généralement en fonte recouverte d’une couche de peinture noire pour les rues ou olive pour les parcs et squares, les réverbères peuvent encore être recouverts d’une couche de bronze pour mieux représenter les lieux nobles (proposition de l’ingénieur Paul Séjourné pour le pont Adolphe).

L’architecte du palais municipal et l’architecte de la ville choisirent ensemble le réverbère le plus convenant au parvis du Cercle en construction.

Si le lieu d’emplacement influence sa forme et sa taille, la façon d’implanter ce mobilier ne fut jamais fortuite. Tantôt installés en alignement droit avec les arbres en bordure de rue le long des boulevards, tantôt placés en quinconce des deux côtés de la rue, ou encore en symétrie pour marquer le départ des balustrades du Viaduc ou du pont du Château, les réverbères accompagnent l’axe du regard, sans jamais ne déranger ni la sécurité ni la mobilité. Afin de leur préserver toute leur luminosité, les arbres qui les entouraient étaient coupés en forme de colonne ou de pyramide.

L’architecte de la ville, Antoine Luja dessinait en 1901 un candélabre à trois branches pour la place du Marché-aux-herbes. Haut de 5 m et reposant sur un socle en pierre de taille, le pied du candélabre et son escape reproduisaient le millésime. Les puissantes branches latérales représentaient des cygnes. La lanterne centrale, plus grande, dominait celles placées à ses côtés.

Le banc public, également en fonte, est vissé au sol et enlevé pour la mauvaise saison. A bras et au siège en bois, sa carcasse est la réplique des branches d’arbres qui l’entourent et qui le font fusionner avec son environnement. Installé à la place Guillaume, à la station du Parc et dans les jardins publics, le banc luxembourgeois est un produit industriel réalisé par les anciennes fonderies de Colmar Berg, sur base de modèles étrangers.

Corollaires de la conduite d’eau et de l’égout, les vespasiennes réalisées en tôle ou en fonte ouvragée présentaient une hiérarchie analogue à celle des réverbères. A leur tour, ils devaient fusionner avec leur environnement immédiat. Fonctionnelles, mais non luxueuses, quoique éclairées au gaz, ces maisonnettes ressemblaient à un kiosque, surtout si elles étaient destinées également à un public féminin (place du Marché aux poissons, 1905). Les urinoirs individuels, se présentant sous forme de colonnes d’affichage surmontées d’une lanterne (Marché aux poissons, 1880) ou collectifs (av. de l’Arsenal) sous forme de chalets. Ces modèles, développés pour la ville de Paris dès les années 1835, étaient à leur tour réalisés de façon industrielle et exportés à grande échelle. Lorsqu’en 1878 aucune société commerciale ne répondit à l’appel d’offres lancé par l’administration communale, l’architecte de la ville dut concevoir plusieurs modèles de vespasiennes.

Au XIXe siècle, le panneau ou la colonne d’affichage devenaient l’expression du contrôle et de l’organisation officielle et spatiale de cette forme de communication. En 1908, le souci de valorisation du savoir-faire artisanal local incita les édiles de la capitale à commander dix panneaux d’affichage personnalisés auprès des élèves de l’Ecole d’artisans.

Le kiosque limonadier, tout comme l’abri des promeneurs, faisait à son tour partie du programme d’architecture des jardins. Leur architecture se rapproche du style „suisse“ considéré comme le meilleur pour illustrer la symbiose entre la nature et l’homme. Non seulement ce mobilier de jardins fut en bois, harmonisant avec l’environnement, il fut encore à bon marché, car la révolution technique permit de le reproduire à échelle industrielle. Livrés clé en mains, ces kiosques étaient vendus sur catalogue ou promues par voie d’annonces ou lors des expositions internationales. Les fournisseurs de ce type de mobilier pour les parcs de la capitale provenaient de France, d’Allemagne et même de Bohême. L’artisanat local ne tint la concurrence industrielle et internationale.

A la Belle Epoque, les défis semblent avoir été très proches de ceux du monde contemporain: augmenter la qualité de vie dans un souci du développement de la ville, soutenir et favoriser l’esprit créatif local, sans renoncer aux productions industrielles et se référer aux modèles des métropoles.