Montag22. Dezember 2025

Demaart De Maart

Interview avec Pico IyerL’auteur lève le voile sur les origines de son livre „Aflame: Learning from silence“

Interview avec Pico Iyer / L’auteur lève le voile sur les origines de son livre „Aflame: Learning from silence“
Il se rend en „retreat“ pour se sentir plus proche de soi-même: Pico Iyer, auteur, à Nara au Japon en décembre 2024 Photo: Hiroko Takeuchi

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„Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.“ Cette célèbre pensée de Blaise Pascal (1623-1662) semble plus que jamais d’actualité dans un monde qui prône l’accélération et la multiplication des distractions et des communications. Qu’en est-il dès lors de la pratique du silence? Tentative de déchiffrage avec l’auteur Pico Iyer.

Tageblatt: Que diriez-vous à Blaise Pascal si vous le rencontriez?

Pico Iyer: J’adore cette question et personne n’a mentionné Pascal dans toutes les interviews que j’ai réalisées jusqu’à présent. Mais si je devais le rencontrer, je lui dirais: Merci d’avoir mis le doigt sur la situation difficile de l’humanité, trois cents ans ou plus avant que le reste de nous ne s’en aperçoive. Merci de nous avoir rappelé, il y a des siècles, que „la distraction est la seule chose qui nous console de nos misères“ et d’avoir ajouté: „Et pourtant, elle est elle-même la plus grande de nos misères.“ A l’origine, je l’avoue, j’ai beaucoup pensé à Pascal dans ce livre, en partie parce que ce grand mathématicien et homme de science se réjouissait de pouvoir ressentir en même temps „un sentiment de paix et la passion du feu“. Si Pascal a ressenti ce besoin de vie intérieure et de calme dès le 17e siècle, combien plus urgent est-il à notre époque de mises à jour constantes, de textos, de bips et de nouvelles de dernière minute?

Se retirer du monde, comme le font les moines et comme vous l’avez fait lors de vos retraites à Big Sur, peut être considéré par de nombreuses personnes qui n’ont jamais vécu une telle expérience, comme une fugue du monde réel et de ses défis: qu’en est-il à votre avis?

Sous mon moi social et bavard se cache un moi silencieux qui contient le meilleur de moi-même, la partie qui vit au-delà des mots et qui, comme le note Maître Eckhart, est „la partie de l’âme qui n’a pas été blessée“. Ce n’est qu’au moment où je suis parti en retraite que j’ai eu l’impression de rencontrer quelque chose de réel et ce rappel me permet de voir ma vie dans le monde dans ses justes proportions. Comme je le mentionne dans le livre, une amie me demande avec sagesse si ce n’est pas égoïste de partir en retraite? Je lui réponds que pour moi, c’est le seul moyen d’apprendre à être un peu moins égoïste. Je suis tout à fait conscient que de nombreuses personnes n’ont ni le temps ni les ressources nécessaires pour prendre régulièrement une retraite, comme je l’essaie de faire. Mais je pense que nous sentons tous que nous avons besoin de force et de clarté pour affronter le monde, et que nous devons développer nos ressources intérieures, ou ce que j’appelle notre compte d’épargne invisible.

Je pense parfois que je n’aurais jamais choisi de me marier si je n’avais pas passé du temps dans cette cellule monastique solitaire, qui m’a appris que l’intérêt de la solitude est la compagnie

Vous soutenez dans votre livre que la retraite n’est pas tant une évasion qu’une réorientation et un rappel. Le paradis terrestre existerait-il donc en-dehors des paradis artificiels de Baudelaire?

Je ne crois qu’en un paradis qui existe au milieu du monde réel, qui englobe la mortalité, la douleur et l’ombre, et qui est accessible à tous, pas uniquement à ceux qui adhèrent à une certaine croyance. Mais pour moi, prendre une retraite est un moyen de voir ce qui est réellement, de dépasser les représentations et les surfaces de la vie quotidienne. Alors que je passe mes journées à bavarder, à aller à la banque, à m’occuper de mes impôts, j’ai toujours le sentiment que cela n’est pas tout de la vie ni la fin de l’histoire. La plupart d’entre nous sentent qu’il y a quelque chose de plus, au-delà de notre routine quotidienne, que T. S. Eliot appelait „la Vie que nous avons perdue en vivant“.

Sachant que nombre de personnes qui recherchent le silence ne s’isolent pas complètement, mais, au contraire, font souvent partie d’une communauté qui les soutient: quelle est l’importance du soutien, ne fusse-t’il qu’indirect, d’un groupe et comment l’expérience de nos semblables peut-elle influencer notre propre vie ?

Comme vous le suggérez parfaitement, la communauté est primordiale. J’ai récemment lu qu’Ananda, le disciple préféré du Bouddha, a dit un jour que „L’amitié admirable est la moitié de la vie sainte.“ Ce à quoi le Bouddha a répondu: „C’est faux! L’amitié admirable est la totalité de la vie sainte.“ Je suis quelqu’un qui aime être seul. Je suis un enfant unique qui a choisi d’être écrivain parce que cela me permet – en fait, cela me force – de passer de longues heures seul chaque jour à un bureau, et qui aime voyager parce que cela me permet aussi d’errer seul à travers le monde, en belle conversation avec lui. Alors quand je me suis retrouvé dans une petite chambre au-dessus de l’océan Pacifique à Big Sur, en Californie, avec tous mes besoins pris en charge et sans rien exiger en retour, j’étais aux anges. Je pense parfois que je n’aurais jamais choisi de me marier si je n’avais pas passé du temps dans cette cellule monastique solitaire, qui m’a appris que l’intérêt de la solitude est la compagnie. En vérité, j’ai ressenti de la proximité avec mes proches bien plus dans le silence de la cellule que lorsque nous sommes dans la même pièce avec la télévision allumée ou lorsque je me dépêche d’aller d’un supermarché à une pharmacie. Pour moi, l’intérêt de passer du temps seul est de réaliser que l’on n’est jamais seul et que l’on n’a jamais besoin de l’être. Alors oui, ma période de solitude intense a été une véritable formation à la valeur et à la beauté de la compagnie.

Vous citez R.H. Tawney en affirmant que, traditionnellement, les humains étaient des êtres spirituels qui s’occupaient de leurs besoins matériels; de nos jours, nous sommes des êtres matérialistes qui, occasionnellement, s’occupent de leurs besoins spirituels. Existe-t-il un chemin pour revenir en arrière, sachant qu’il n’y aura peut-être pas de retour en arrière?

Nous avons certainement besoin de sentir que nous ne sommes pas le centre du monde et que nous ne sommes qu’une infime partie d’un tableau beaucoup plus vaste. C’est l’une des raisons pour lesquelles de nombreuses personnes font de longues promenades et d’autres se rendent dans des endroits tels que Big Sur, où les êtres humains paraissent minuscules et mortels en présence de grands séquoias, d’une immense étendue d’océan, de hautes falaises et de bien d’autres choses qui existeront encore longtemps après notre disparition.

Faire passer le monde matériel et temporel avant le spirituel, c’est comme acheter une Ferrari rutilante sans se soucier du fait qu’elle n’a pas de moteur

Si nous faisons passer notre esprit avant notre corps – ou, plus follement encore, notre corps avant notre esprit – nous nous sentirons toujours perdus lorsque la réalité nous rendra visite. Aucun d’entre nous ne peut survivre sans ressources intérieures et sans une connexion étroite avec son paysage intérieur. Certains l’appellent „Dieu“, d’autres „la réalité“, d’autres encore n’ont pas besoin de mots. Mais dans tous les cas, nous avons besoin de cette intériorité pour survivre. Et ce qui m’inquiète actuellement, c’est que le monde extérieur est si assourdissant et intense, si omniprésent, qu’il menace de submerger l’intériorité et de nous laisser complètement perdus. Pour citer à nouveau Maître Eckhart, il y a de nombreux siècles: „Tant que le travail intérieur est fort, l’extérieur (que j’entends comme la carrière, les relations, la connexion avec le meilleur de soi) ne sera jamais chétif.“ Mais faire passer le monde matériel et temporel avant le spirituel, c’est comme acheter une Ferrari rutilante sans se soucier du fait qu’elle n’a pas de moteur.

„Aflame: Learning from silence“ de Pico Iyer est paru aux éditions Riverhead Books (janvier 2025).