Donnerstag11. Dezember 2025

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Critique de „Heimliches Gebet“ L’auteur Bernd Marcel Gonner nous emmène dans son herbier poétique – un livre entre écologie et intériorité

Critique de „Heimliches Gebet“  / L’auteur Bernd Marcel Gonner nous emmène dans son herbier poétique – un livre entre écologie et intériorité
Photo symbolique: L’auteur Bernd Marcel Gonner présente un livre du genre „nature writing“ Photo: Pexels

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L’auteur Bernd Marcel Gonner vous invite dans son herbier lyrique: „Heimliches Gebet. Vom Trockenrasen (und nahebei)“ parle de pelouses sèches et d’autre plantes. Une critique littéraire du recueil de poèmes.

Avec „Heimliches Gebet. Vom Trockenrasen (und nahebei)“, Bernd Marcel Gonner signe un recueil singulier où la poésie devient à la fois herbier et oraison. Entre rigueur botanique et méditation intime, l’auteur transforme la prairie sèche, cet écosystème discret et menacé, en une sorte de sanctuaire littéraire. Presque tous les poèmes évoquent une plante que l’on trouve sur les pelouses sèches ou dans leur voisinage. Une centaine de fleurs et de graminées s’offrent au lecteur, c’est pourquoi ce recueil est un espace littéraire idoine pour lire ces quelque cent poèmes que de s’asseoir au milieu d’une des prairies multicolores que suggère Bernd Marcel Gonner, pour écouter, sentir, voir et lire.

L’auteur Gonner

Né en 1966, Bernd Marcel Gonner appartient à cette génération d’auteurs européens qui inscrivent la littérature dans une double appartenance culturelle et linguistique. D’origine luxembourgeoise par son père et bohémienne par sa mère, il se situe d’emblée à la croisée de plusieurs traditions, ce qui marque profondément sa démarche. Formé en germanistique, philosophie, histoire de l’art et enseignement de l’allemand langue étrangère à l’université de Bamberg, il s’est très tôt orienté vers une écriture multiforme: poésie, prose, théâtre, littérature jeunesse, récits à tonalité autobiographique et surtout „nature writing“, genre qui connaît depuis quelques décennies un essor considérable en Europe. Ecrivain indépendant, Gonner n’est pas qu’un homme de lettres: il vit aussi concrètement son rapport à la nature en tant que paysagiste. Cet ancrage matériel nourrit son œuvre poétique. Il ne se contente pas d’évoquer la nature de loin, par métaphores; il l’expérimente quotidiennement, dans ses gestes, ses soins, ses observations attentives. Ce double ancrage — vie littéraire et vie agricole — rend son œuvre singulière: on y lit une connaissance intime du sol, des plantes, de l’espace rural, en même temps qu’une méditation langagière et spirituelle. Récompensé par plusieurs prix prestigieux – „Gustav-Regler-Förderpreis“ (2020) et „Deutscher Preis für Nature Writing“ (2021) – il a été reconnu comme l’une des voix les plus originales dans le champ contemporain du lyrisme écologique.

Couverture du livre „Heimliches Gebet“
Couverture du livre „Heimliches Gebet“ Source: Michikusa Publishing

Le titre de son dernier opus est déjà tout un programme poétique et critique: littéralement, l’expression „prière secrète“ évoque une parole intime, chuchotée, tournée vers un absolu discret. La poésie est ici pensée comme une liturgie profane: elle n’élève pas la voix pour convaincre ou proclamer, mais pour prier en silence. Ce „secret“ signale la modestie d’un geste qui se veut avant tout attention et recueillement. La prairie maigre et sèche („Trockenrasen“) est un écosystème particulier, pauvre en ressources mais paradoxalement riche en biodiversité. Ces terrains souvent délaissés par l’agriculture intensive abritent des espèces rares, fragiles, menacées. Les évoquer, c’est déjà poser un geste écologique et poétique: célébrer la beauté du minuscule, du discret, de ce qui échappe aux regards pressés. Le complément „und nahebei“ élargit l’espace: il ne s’agit pas seulement du pré sec lui-même, mais de tout ce qui l’environne, résonne avec lui, prolonge son monde. D’emblée, le recueil semble par conséquent se situer dans une double perspective: spirituelle (la prière, l’invisible) et écologique (la prairie, l’espace menacé), reliées par une même posture de discrétion et d’attention.

Entre poésie des détails et expérience méditative

La grande force de Gonner est de se tourner vers ce qui semble insignifiant. Ses poèmes se concentrent sur des plantes souvent ignorées, négligées ou considérées comme sans valeur. Chacune d’entre elles est nommée avec précision, parfois par son nom vernaculaire, parfois par son appellation scientifique. Ce travail de nomenclature rappelle à la fois l’herbier et le traité botanique, mais s’en distingue par la charge poétique: les mots ne classent pas seulement, ils révèlent, ils donnent une présence. Ainsi, le lecteur découvre non seulement un inventaire végétal, mais aussi une constellation de noms qui deviennent presque de petits poèmes en eux-mêmes. La langue, dans son épaisseur sonore et visuelle, fait exister ces plantes. En les nommant, Gonner les ressuscite. La poésie agit comme une conservation fragile: ce qui disparaît dans le réel est sauvé par le langage.

(…) es sind / noch Lieder zu singen jenseits / der Menschen

Bernd Marcel Gonner, Heimliches Gebet. Vom Trockenrasen (und nahebei), S. 7

Ainsi, lire „Heimliches Gebet“ revient à s’immerger dans un paysage. L’écriture ne décrit pas à distance; elle plonge le lecteur au milieu des herbes, des pierres, des insectes et des fleurs. C’est une poésie sensorielle: on croit sentir la sécheresse de l’air, entendre le bruissement discret des herbes, voir les nuances de couleurs qui passent du vert terne au jaune doré. Mais au-delà de cette immersion, Gonner instaure un rythme contemplatif. Les poèmes ne cherchent pas à captiver par des effets, mais à ralentir, à obliger le lecteur à adopter une cadence proche de celle du regard naturaliste ou du promeneur. On retrouve ici une parenté avec des traditions poétiques comme celle de Hölderlin ou, plus proche, celle du „nature writing“ anglo-saxon, de Thoreau à Gary Snyder: une poésie qui se nourrit de la marche, de l’observation lente, de l’attention au détail.

En outre, la thématique écologique est bien présente, mais elle ne prend jamais la forme d’un discours militant ou d’une dénonciation frontale. Le ton est beaucoup plus subtil: il s’agit d’une écologie poétique, presque liturgique. La prairie sèche devient le lieu d’un rituel où l’on rend grâce à ce qui vit encore, tout en percevant l’ombre de ce qui disparaît. L’émotion naît du contraste entre la petitesse des objets décrits et l’immensité de ce qu’ils représentent. Derrière chaque brin d’herbe, chaque plante nommée, se profile une question: que faisons-nous du monde qui nous est confié ? Le poète ne répond pas; il prie. Et cette prière devient une forme de résistance.

„Heimliches Gebet. Vom Trockenrasen (und nahebei)“ est donc plus qu’un recueil de poésie: c’est une sorte d’herbier spirituel, un livre de prière pour le monde fragile et menacé des prairies maigres. En nommant, en décrivant, en célébrant, Gonner accomplit un geste de sauvegarde. Il rappelle que la poésie peut encore être une forme d’attention et de résistance, même à l’époque de l’urgence écologique.

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