20. November 2025 - 7.02 Uhr
Salsa„La musique est un voyage intime“ – Alberto Caicedo en concert jeudi soir au Trifolion
Il y a des voix qui résonnent comme un tambour qui bat le cœur du monde. Celle d’Alberto Caicedo vient de loin, de Guapi en Colombie, où les vagues frappent les rives avec la même cadence que les percussions de son enfance: „Quand j’avais neuf ans, on jouait comme ça, avec des potes de quartier.“ Mais pour Alberto, la simplicité fait office de matière première. À l’adolescence, il s’entoure de jeunes musiciens, il joue et chante. Rien n’est écrit, tout est tracé. Il s’essaie à la guitare, puis migre vers Buenaventura. Le nom est déjà une promesse, c’est celui de son idole Yuri Buenaventura. Là, tout change: „J’ai commencé à bosser avec des musiciens plus professionnels. Mais toujours en autodidacte.“ Guitare, piano, percussions, chant… Il apprend tout, seul. Sans école, mais avec une rigueur qui n’appartient qu’à ceux que la musique appelle comme un besoin vital. Ce n’est que plus tard, à Rotterdam, qu’il obtient un diplôme en chant à la Codarts University. Le voilà, plus tard, professeur, lui, l’autodidacte.
Avant l’Europe, il y a Cali, capitale de la salsa, où il atterrit en 1996. Là, il participe à des projets, affine son art. Parce que la salsa d’Alberto n’est pas figée, c’est une salsa voyageuse, nourrie de rythmes afro-colombiens, caribéens, de gospel, de ballades, de sueur et de mémoire. Et il voyage, justement, dans les studios comme sur scène. Chili, Équateur, Pérou, Espagne, Allemagne, France, Italie, Curaçao, Kazakhstan… La liste ressemble à une tournée infinie. La musique, c’est un voyage, mais aussi une manière de voyager. Son groupe est un condensé du monde: ses musiciens sont originaires de Colombie, de Cuba, du Venezuela, des Pays-Bas, d’Allemagne ou des États-Unis. Des frontières mouvantes, comme sa musique. Des artistes nomades, eux aussi, passagers du rythme. S’il a accompagné autant de grands noms – Willie Colón, Cheo Feliciano, Frankie Vasquez, Roberto Blades, Cubop City Big Band… – c’est qu’Alberto connaît le terrain, les harmonies, les voix, et surtout, il sait ce que signifie fusionner sans trahir. Sa salsa respire, elle ne plaque pas des styles l’un sur l’autre, elle les fait danser ensemble.
Horizons et célébrations
Son dernier album, „Horizontes“, est justement une traversée, entre continents, traditions et générations. Un disque comme une lettre envoyée autour du globe. „C’est l’évolution d’un vieux voyage; c’est le passage, la connaissance… C’est tout ce que j’ai appris et que j’essaye de partager.“ Il y a dans sa voix une gravité lumineuse, sinon un calme de funambule: „Il s’agit d’un voyage intime ou du lien que j’ai avec le monde, avec la musique.“
Par-delà les influences latinos, qu’est-ce qui lui plaît du côté de l’Europe? „J’aime beaucoup Zaz; j’apprécie la façon dont elle prend la chanson française traditionnelle pour l’emmener ailleurs.“ Ailleurs: toujours ce mot-clé. Même chez Jacques Brel, qu’il écoute aussi au rayon francophone, il y a parfois ce même équilibre entre la peine et l’élan, comme Yuri Buenaventura qui reprend „Ne me quitte pas“ en plaquant un soleil moins noir à la mélancolie – ou comment faire de la rupture une danse. Chez Caicedo aussi, l’amour a mille visages. Il le chante dans „El Amor No Entiende“, „Un poquito de Amor“ ou „Este Amor me mata“.
Dans ce dernier, „Cet amour me tue“, les paroles directes mordent le cœur: „Cet amour détruit ma vie/La douleur s’intensifie et ne guérit pas, jamais“; „Je n’ai pas la paix, je souffre/La nuit, je ne dors plus, ne pensant qu’à ton amour“. Alberto: „L’amour, c’est positif, mais c’est négatif aussi, il y a une différence entre ce qu’on croit que l’amour est et ce qu’il est vraiment. Par exemple, lorsqu’on est à l’école, on peut aimer quelqu’un… qui aime quelqu’un d’autre, c’est terrible.“ Soit. Ces blessures, il les transforme, comme dans „Un poquito de amor“, qu’il écrit après la mort de son père: „C’était douloureux, mais avec cette chanson j’ai pu transcender la souffrance en quelque chose de positif.“
La musique guérit, elle console autant qu’elle unit. „Elle peut changer le monde. C’est de la médecine. Mais les gens doivent être ouverts pour la recevoir.“ Alberto chante le départ, l’exil, l’absence, mais aussi le présent; il chante comme on jette une ancre ou comme on prend le large; il trace des ponts, entre les peuples, les styles, les douleurs et les joies; il chante l’ailleurs, avec la voix de l’ici. Sur scène, chaque note est un pas, chaque refrain est un passage. Sa salsa est un fleuve où viennent se jeter les affluents de la mémoire et de la modernité. Pas étonnant que son album s’intitule „Horizontes“. Il ne ferme aucune porte, il les ouvre en grand, avec la générosité de celui qui veut rassembler.

De Maart
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