Luc François s’est imposé ces derniers temps comme l’une des voix les plus originales de la jeune littérature luxembourgeoise, ne serait-ce que l’année dernière, lorsqu’il a figuré sur la shortlist du „Lëtzebuerger Buchpräis“ avec son roman policier „Wasserstand“. En outre, il est largement connu au Luxembourg en tant que chanteur de métal et slameur de poésie. Il revient sur le devant de la scène littéraire en faisant paraître, auprès d’Hydre Editions, un premier recueil de nouvelles contenant douze récits passionnants en langue allemande qui, entre la science-fiction, l’horreur et le fantastique, couvrent toute la gamme de la fiction spéculative.
La conscience ricanante
„Fantaisies et rayure argentée“: c’est dans ce monde à la fois imaginaire et bigarré que nous conduisent les douze nouvelles constituant le dernier recueil de Luc François manifestement désireux de faire entrer le lecteur dans son univers pittoresque, peuplé de personnages qui interrogent autant qu’ils surprennent. Par ailleurs, la prose de cet auteur, tant musicale que poétique, est faite non seulement de cadences rythmiques dans lesquelles le texte tire sa puissance narrative et suggestive, mais encore de cadences lyriques permettant à la fois le rire de la comédie, la terreur ou la pitié du drame, et un processus d’identification protéiforme et spéculaire concernant les scènes mises en situation (souvent issues de la vie quotidienne) qu’il dépeint dans des pages empreintes d’énergie diégétique, de nervosité stylistique et de questionnement existentielle voire philosophique. On sent chez Luc François un art littéraire marqué par le rapport ludique au langage ainsi que la pratique sporadique d’un humour absurde faisant de lui une sorte de „conscience ricanante“ (selon l’expression d’Emmanuel Jacquart) portant sur le monde un regard aiguisé et peut-être conscientisateur.
Savoureux et surprenant
De la nouvelle initiale intitulée „Hirngespinste“ (titre du recueil proprement dit) à „Der Tunichtgut-Wettbeweb“ („Le concours des bons à rien“), un élément frappe le lecteur, à savoir que ce n’est pas seulement le thème qui change à chaque fois, mais aussi (et peut-être surtout) la perspective narrative qui influence l’attitude (des personnages, du lecteur) face aux événements mis en scène. A cela s’ajoute le fait que, dans cet ouvrage, le genre littéraire varie également, oscillant entre le récit réaliste et le récit fantastique – les deux formes étant habilement mélangées. Les douze nouvelles de Luc François constituent un ensemble panaché, allant d’une tonalité mélancolique et émouvante (comme dans la nouvelle intitulée „Loretta“, dans laquelle on découvre le personnage d’Alderson, que l’on suit dans les aléas et les vicissitudes de son destin) à une tonalité plus comique et ironique.
La première nouvelle, de loin la plus conséquente en termes de longueur, interroge davantage le lecteur lorsqu’il suit les aventures de l’héroïne Nasrin dont le parcours (existentiel et professionnel) sinueux ouvre de nombreuses portes interprétatives. C’est d’ailleurs une autre force de ce texte: illustrer la théorie de feu Umberto Eco qui souligne l’importance du rôle interprétatif que chaque lecteur, en co-constructeur du sens, se doit de jouer face à chaque œuvre littéraire, comme en témoigne par exemple la nouvelle intitulée „Wandler“ (mettant en scène le personnage d’Andy Steward), qui constitue peut-être le texte le mieux ciselé de ce recueil.
Alors que dans le drame et dans de nombreux films, la réalité est représentée pour ainsi dire directement, dans la littérature narrative de Luc François, il y a toujours un intermédiaire entre le lecteur et l’événement: le narrateur, qui connaît souvent les pensées et les sentiments de tous les protagonistes. Et qui transmet cet enthousiasme et cette curiosité au lecteur désireux de parcourir, de façon systématique ou ponctuelle, ce recueil à la fois savoureux et surprenant.

Infos
Luc François, „Hirngespinste und Silberstreife“
Luxembourg, Hydre Editions, 2024
ISBN-13 9789998775510
204 pages; 17 euros
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