Dienstag23. Dezember 2025

Demaart De Maart

Rap/popFlow et thérapie: Miki en concert à la Rockhal

Rap/pop / Flow et thérapie: Miki en concert à la Rockhal
Elle transcende les névroses de la génération Z: Miki Photo: Structure

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En quelques morceaux saisissants, Mikaela Duplay, alias Miki, s’est imposée sur la scène musicale hexagonale. A cheval entre le rap et la pop, sa verve étincelante absorbe et transcende les névroses de la génération Z, le tout avec un débit flegmatique au premier coup d’oreille. Miki est en concert ce soir à la Rockhal. Focus.

C’est un fait, historique. Autant les Etats-Unis comptent un certain nombre de rappeuses, de BWP à Lil’Kim, de Queen Latifah à Missy Elliot en passant par les mastodontes Megan Thee Stallion ou Nicki Minaj, autant, du côté de la France, le tour est vite fait. En vrac et par-delà les époques, il y a Diam’s bien sûr, Lady Laistee, Princess Aniès, Roll.K, Orties, Casey, Keny Arkana, EK Tomb, Sté Strausz, Liza Monet, La Juiice et quelques autres. En effet, des femmes s’emparent du micro et font vibrer leurs mots et leurs flows. C’est logique: le rap est, à la base, „la voix des sans voix“, il s’agit donc d’un médium idéal pour se faire entendre – ou être écoutée, au sens musical comme au sens social. Le bémol, c’est que s’il fallait mentionner toutes les rappeuses françaises, elles occuperaient quelques lignes d’un article, alors que leurs homologues masculins prendraient bien l’espace de tout un journal. Mais la donne pourrait changer d’ici la fin de la décennie; un rééquilibrage s’opère. Car il y a d’autres femcees, plus ou moins souterraines, qui arrivent à point nommé, comme Asinine ou Erex, autrement nommée Kincy, ex-Orties, ainsi que sa sœur jumelle Antha, qui a déjà assuré un coup d’éclat de rap gothique avec „Spleen“ (2019), un disque d’équilibriste qui fait le crossover de l’inconciliable, dans la mesure où les auditeurs de rap ne sont pas très férus de goth et que les goths ne sont pas obligatoirement portés sur le rap.

„Le rap français n’est tellement pas rock“ affirmait Orties il y a une poignée d’années. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Et si le rap français n’est toujours pas très rock (et encore moins goth), c’est aussi parce que la France elle-même ne l’est pas. En revanche, c’est un autre fait, historique et contemporain, le rap hexagonal est devenu très pop. Moins âpre qu’à son premier âge d’or (entre la fin du siècle dernier et les années 2000), nettement plus mélodieux, et ce, par l’usage décomplexé de l’autotune. Avant, il y avait les refrains, comme une récompense lyrique, qui étaient assurés par des chanteuses telles que K-Reen ou Assia. Maintenant, le rap et la pop sont dans un même chaudron et s’étreignent jusqu’à se confondre. La génération Y ou Z a baigné dans le rap, il ne s’agit plus d’un genre marginal, il est désormais partout, à la télé en prime time, dans les publicités, en couverture des magazines généralistes. Et chez les artistes les plus pop.

Reflet générationnel

Marguerite Thiam se dit fan de SCH. Une chanteuse pop comme Iliona, certes non pas française mais francophone puisque belge, cite Drake ou Hamza parmi ces influences, pendant que Louane a travaillé avec Damso („Donne moi ton coeur“). Il y aurait un journal à remplir pour citer toutes les combinaisons entre le format chanson pop et le rap en français dans le texte. Miki est, quelque part, l’enfant de ces influences et de cette fusion qui paraît naturelle. Alors que Saliha, pionnière du rap français, déclare dans le livre „Ladies First“ (Sylvain Bertot, 2019): „Pour faire du rap en étant une femme, il ne faut pas avoir peur de te faire casser“, Miki possède cette désinvolture gracieuse qui donne l’impression que tout est si facile, que tout ne tient qu’à son style. Dans un genre musical basé souvent sur la compétition, le clash et l’ego, Miki est une artiste solo qui rappe comme ça lui chante ou … qui chante comme ça lui rappe.

Miki chante et rappe bien, le médium est adapté, comme il va au teint de la génération Z, car c’est le style le plus direct pour y incorporer ses états d’âmes, par la scansion, et, a contrario des réseaux sociaux, par l’absence de filtres. Pendant qu’elle cite, entre deux rimes, le musicien expérimental Oneohtrix Point Never, l’artiste navigue entre l’électro-pop-disco, en ayant collaboré notamment avec Metronomy, le rap lo-fi et la „chanson à textes“, ce drôle d’agencement de mots qui sonne comme un pléonasme puisqu’une chanson est, par définition, „à textes“. L’un de ces morceaux s’intitule „Moi je“: le rap est alors un miroir non pas devant lequel on chante pour de faux, mais face auquel on s’y voit pour de vrai. Mais si Miki fait de l’ego trip, elle l’enrobe d’auto-critique, de vulnérabilité, voire de dégoût de soi („On me dit souvent que j’ai une tête de chat/C’est peut-être pour ça que je suis allergique à moi“ sur „Cartoon Sex“).

Avec l’emploi de néologismes, du name dropping et de clins d’œil glissés à l’oreille de qui bougent la tête sur son beat, le rap-pop de Miki fait le grand écart entre le billet d’humeur pianoté sur X et la confession amicale de vive voix. Car oui, l’artiste peut s’étaler avec concision, sinon être percutante avec profondeur, et le tout d’être cimenté par son sens du songwriting qui sublime la vie en morose. Via son grain et via ses intonations, ou son humour, même le plus froid, le ciel d’un coup est dégagé. Dans le mot „thérapie“ il y a „rap“. Au Luxembourg, soit le pays où a grandi Miki, Nicool fait la jonction entre les deux. Miki se sert du rap pour faire la sienne, de thérapie, tout en parlant aux plus (ou même moins) jeunes. Car oui, la musique reste un dialogue qui n’est, en fait, pas unilatéral: les lèvres articulent les textes par cœur, et le „Moi je“ de Miki n’est pas „un autre“, mais sans doute souvent un peu nous-mêmes.