8. Dezember 2025 - 14.37 Uhr
„American dances“ à Esch-sur-Alzette en 1919Et si des femmes avaient introduit les danses américaines au Grand-Duché?
En décembre 1918, l’armée d’occupation américaine entre au Grand-Duché du Luxembourg. La cinquième division d’infanterie, la Red Diamond, installe ses quartiers généraux à Esch-sur-Alzette. Elle restera dans le bassin minier jusqu’en juillet 1919. Or, il faut occuper les soldats durant ces longs mois d’attente jusqu’à la signature du traité de paix. D’autant plus que la Grande Guerre – l’une des plus sévères dans l’histoire de l’armée américaine – a généré chez les soldats américains un „violent désir pour les divertissements“, comme l’explique l’historien américain Mark Hauser.
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Les divertissements font partie intégrante de programmes military welfare, menés en collaboration avec des organismes tels que la Young Men’s Christian Association (YMCA). Durant la Grande Guerre, cette organisation de jeunesse chrétienne subventionnée par l’armée américaine œuvre au bien-être des soldats. Elle gère notamment le personnel et l’approvisionnement des cantines situées dans des ports, camps et fronts partout en Europe, où les soldats peuvent acheter des repas, du café, du tabac, du chewing-gum, des barres chocolatées, etc. – des produits souvent inaccessibles localement. Ces cantines font aussi office de salles de repos et de divertissement.
Des „sœurs“ pour les soldats ?
À Esch-sur-Alzette, l’un des lieux investis par la YMCA est l’hôtel de l’entrepreneur Alfred Lefèvre, au 52, rue de l’Alzette, disposant d’une grande salle de spectacle. S’y donnent des divertissements de tous genres ainsi que des bals (dances). La comédie musicale „Dustin’ ’Em Off“, produite par l’entertainment office de la Fifth Division, y fait sa première le 11 mai 1919. Le titre-phare de la production, „I’m a Sister to All the Boys“, est une valse dédiée aux jeunes femmes bénévoles qui travaillent pour la YMCA. Une publicité dans l’Escher Tageblatt invite chaleureusement les civils à assister au „Schlager der Saison […] Original-Schwank mit eigens komponierter Musik […]. Leckere Mädchen! Prickelnde Musik! Die berühmte amerikanische Jazz-Band!“. Mais qui sont ces „délicieuses“ femmes américaines qui y sont célébrées ?

Ces „Y girls“ sont envoyées en Europe à partir de 1917. Edward Clark Carter, l’administrateur en chef de l’American Y National War Work Council, insiste que la place de ces femmes est dans la cantine. Mais après l’armistice, c’est leur participation aux dances qui est particulièrement appréciée par les soldats. Le journal hebdomadaire de la division eschoise, The Fifth Division Diamond (FDD), consacre à ces dances une rubrique dédiée. Les Y girls décorent les salles, préparent et servent à manger et à boire, et dansent avec les soldats : „You should meet the battalion’s two new ‚Y’ girls […] what they didn’t do to help make the battalion dance […] was not worth doing“ (20/6/1919).
Les dances présentent un problème de ressources humaines pour le directeur du Women’s Bureau de la YMCA situé à Paris. Dans une directive de mars 1919 il note : „It will be wise for you to tell the women in your region that they cannot leave their huts for more than one evening a week; I see no other way to curtail this mad dancing. … I realize that nothing quite takes its place, but it is certainly being overdone, and we have got to substitute other methods of amusing our men.“ Mais les dances présentent aussi un risque „moral”. Les bénévoles sont jeunes et célibataires, mais envisagées comme des „sœurs“ pour les soldats – leurs relations sont censées rester platoniques.
En quête de partenaires de danse
Qu’ont été les relations des soldats de la Fifth Division avec les Y girls ? Quelles interactions suscitaient ces dances ? De nombreux articles du FDD en parlent en des termes assez chastes : „The dance given by the ‚Y’ ladies last Friday night in the Esch ‚Y’ theater was highly pleasing“ (20/6/1919). On apprend que les Y girls s’adonnent aux tag dances lors desquelles un homme peut interrompre un cavalier dans un couple d’une tape à l’épaule pour prendre sa place face à sa partenaire. Ceci assure le renouvellement des partenaires, et exclut par la même occasion une intimité qui s’accentuerait au fil d’une danse ininterrompue.
Pour faire face à la pénurie des femmes dans les soirées dansantes, une annonce pour une dance au parc du casino de Mondorf propose : „Admission fee is a lady friend only“ (FDD 9/4/1919). Dans une lettre au FDD, un soldat prénommé Herman rapporte avec enthousiasme, au sujet d’une dance à Esch, „they didn’t have to have tag dances because they had enough girls there“. Il suppose que la population d’Esch était complice : „The soldiers in charge must have had the help of all the peepul in this burg to get the girls because they were all pretty“ (20/6/1919). Si les Y girls représentent les femmes (les sœurs) laissées au pays, il semblerait que les dances permettent surtout de se rapprocher des femmes luxembourgeoises. Dans l’immédiat après-guerre, des plaintes s’élèvent néanmoins contre les soldats américains, notamment en France, en raison de leurs comportements à l’égard des femmes locales, comme le note dans son autobiographie, „Serving the Doughboy“, Mary Frances Willard (2024). Pour le Luxembourg, de tels reproches n’ont pas encore été trouvés. Au contraire.
MuGi.lu
MuGi.lu (Musique et genre au Luxembourg) est un projet de recherche de l’Université du Luxembourg. Il cherche à archiver et présenter des documents biographiques et des œuvres musicales sous l’angle du genre sur la plateforme https://mugi.lu. Le but est de montrer comment la vie musicale au Luxembourg a été influencée par des relations de pouvoir. Ces contraintes sont liées au genre sexuel des personnes, mais aussi – de façon intersectionnelle – à d’autres traits (milieu social, appartenance ethnique etc.). Dans cette nouvelle série, nous invitons des chercheur·e·s associé·e·s à explorer leur sujet (ici la danse) sous cet angle.
En octobre 1919, dans l’Escher Tageblatt, une certaine Mimy se remémore justement avec une nostalgie douce-amère les dances à l’hôtel „Cresto“ face à la gare d’Esch : „Abend für Abend rasten und schwebten, glitten und liefen eng umschlungene Paare übers glatte Parkett, flüsterten und lachen, kosten und herzten. Und wenn Marie oder Louise in die blauen Augen ihrer Sammies schaute, glaubte sie in ihnen ein Meer von Versprechen und Beteuerungen zu lesen, die später nicht immer integral eingehalten werden konnten. Die schöne Zeit ist vorüber und gar manche Schöne wird in der Sonntag-Nacht ihrem Jimmy oder Bill eine heimliche Träne nachgeweint haben“ (21/10/1919).
Des pistes inédites pour l’histoire culturelle luxembourgeoise
Se pencher sur l’histoire de la rencontre américano-luxembourgeoise par le prisme des dances révèle des pistes inédites pour l’histoire culturelle luxembourgeoise. En effet, les dances sont à l’origine de l’introduction de danses et musiques nouvelles au Luxembourg. Le FDD rapporte comment une véritable „dance craze“ a déferlé au Grand-Duché (13/6/1919). Or le nombre limité des Y girls aux dances – sans parler de la chasteté qui leur est imposée – et, en contraste, la présence des femmes luxembourgeoises – et leur enthousiasme à assister aux dances –, ont sans doute été des ingrédients essentiels dans la diffusion des danses (et musiques) américaines dans le pays. Vous ne serez peut-être pas étonnés d’apprendre que le premier évènement qualifié de „dancing“ au Grand-Duché a vraisemblablement eu lieu à l’hôtel „Cresto“ en janvier 1920.

De Maart
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