Montag17. November 2025

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CinémaEntretien avec Jean-François Laguionie et Anik Le Ray autour de leur film „Le voyage du prince“

Cinéma / Entretien avec Jean-François Laguionie et Anik Le Ray autour de leur film „Le voyage du prince“
„Le voyage du prince“, une coproduction luxembourgeoise dans nos salles de cinéma  Le Parc Distribution/Mélusine Productions

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Jean-François Laguionie est considéré – avec Michel Ocelot, le père de „Kirikou“ – comme le plus important représentant du cinéma d’animation français. Pendant des décennies, il a expérimenté avec les styles d’animation et les techniques de dessin dans ses courts et longs métrages. Il n’y a pas deux films de Laguionie qui se ressemblent, et pourtant tous ses films ont sa signature distinctive, qui se lit non seulement en termes de technique et de style, mais aussi en termes de sensibilité aux personnages et à la dramaturgie.

Son dernier film, „Le voyage du prince“, raconte l’histoire d’un prince singe vieillissant qui, après un accident, se retrouve dans un environnement qu’il ne connaît pas. Il y rencontre un jeune singe, qui l’accompagne dans ce nouveau monde. „Le voyage du prince“ est un film philosophique et humaniste qui réunit plusieurs thèmes chers à Laguionie.

Nous avions rencontré Jean-François Laguionie et Anik Le Ray – collaborateur et co-scénariste de longue date – il y a presque un an, vers la fin du Festival du film de la ville de Luxembourg. Ils y avaient présenté „Le voyage du prince“, une coproduction du studio luxembourgeois Mélusine Productions qui peut enfin être vu dans les salles de cinéma du pays.

Tageblatt: D’où venait l’envie de raconter cette histoire autour d’un clash des cultures et des époques avec des singes?

Jean-François Laguionie: L’auteur d’une histoire lui-même, la plupart du temps, ne sait pas d’où ça sort. Il y a un désir, une envie, des souvenirs d’enfance et des choses encore plus mystérieuses et souterraines. Il faut quand même rappeler qu’Anik et moi, on a travaillé sur un film qui a à peu près le même sujet – celui de l’autre – il y a une vingtaine d’années et qui s’appelle „Le château des singes“. Là, il y avait déjà un jeune singe de la canopée qui était recueilli au sol à la suite d’un accident par des singes d’une autre culture et qui le considéraient comme un singe tout à fait primitif. Ce qui n’était pas le cas. On trouvait que le sujet méritait d’être repris et approfondi à la lumière de l’actualité qui, comme vous le savez, est sur ce terrain toujours un peu difficile.

Le volet allégorique vous tient à cœur?

Jean-François Laguionie: Oui, bien sûr. En tout cas, en ce qui me concerne.

Anik Le Ray: Mais il n’y a pas que ce volet-là. Il n’y a pas que l’altérité. Le film parle de l’écologie et il y a des clins d’œil au passé, comme peut-être celui à la controverse de Valladolid lorsque on se retrouve dans l’académie. Le niveau de l’aventure aussi. Les films que Jean-François réalise et qu’on écrit ensemble visent un public très large, le plus large possible. On y prête donc une attention toute particulière: il y a toujours un niveau d’histoire – avec les niveaux des aventures – qui contente largement les enfants. A l’intérieur, il y a d’autres niveaux de lecture, qui permettent aux enfants d’emmener leurs parents ou grands-parents au cinéma sans que ceux-ci ne s’embêtent.

Dans ce sens-là, vos films ne se différencient pas tellement des grandes productions Pixar?

J.-F.L.: Je ne connais pas très bien les films Pixar. En effet, je pense qu’on travaille un petit peu dans la même direction, mais on n’est pas dans la même catégorie. Il est difficile de nous comparer. Il y a peut-être chez eux une façon plus consciente de mesurer l’histoire à leur public. Alors que chez nous – je crois que c’est moins le cas pour Anik que pour moi –, je suis incapable de deviner quel public mon film va atteindre. Par exemple, je ne pense jamais aux enfants, jamais non plus aux adultes. Je pense à quelque chose de mystérieux qui devrait réunir tout le monde. Le rapport du vieux singe avec le jeune singe, par exemple. C’est quelque chose qui concerne tout le monde. Et on a inversé un petit peu la relation initiatique qui va en général du vieux vers le jeune.

Quel est le procédé de décision, vu le grand nombre de sujets traités? Est-ce qu’à moment donné, vous gardez des propositions et des idées pour le film suivant?

A.L.: Ce n’est pas exactement comme ça que ça se décide parce que l’histoire a une espèce de forme organique et au bout d’un moment, elle vit par elle-même. Les sujets se développent, mais pas forcément par notre volonté rigoureuse. Ils se développent parce qu’ils font partie du film. Des fois on découvre des thèmes en pleine route, mais pas forcément avec la volonté de dire qu’on va parler de ceci ou de cela.

Vous avez parlé des binômes des collaborateurs (ndlr: pendant une masterclass au LuxFilmFest). C’est vous avec Anik Le Ray à l’écriture, avec Xavier Picard à la réalisation et avec Stéphan Roelants à la production. Ces binômes et leurs sensibilités respectives se ressentent dans le film.

J.-F.L.: C’est tout à fait naturel. Je n’ai pas toujours fonctionné de cette manière-là parce que quand j’ai fait du court métrage, j’étais pratiquement seul. Ce qui est la nature du court métrage. Dès que l’on a fait notre premier long métrage – „Gwen, le livre de sable“ – dans les années 80, c’était justement pour ne plus être seul, pour être avec des copains que j’estime, que j’admire. Selon les films, il y a un rapprochement amical et artistique qui se fait plus ou moins sur certains postes.

Parlons de la dramaturgie du „Prince“. C’est un film d’animation avec des singes, des allégories et en-dessus de tout ça, il y a un pourcentage important de dialogues en voix off racontés par le biais d’un narrateur. Le conte de fées n’est pas si loin que ça.

A.L.: Jean-François avait écrit un texte et ce texte était en voix off. Il s’agissait du prince qui faisait le récit de son histoire. C’était vraiment sa parole. Et on a gardé ce principe-là pour développer le film. C’était d’ailleurs aussi ce que tu as fait dans „Louise en hiver“. Donc ça crée une certaine distance, un petit décalage et finalement, ça fait reculer un peu le spectateur quand il regarde le film. On est vraiment dans une distance intéressante parce qu’elle permet d’adopter un peu tous les points de vue.

J.-F.L.: J’ai toujours aimé le journal de voyage. Comme tu le dis, ça porte la distance nécessaire, ce qui fait qu’on est impliqué dans l’aventure qui se passe au présent sur l’écran quand on regarde mais qu’en même temps, on sait en toute logique que le récit va bien se terminer, puisque c’est lui, le prince, qui raconte l’histoire. J’aime beaucoup ça parce que cela permet d’apprécier les choses au second degré.

Il y a une dizaine d’années, Hayao Miyazaki a annoncé son départ en retraite. Il me semble que vous prévoyez une sortie un peu comme celle-là après un dernier film? Mais Miyazaki est désormais dans la production d’un prochain film, apparemment.

J.-F.L.: Mais Miyazaki est un jeune homme (rires). Non, pour moi, c’est absolument ferme et définitif. Pour une raison très simple. Comme vous le savez, un film, ça peut être au minimum cinq ans d’une vie, parfois davantage. Un film coûte très cher. Donc il faut réunir des partenaires dans plusieurs pays, mais le temps passe très vite. Ça fait quand même 60 ans bientôt que je fais des films. Mais je suis encore épaté par la richesse de ce moyen d’expression. C’est un moyen d’expression qui touche les arts principaux – la littérature, la poésie, la danse ou la peinture, la musique – et en même temps, c’est quelque chose qui peut toucher tout le monde, qui peut circuler à travers tous les âges. C’est un art universel, très riche, qui n’en est qu’à ses débuts.