Artistes entre Luxembourg et BerlinEileen Byrne: „On fait des films parce qu’on adore ça“

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Eileen Byrne: „On fait des films parce qu’on adore ça“
Eileen Byrne: „J’ai quatre nationalités, et je cherche toujours ce mélange de langues, de cultures que j’avais à Luxembourg. Pour le moment, Berlin est ce qui s’en rapproche le plus.“

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Après des études de théâtre, musique, Histoire de l’art et cinéma, Eileen Byrne a réalisé plusieurs courts-métrages et documentaires. Elle vient d’achever le montage de son premier long-métrage et prépare déjà le prochain.

Il y a deux ans, Eileen Byrne s’est installée à Berlin, après 16 années passées à Munich. C’est la pandémie qui a eu raison de sa relation avec la ville de Bavière. „Le deuxième confinement en Allemagne a été très très long, et j’étais très très seule. A Munich, on ne pouvait pas sortir après 21 h. Ils suivaient les règles à la lettre – c’est Munich, quoi. Un soir, j’ai eu une crise d’angoisse, j’avais un besoin pressant de sortir. C’est alors que je me suis décidée à partir à Berlin.“ Aujourd’hui, Eileen Byrne habite non loin du Mauerpark, un endroit dans lequel elle vient souvent se promener le dimanche. „J’adore l’ambiance. C’est très international. Il y a les familles turques qui font leur barbecue, le karaoké du dimanche que j’adore. L’amphithéâtre est rempli de monde – des familles avec leurs enfants, des jeunes qui font la fête depuis le vendredi soir et viennent juste de sortir du Berghain. Ils sont ivres, mais ils chantent aussi ,My Heart Will Go On‘. J’adore ce mélange. C’est un endroit qui représente aussi l’Histoire de Berlin, l’Histoire de l’Allemagne – qui fait partie de mon identité, avec le Mur qui traversait ce parc … A Berlin, je retrouve un peu mes racines. J’ai quatre nationalités, et je cherche toujours ce mélange de langues, de cultures que j’avais à Luxembourg. Pour le moment, Berlin est ce qui s’en rapproche le plus.“

Après avoir (entre autres) étudié à la réputée Hochschule für Fernsehen und Film de Munich et réalisé plusieurs courts-métrages de fictions et documentaires, Eileen Byrne vient de terminer le montage de son premier long-métrage, l’adaptation du roman à succès „Marianengraben“ de Jasmine Schreiber. „J’étais à la recherche d’un projet, mais j’avais un peu l’angoisse de la page blanche. J’avais essayé d’écrire, mais ça ne menait à rien. Bernard Michaux, de Samsa Film, et moi sommes amis. Je lui avais dit vouloir trouver un livre que je puisse adapter. A la Berlinale 2020, lors de l’événement Books At Berlinale, on a présenté des romans à Bernard, qu’il m’a transmis. ,Marianengraben‘ était parmi eux. J’ai lu les dix premières pages et c’était exactement la langue de tragicomédie que je cherchais. C’est un roman qui parle de deuil. Une jeune femme qui a perdu son petit frère rencontre un homme plus âgé qui vit aussi une perte. Mais c’est aussi très drôle. Je riais et pleurais en même temps. Ça m’a tellement touchée, car j’ai la même façon de raconter des histoires ou de voir la vie. Et surtout, j’ai trois frères et sœurs plus jeunes que moi. Et c’est le plus grand amour que j’ai jamais ressenti. Je ressens le devoir de les protéger. Même si mes frères mesurent deux mètres de haut!“

Je sais qu’il faut une hiérarchie sur le plateau et je suis la réalisatrice, c’est moi qui prends les décisions. Mais je suis reconnaissante à chaque idée qui vient de quelqu’un d’autre, les acteurs comme les techniciens. C’est un travail d’équipe et je ne crois pas au génie.

Eileen Byrne, réalisatrice

L’écriture a d’abord commencé à quatre mains avec l’autrice du roman, puis Eileen Byrne a continué avec l’aide d’un dramaturge et de Bernard Michaux. Adapter une œuvre littéraire à l’écran pose toujours la question de la fidélité au texte initial, et peut constituer un véritable défi pour beaucoup de scénaristes: „C’était difficile. En lisant le roman, j’avais l’impression qu’il était tellement cinématographique que ce serait facile de l’adapter, mais en réalité, ça a été le contraire. Surtout parce qu’il y a beaucoup de flashbacks et de monologues intérieurs. Ça a été un processus de trouver le bon chemin. On a dû faire beaucoup de changements. J’ai eu très peur que l’auteure n’aime pas, mais elle s’est montrée très ouverte. Je crois qu’on a trouvé une voie avec des scènes différentes du livre, qui nous ont toutefois permis de rester très proches du noyau dur, de l’histoire. En tout cas, l’auteure a vu le film, et elle l’a beaucoup aimé. Mais ce n’était pas facile. J’ai beaucoup appris.“  Eileen Byrne souhaiterait continuer à travailler à des œuvres existantes, ou réaliser les scénarios écrits par d’autres, plutôt que de se considérer comme une scénariste de création originale: „J’adore prendre des personnages qui existent et les faire vivre. Mais j’ai du mal avec ce qui précède – le développement même d’une histoire. En plus, c’est beaucoup moins bien payé, et beaucoup moins respecté dans le monde du cinéma, alors que c’est un travail énorme.“

Du tournage de „Marianengraben“ qui a duré sept semaines, Eileen Byrne a essentiellement appris qu’elle peut désormais faire davantage confiance à son intuition qu’à toutes les règles, techniques et théories apprises durant ses études et les tournages précédents. „Ce que je veux transmettre aussi, c’est qu’on peut avoir de la bonne humeur sur un plateau, et quand même faire de bons films. J’ai beaucoup travaillé dans le cinéma, sur des films où il y avait beaucoup de stress, de pression, de gens qui crient – et ce n’étaient pas les meilleurs films. Je trouve ça très important d’au moins essayer de garder son calme et d’être gentil avec tout le monde. Les gens travaillent mieux. Je sais qu’il faut une hiérarchie sur le plateau et je suis la réalisatrice, c’est moi qui prends les décisions. Mais je suis reconnaissante à chaque idée qui vient de quelqu’un d’autre, les acteurs comme les techniciens. C’est un travail d’équipe et je ne crois pas au génie. Il y en a sûrement. Mais moi, je ne suis pas un génie en tout cas.“

Le fait de désacraliser ainsi la position toute-puissante du réalisateur ou de la réalisatrice permet d’instaurer des conditions de travail plus saines, d’éviter des formes d’abus et de domination, tout en respectant une vision artistique et en permettant à l’équipe d’y tendre de manière commune. Une façon de déconstruire des dynamiques toxiques qui ont trop longtemps prévalu dans le milieu du cinéma. „Je crois qu’il y a des gens qui ont des cerveaux incroyables et font des choses extraordinaires, mais je ne pense pas personnellement détenir la vérité. J’ai une vision, et elle est toujours très empreinte d’émotion. Je veux raconter des histoires qui me touchent, et essayer de toucher d’autres personnes. Je crois que tout mon travail est beaucoup plus émotionnel qu’esthétique. Je sais ce que je veux raconter en matière de sentiments, mais il y a un nombre infini de possibilités de raconter une histoire – tant du point de vue esthétique qu’en fonction de tous les moyens qui existent dans le cinéma. Je ne crois pas que ce que j’ai en tête soit la vérité. Lorsque je reçois des idées de la part d’autres personnes qui veulent du bien au film, elles sont un cadeau. Elles enrichissent le projet.“

C’est juste vraiment pour le plaisir, et c’est très important. J’adore cette initiative de Govinda [Van Maele], car on a tendance à oublier qu’on fait des films parce qu’on adore ça, et que ça peut être très amusant.

Eileen Byrne, réalisatrice

Début mai, Eileen Byrne était au Luxembourg pour tourner un court-métrage dans le cadre de l’initiative Quickies, organisée par Filmreakter. Passer ainsi d’un projet à un autre est-il un moyen de rester épanouie? „Je sais que c’est un de mes problèmes: je saute un peu trop d’un projet à un autre, car ça me donne tellement d’énergie que parfois je ne me concentre pas assez sur un projet. J’avais fait mon premier Quickie durant le Corona, et l’acteur Dominik Raneburger, m’a suggéré une nouvelle idée que j’ai trouvée très drôle. Alors le jour même de la deadline, on a créé et envoyé un petit dossier. On a été sélectionnés et j’ai eu un coup de panique, je ne savais pas comment j’allais faire – j’avais la post-production de ,Marianengraben‘, en parallèle avec la préparation de mon prochain long-métrage, ,Bille Und Zottel‘, qui est un très gros film, et je devais faire un Quickie entre! Mais finalement, ,Bille Und Zottel‘ a été repoussé à l’été 2025, alors ça va.“

Eileen Byrne travaille à l’adaptation à l’écran de cette série de livres pour enfants depuis huit ans. „Les livres ont été écrits dans les années 70, 80, et on le sent – dans les personnages, le propos, et même dans la structure, qui est très épisodique. J’ai passé six ans à écrire le scénario, puis un autre scénariste a pris la main, car je n’y voyais plus clair. Mais j’ai toujours rêvé de faire un film pour enfants, donc c’est vraiment super. Et en ce qui concerne l’initiative des Quickies, ce que j’adore, c’est le fait de faire sans trop réfléchir. ,Est-ce que c’est assez intelligent?‘, ,Est-ce que c’est bien pour ma carrière?‘, ,Qu’est-ce qu’on va penser de moi comme réalisatrice?‘, tous ces trucs-là, on s’en fout. C’est juste vraiment pour le plaisir, et c’est très important. J’adore cette initiative de Govinda [Van Maele], car on a tendance à oublier qu’on fait des films parce qu’on adore ça, et que ça peut être très amusant.“

Série

Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.