Sonntag21. Dezember 2025

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Critiques de „Des loups chez les Luxos“Des mystères à Esch, ou comment l’auteur Jacques Steiwer concilie observations sociologiques et thriller

Critiques de „Des loups chez les Luxos“ / Des mystères à Esch, ou comment l’auteur Jacques Steiwer concilie observations sociologiques et thriller
L’auteur Jacques Steiwer en 2018, lors d’une conférence à la bibliothèque du Citim Photo: archives Editpress/Julien Garroy

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„Des loups chez les Luxos“ est tout sauf un roman sur le retour du loup au Luxembourg – c’est un roman policier de Jacques Steiwer. Comment l’auteur concilie observations sociologiques et thriller.

Avec „Des loups chez les Luxos“, Jacques Steiwer livre un cinquième opus captivant de sa série policière. Le commissaire luxembourgeois Moulinart, désormais retraité mais toujours doté d’un flair remarquable, explore un sud industriel en déclin où se mêlent crime, secrets et fractures sociales sur fond d’affaire criminelle. Plus qu’un roman policier, l’ouvrage mêle suspense, réflexions philosophiques et observations sociologiques sur le Luxembourg contemporain.

À propos de l’auteur et sa série

Né au Luxembourg en 1939, Jacques Steiwer est à la fois philosophe, essayiste et romancier. Formé à Paris auprès de Paul Ricœur et auditeur de Maurice Merleau-Ponty, marqué aussi par une expérience en neuropsychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne, il a mené une carrière d’enseignant tout en publiant de nombreux essais consacrés à la démocratie européenne, à la psychanalyse freudienne ou à la théorie des systèmes de Niklas Luhmann. Mais c’est dans la littérature qu’il a donné la mesure la plus singulière de sa pensée: ses romans policiers, initiés avec „Mort d’un Nietzschéen“, mêlent enquête criminelle et enquête philosophique, radiographie sociale et méditation existentielle.

Dans la série des „… chez les Luxos“, il met en scène le commissaire Moulinart, antihéros désabusé dont les investigations révèlent les zones d’ombre du Luxembourg contemporain: trafics, réseaux criminels, compromis politiques et mémoire refoulée. Steiwer inscrit ses récits dans la tradition du roman noir à la Chandler ou Ellroy, tout en leur conférant une profondeur philosophique rare: chaque intrigue explore le rapport entre vérité et mensonge, pouvoir et justice, mémoire et oubli. Romancier critique, nourri d’érudition, mais attentif aux marges sociales, Steiwer construit une œuvre singulière, où l’acte de penser se prolonge dans l’art de raconter et où la fiction devient un laboratoire d’idées.

Moulinart, un antihéros lucide

Dans la série policière „… chez les Luxos“, Jacques Steiwer confie l’investigation à un personnage récurrent: le commissaire luxembourgeois Moulinart. Relégué progressivement aux marges de l’institution, puis mis à la retraite, il n’agit plus vraiment en représentant officiel de la loi, mais en citoyen guidé par un sens personnel de la justice et de la responsabilité. Loin du héros sans faille, Moulinart apparaît comme une figure fragile, parfois maladroite, qui met au jour des vérités dérangeantes par des moyens détournés, souvent en dehors des règles établies. Ses démarches mettent en lumière des réalités sociales corrompues, où le crime se mêle au politique et à l’économique, façonnant les existences individuelles jusqu’à les broyer. Les véritables instigateurs, eux, demeurent intouchables, tapis dans l’ombre. Le cinquième volume, „Des loups chez les Luxos“ (2024), déplace l’intrigue vers le sud industriel en déclin, notamment Esch-sur-Alzette et Lasauvage.

Le roman combine une narration (aux nombreux rebondissements et aux multiples ramifications) profondément enracinée dans le réel social et historique avec une réflexion sur l’éthique, le pouvoir et la mémoire collective

L’enquête démarre avec la découverte d’un cadavre en putréfaction, celui d’une femme originaire du Kazakhstan, immigrée au Luxembourg à la faveur des bouleversements post-soviétiques. Alors que certains s’efforcent de faire disparaître cette histoire compromettante dans l’indifférence générale, Moulinart, au fil d’une rencontre inattendue avec la mystérieuse „Sauvage de Lasauvage“, exhume un passé obscur et des drames enfouis sous l’apparente tranquillité du quotidien.

Un roman policier philosophique et sociologique

Dans „Des loups chez les Luxos“, Jacques Steiwer construit un récit où le fil narratif (qui s’étend sur 37 chapitres) est irrigué de réflexions philosophiques et de notations sociologiques, conférant à l’intrigue une double dimension. D’un côté, le roman se lit comme une description minutieuse du Luxembourg post-industriel, de ses paysages urbains en mutation, de ses micro-sociétés locales et de leurs interstices oubliés. De l’autre, chaque événement – la rencontre décisive avec la „Sauvage de Lasauvage“, l’investigation sur le cadavre dans „l’affaire du cadavre de la tangentielle“, la mise en lumière des complicités sociales – est souvent assorti d’un savoureux commentaire réflexif qui dépasse le simple fait divers (que l’on parcoure seulement les pages que l’auteur consacre à la ville d’Esch ou au „chroniqueur omniscient et omniprésent“).

La couverture: Jacques Steiwer, „Des loups chez les Luxos“, publié par Editions Phi (2024)
La couverture: Jacques Steiwer, „Des loups chez les Luxos“, publié par Editions Phi (2024) Source: Editions Phi

Tout un terrain d’investigation s’ouvre devant le colonel Moulinart, qui vient de franchir le cap de ses 70 ans et qui, malgré son âge, conserve intact son flair de policier, ses réflexes aiguisés et son sens inné de l’observation, capables de détecter le moindre indice que d’autres pourraient négliger (concernant un certain loup présent dans la forêt de Lasauvage, les migrants égarés, etc.), n’oubliant que pas „le Hasard, grand maître du jeu des humains, intervi[e]nt cependant dans ce monde bétonné pour y aménager la lézarde minuscule par laquelle des failles pouvaient s’ouvrir“ (p. 95).

De plus, la dimension gnomique de l’oeuvre, où chaque détail de la vie quotidienne et sociale devient porteur d’un enseignement implicite, transforme la narration en une sorte de méditation sur la condition humaine: la solitude, la marginalisation, la fragilité des liens sociaux et la manière dont la société laisse s’éteindre certains destins. Le style de Steiwer ne se contente pas de relater les événements; il inscrit chaque action dans un cadre conceptuel où la psychologie, la morale et la politique se rencontrent.

Parallèlement, le suspense reste intact. La découverte du cadavre, surnommé la „morte du remblai“, structure l’intrigue et agit comme un moteur dramatique. Sa présence, menaçante et mystérieuse, rappelle constamment au lecteur que derrière la façade paisible du village se cachent des forces insoupçonnées. Le suspense n’est pas seulement lié à l’identification du meurtrier ou à la résolution de l’énigme: il naît de la confrontation du personnage principal – et par extension du lecteur – à la complexité des structures sociales, des secrets et des non-dits qui régissent le monde qu’il explore.

En définitive, le roman combine une narration (aux nombreux rebondissements et aux multiples ramifications) profondément enracinée dans le réel social et historique avec une réflexion sur l’éthique, le pouvoir et la mémoire collective. Le mélange de description précise, d’analyse philosophique et de suspense policier confère à l’œuvre une densité rare: le lecteur est simultanément témoin d’un thriller, d’une observation sociologique et d’une méditation philosophique sur la fragilité de l’ordre social et la nécessité de l’interrogation critique.