Dienstag11. November 2025

Demaart De Maart

Focus sur Kamel DaoudCe qu’il faut savoir sur Kamel Daoud et si son œuvre „Houris“ a reçu à juste titre le prix Goncourt en 2024

Focus sur Kamel Daoud / Ce qu’il faut savoir sur Kamel Daoud et si son œuvre „Houris“ a reçu à juste titre le prix Goncourt en 2024
Kamel Daoud après avoir reçu le prix Goncourt Photo: AFP/Julien De Rosa

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Le prix Goncourt a été décerné à l’auteur Kamel Daoud pour „Houris“, mais qui est cet écrivain et la distinction est-elle méritée?

Kamel Daoud

Né en 1970 en Algérie (Mostaganem), Kamel Daoud est un écrivain et journaliste franco-algérien lauréat du prix Goncourt du premier roman en 2015 pour „Meursault, contre-enquête“ (paru en 2013 aux éditions Barzakh en Algérie et en 2014 chez Actes Sud en France) et récipiendaire du prix Goncourt en 2024 pour „Houris“, paru aux éditions Gallimard. Il grandit dans une région rurale – au milieu d’une fratrie de six, ce qui apparaît comme une donnée (géographique) centrale de son parcours de vie. Il parle et écrit aussi bien l’arabe que le français. Il fait des études supérieures d’abord scientifiques puis littéraires.

Adolescent, il adhère au mouvement islamique naissant au début des années 1980, mais par la suite il perd ses illusions et s’oppose ouvertement à la ferveur religieuse. Plus tard, il critique ouvertement la société algérienne contemporaine et rejette les principes de ce qu’il considère comme un nationalisme et un islamisme erronés qui nient l’expression de soi et la liberté intellectuelle. Après avoir étudié la littérature française à l’université d’Oran, Daoud décide de faire carrière dans l’écriture. Il s’est établi comme journaliste et, en 1996, il s’est affilié au Quotidien d’Oran, un journal de langue française, auquel il a consacré une rubrique régulière intitulée „Raina Raikoum“ („Mon opinion, votre opinion“).

En 2013, Daoud a publié son premier roman, „Meursault, contre-enquête“, conçu comme une „contre-enquête“ fictive ou une relecture de „L’Étranger“ (1942) d’Albert Camus. Raconté par le frère imaginaire de l’„Arabe“ sans nom assassiné sans raison par le détaché et serein Meursault, le roman de Daoud présente un double portrait de la condition humaine telle que Camus l’a envisagée et telle qu’il l’a repensée.

Controverses

Cependant, le roman n’a pas été sans controverse. Offensés par les propos véhéments du narrateur sur la religion dans „Meursault, contre-enquête“, des islamistes se sont indignés, ont dénoncé l’œuvre comme un blasphème et ont exigé des représailles. Bien qu’il soit souvent présenté comme le premier ouvrage de Daoud, „Meursault, contre-enquête“ est en fait le troisième d’une série de textes commençant par „Ô Pharaon“, publié à Oran en 2004. On peut donc dire que, loin d’être seulement journaliste, Kamel Daoud est un écrivain remarqué en Algérie, sachant utiliser le texte pour exprimer et magnifier ses idées sur le conflit et le pouvoir.

Les positions de Daoud n’ont pas été exemptes de controverses, que ce soit en France ou en Algérie, et son travail de romancier, mais aussi de journaliste et de polémiste, est souvent examiné, notamment à travers le prisme des études postcoloniales. Il a exprimé par le passé son rêve d’oublier le journalisme pour se consacrer à la littérature pure, mais un recueil des travaux journalistiques de Daoud, intitulé „Mes indépendances: Chroniques 2010-2016“ (Actes Sud), a néanmoins été publié en 2017. En plus du prix Lagardère du meilleur journaliste de l’année en 2016, ce recueil de cent quatre-vingt-deux textes journalistiques écrits entre 2010 et 2016, lui a valu le prix Livre et Droits de l’Homme 2017. Kamel Daoud tient par ailleurs actuellement une chronique hebdomadaire dans le magazine français „Le Point“.

Deux des derniers textes de Daoud, cependant, ont été moins impliqués dans la politique, tout en décrivant certaines facettes du pouvoir. Ils explorent les actes d’écriture et de narration, ainsi que les aspects cachés du langage et de la matérialité: la matérialité des livres et du corps, et la beauté des deux. „Zabor ou les psaumes“, publié pour la première fois en français en 2017, est une œuvre de réalisme magique, mais aussi un hymne au pouvoir de la fiction. Le narrateur est un jeune homme qui possède un don: il peut combattre la mort en écrivant, et les personnes dont il raconte l’histoire dans ses carnets vivent plus longtemps. Ce roman allégorique s’inspire des mythes, de la religion et des fables, et comme dans les „Mille et Une Nuits“, le récit peut temporairement repousser la mort. Mais cet ouvrage est aussi une ode à la langue, ou plutôt aux langues, à leurs transformations et à leurs appropriations, en particulier dans un contexte post-colonial.

„L’écriture est un tatouage et, derrière le tatouage, il y a un corps à libérer“, écrit Kamel Daoud dans „Zabor ou les psaumes“ mettant en scène le personnage d’Ismaël, dit Zabor, qui est aussi le narrateur. Il y décrit un miracle dont il a fait l’expérience, à savoir la naissance à la littérature, ce à quoi s’ajoute la découverte de l’imagination consistant notamment à jouer avec des mots comme avec des „osselets“ et à dialoguer en esprit avec des écrivains disparus. 


Entre douleur et révolte: „Houris“

Kamel Daoud a reçu le prestigieux prix littéraire français Goncourt pour „Houris“, un roman sur les massacres de la guerre civile algérienne entre 1991 et 2002, au cours desquels le gouvernement et divers groupes islamistes se sont affrontés. L’homme de 54 ans, qui a d’abord travaillé comme journaliste en Algérie et qui y a été menacé en raison de ses articles critiques, y met en scène l’histoire d’Aube, qui a perdu ses parents, sa sœur et sa voix pendant la guerre civile algérienne après qu’un homme a tenté de lui trancher la gorge. L’Académie Goncourt met ainsi à l’honneur un livre qui allie profondeur lyrique et éléments tragiques et qui fait entendre les souffrances d’une époque algérienne sombre, notamment celles des femmes, comme l’a rappelé l’actuel président de l’Académie Goncourt, Philippe Claudel, lors de l’annonce des résultats de l’édition 2024.

Les vierges

Articulé en trois parties („La Voix“, „Le Labyrinthe“ et „Le Couteau“), „Houris“ est constitué par le long récit d’une jeune femme qui a failli être assassinée pendant la guerre civile et qui a perdu sa voix à cause de ses blessures. Les houris sont, selon la foi musulmane, des vierges dans le paradis, qui seront la récompense des bienheureux. Aube est certainement l’une d’entre elles. Elle est la trace incarnée et la preuve évidente de ce que les Algérien(ne)s ont vécu en Algérie pendant dix ans; elle porte, gravée sur sa peau depuis son enfance, l’histoire de toute une guerre. Elle s’exprime de manière inaudible, car ses cordes vocales ont été coupées par un fanatique religieux lorsqu’elle avait cinq ans.

Kamel Daoud, „Houris“, Paris, NRF/Gallimard, 2024. ISBN-13: 978-2072999994‎; 411 pages; 23 euros
Kamel Daoud, „Houris“, Paris, NRF/Gallimard, 2024. ISBN-13: 978-2072999994‎; 411 pages; 23 euros Source: Gallimard

Elle porte désormais la trace de cet acte comme un sourire, sous la forme d’une cicatrice de dix-sept centimètres sur son cou qu’elle a prolongée par quelques tatouages sur son corps. Elle communique avec son langage intérieur, adressé à l’être qui grandit encore dans son ventre. Un être qu’elle voudrait tuer d’une part, mais dont elle a besoin d’autre part pour avoir un vis-à-vis pour son histoire. En effet, une „Charte pour la paix et la réconciliation nationale“ datant de 2005 interdit dans son pays d’évoquer ouvertement les événements de guerre civile des années de terreur 1992-2002 entre les islamistes et l’armée, car cela contribuerait à dénigrer la République.

„Houris“ est un livre à plusieurs niveaux, finement ciselé en courts chapitres. Dans le dédoublement de son bilinguisme – le français pour son monologue intérieur, l’arabe rauque sans voix pour communiquer avec son entourage, Aube raconte son histoire entre douleur et révolte. Elle gère son petit salon de coiffure dans la ville d’Oran comme un front de bataille avec l’imam corrosif d’en face, qui veut la faire partir de la rue, et avec le reste de son environnement quotidien. Sa grossesse est pour elle un lieu de retraite secret entre un passé difficile et un avenir sombre – un lieu dont même sa mère Khajida n’a pas connaissance.