Littérature„Camille va aux anniversaires“, le nouveau roman d’Isabelle Boissard

Littérature / „Camille va aux anniversaires“, le nouveau roman d’Isabelle Boissard
Dans „Camille va aux anniversaires“, l’on retrouve de nouveau l’humour caustique, cathartique et politiquement incorrect de l’autrice Photo: Chloé Vollmer-Lo 

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Après avoir passé son existence à suivre son mari, Camille, cinquantenaire à la croisée des chemins, se retrouve seule et désarmée avec pour unique recours son humour et le regard caustique qu’elle porte sur notre „ultramoderne solitude“ connectée.

En 2021, Isabelle Boissard publiait son premier roman „La fille que ma mère imaginait“, un livre hilarant qui retraçait les pérégrinations d’une mère de famille expatriée à Taïwan. Trois ans plus tard, l’autrice revient avec un nouveau roman, „Camille va aux anniversaires“, également publié aux éditions Les Avrils. Ce nouvel opus reprend un personnage de femme qui vit depuis plusieurs années hors de son pays natal, la France. Mais cette fois, la carrière de son mari l’a conduite à habiter le Danemark. A présent que ses filles ont quitté la maison, Camille doit faire face aux épreuves typiques de la mid-life crisis – à commencer par la rupture d’avec son époux, dont elle découvre l’infidélité: „Laurent lui, adorait son job, le Danemark, et j’apprendrais un soir de novembre, le jour de mon anniversaire, qu’il adorait aussi une Danoise.“

Dépendante du regard des autres

La proposition d’Isabelle Boissard est riche et particulière, en cela qu’elle ne nous propose pas de suivre le parcours d’une femme émancipée, qui mènerait la tête haute mille et un combats pour abolir le patriarcat en clamant des slogans d’empowerment bien sentis. Camille traverse la crise de la cinquantaine en posant sur le monde un regard juste et sincère, en admettant ses défaites et ses difficultés. Malgré son féminisme, Camille n’est pas une „bad ass“, selon l’expression consacrée. Pas vraiment libérée, encore profondément dépendante des hommes et du regard des autres, elle se trouve au milieu – de sa vie, comme de la crise existentielle. Elle n’est ni mariée, ni divorcée, ni senior, ni dans la fleur de l’âge. Elle ne vit ni en France ni à l’étranger, a des enfants, mais ne partage plus leur quotidien et ne doit plus s’en occuper. Coincée entre la génération des boomers et celle des millennials, elle évolue dans une forme de limbes, observe les changements de mœurs, tente d’apprivoiser les nouveaux procédés de communication, modes de rencontre et de séduction, sans vraiment y trouver son compte ou sa place.

Isabelle Boissard nous offre le portrait rare d’une femme contemporaine qui ne tient pas véritablement sur ses deux pieds. Dans une société européenne qui semble avoir avancé sans elle, l’ex femme-mariée-mère-au-foyer-expatriée qui n’a aujourd’hui plus aucun repère tente de trouver du sens. On retrouve dans „Camille va aux anniversaires“ l’humour caractéristique d’Isabelle Boissard, un humour caustique, cathartique et politiquement incorrect: „Peut-être qu’un jour, on rendra visitables les lieux de rétention des migrants. Regardez comme ils sont en danger. Un panneau informera que celui-ci vient du Niger. Le pays est en guerre. De même qu’on peut parrainer notre espèce favorite, on pourra parrainer nos migrants préférés. On paiera l’entrée. On amènera les enfants. On achètera dans la boutique du lieu, dont le nom reste à trouver, des peluches de migrants et pourquoi pas des embarcations de fortunes reconstituées en miniature. Bienvenue au cœur de la biodiversité.“ Isabelle Boissard a l’observation juste et la formule tranchante, lorsqu’il s’agit de décrypter nos us et coutumes.

Le sens de l’observation comme point fort

Ce n’est pas dans l’intrigue, assez ténue, que réside l’intérêt principal du roman, mais dans le sens de l’observation juste et les formules tranchantes, bien senties, dont fait preuve Isabelle Boissard. Le style est fluide et léger, ponctué çà et là d’énumérations précises et recensements descriptifs qui s’étirent en longueur et donnent parfois l’impression de s’engouffrer dans un tunnel sans fin: nous sommes à l’image de Camille, enfermés dans une vie dont nous ne parvenons plus à voir l’horizon.

Avec son nouveau roman, Isabelle Boissard brosse le portrait d’une „ménagère de plus de cinquante ans“ qui, au lieu de faire l’objet d’une énième étude marketing, entreprend plutôt de s’analyser elle-même. Jamais le personnage de Camille ne tombe dans le pathos ou ne se prend au sérieux, au contraire. Elle met en lumière ses faiblesses, les raisons qu’elle a d’avoir honte, de se sentir inadéquate, non désirable, non nécessaire et perdue. Boissard examine et révèle les nouvelles formes de dépendances et de troubles de l’attachement qu’aggrave notre usage des réseaux sociaux, ces reflets narcissiques et troubles de nos insécurités. Un texte à l’honnêteté acide et réjouissante.

 Photo: Les Avrils

Infos

Isabelle Boissard: „Camille va aux anniversaires“
Les Avrils
256 pages; 21,10 euros
ISBN 978-2-38311-027-9