Comédie„Bernadette“, insoumission en douce à l’Elysée – Rencontre avec la réalisatrice Léa Domenach

Comédie / „Bernadette“, insoumission en douce à l’Elysée – Rencontre avec la réalisatrice Léa Domenach
„J’ai choisi Catherine Deneuve, parce que je trouvais qu’elle pouvait dégager quelque chose de Bernadette. Elles ne se ressemblent pas du tout et, en même temps, elles ont un côté très bourgeois, un brin aristocratique, elles ont aussi une même façon de parler“, explique Léa Domenach. Photo: Kar Productions

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Elle a un prénom de sainte. Sans (aucun) doute, l’a-t-elle été pour supporter les frasques de son mari, Jacques Chirac. Comme Barbie, Bernadette porte du rose bonbon, une coiffure savamment permanentée. Dans „Bernadette“, Catherine Deneuve, blazers pastel, regard frondeur et bouche serrée, incarne une Bernadette Chirac qui, au mitan des années 1990, cherche à sortir de l’ombre de son mari et à redorer son image jugée austère.

Pour son premier long métrage, Léa Domenach réalise un biopic sur l’épouse de Jacques Chirac, réputée pour sa discrétion et son caractère parfois difficile. Un sujet, disons-le, à haut risque. La cinéaste s’en tire très bien, faisant de „Bernadette“ une comédie décalée, drôle, enlevée, jamais ridicule. Le casting est royal. Autour de Catherine Deneuve, bluffante, Denis Podalydès (Bernard Nicquet), Michel Vuillermoz (Jacques Chirac) et Sarah Giraudeau (Claude Chirac) sont tout simplement épatants. Un tendre hommage à cette „première dame“, aujourd’hui âgée de 90 ans. Rencontre avec Léa Domenach.

Tageblatt: D’où vous est venue l’idée et l’envie de réaliser „Bernadette“?

Léa Domenach: Bernadette Chirac est un personnage de mon enfance. Je suis née dans les années 80 et j’ai grandi avec le couple présidentiel. Mon père journaliste (Nicolas Domenach, ndlr) a beaucoup écrit sur Jacques Chirac. A l’époque, j’avais une mauvaise image de Bernadette: une femme un peu acariâtre, parfois aigrie, pas très marrante, très conservatrice. Mais je ne voyais pas le potentiel. En voyant le documentaire „Bernadette Chirac, mémoire d’une famille“ d’Anne Barrère, sa conseillère en communication pendant plus de vingt ans, j’ai vraiment découvert qui était Bernadette Chirac. Elle avait 86 ans et elle était très drôle, déjà. J’ai trouvé qu’il y avait une vraie histoire à raconter, celle de la revanche d’une femme, que je ne connaissais pas.

Vous avez réalisé une comédie plutôt qu’un biopic?

Oui. Le personnage me paraissait comique, par son côté irrévérencieux, „punchlineuse“. On avait beaucoup ri d’elle, à ses dépens. Je trouvais jubilatoire de rire avec elle plutôt que de rire contre elle. Cette comédie raconte la revanche d’une femme à travers les yeux de Bernadette Chirac. C’est plus une vraie fiction qu’un biopic.

Vous l’appelez par son prénom. Un signe de tendresse à son égard?

„Ma“ Bernadette est sûrement plus sympathique que la vraie. Pour les besoins d’héroïser une femme, pour qu’on s’y attache, pour la rendre sympathique, il faut voir ses bons côtés. C’est un parti pris. Mon but était de faire une comédie plutôt bienveillante. Je ne suis pas quelqu’un de cynique. Je voulais faire une héroïne de fiction d’autant plus que je ne suis pas de son bord politique. Je suis de gauche, féministe. Mais ce qu’elle véhiculait en tant que femme, fait très universel. L’histoire d’une revanche d’une femme parle à tout le monde.

Est-ce un film féministe?

Oui, complètement. Sans être politique, j’ai fait un film féministe à partir du moment où cela parle d’empowerment d’une femme capable de s’émanciper. En plus, une actrice de plus de cinquante ans comme héroïne d’une comédie relève presque d’un acte militant. Les femmes „âgées“ ne représentent que 8% des rôles au cinéma.

Claude et sa mère sont-elles des rivales?

Claude, c’est le parcours d’une adolescente qui a honte de sa mère, à la sortie du collège. C’est très humain. Déjà, pour Claude, ce n’est pas facile de se faire une place en tant que fille d’un couple présidentiel et, en tant que la plus jeune, de se faire un prénom dans un monde exclusivement masculin. En plus, elle y arrive et elle voit sa mère qui l’encombre parce qu’elle la trouve ringarde, pas à la page. Evidemment, elle la met au placard. C’est un peu immature, mais c’est très humain. Mon propos, c’est que Claude grandisse. A la fin, je la fais plus ressembler à sa mère. Elle a compris qu’elle avait tout porté. Claude est dure avec sa mère, mais pas plus que beaucoup d’enfants avec leurs parents, d’ailleurs.

Bernadette est désormais conseillée par Bernard …

Bernard Niquet a réellement existé. Je n’ai même pas dû changer le prénom! On a mis beaucoup de fiction dans le personnage, car on dispose de peu d’images d’archives sur lui. On l’a rendu plus loufoque. Bernard et Bernadette forment quand même un duo, improbable, de losers magnifiques.

Bernadette Chirac est la seule épouse d’un président de la République à avoir exercé un mandat politique.

En 1979, elle est la première Conseillère générale en France (de Corrèze, jusqu’en 2015, ndlr), ce n’est pas rien. Elle avait des ambitions plus vastes pour sa propre carrière, qu’elle n’a pas pu mettre en place. Mais la politique est un exercice qui lui a beaucoup plu. Je raconte dans le film le bon sens politique qu’elle a. Elle est sur le terrain, elle voit les choses. Elle enjoint les membres du bureau politique à regarder ce qui se passe en bas.

On est frappé par l’amour que Bernadette porte à son mari.

De ce que j’ai lu, elle éprouvait un amour profond et une admiration sincère. Elle l’aime encore et cela se voit. Il y a eu beaucoup d’amour, de trahisons et de souffrances. On peut parler d’une vraie histoire d’amour. Même si on ne divorce pas chez les Chodron de Courcel, on ne reste pas aussi longtemps avec un homme qu’on n’aime pas.

En choisissant Catherine Deneuve, aviez-vous pensé à son rôle dans „Potiche“ de François Ozon?

Non. J’ai choisi Catherine Deneuve parce que je trouvais qu’elle pouvait dégager quelque chose de Bernadette. Elles ne se ressemblent pas du tout et, en même temps, elles ont un côté très bourgeois, un brin aristocratique, elles ont aussi une même façon de parler. Bernadette a un flux beaucoup plus lent que Catherine, mais, dans les petites phrases assassines, elles ont toutes les deux ce débit très mitraillette. J’avais „Potiche“ peut-être à l’esprit, mais beaucoup plus tard. Peu de films racontent une histoire d’une femme d’un certain âge qui prend le pouvoir. Catherine avait „Potiche“ en tête, mais elle n’avait pas du tout envie de faire la même chose. Le point commun, c’est cette espèce d’empowerment d’une femme, sauf que les deux personnages sont très différents. Dans „Potiche“, on est avec une femme, une chipie qui fait ses coups en douce, qui a ses amants, son pré carré et qui n’a pas du tout envie de bouger de vie. Bernadette, elle, est dans le registre d’une épouse humiliée, frustrée qui ronge son frein.

On voulait vraiment être tranquilles. Le film terminé, je leur ai envoyé une lettre pour les prévenir de sa sortie et leur proposer de le voir, avant. Je ne veux pas manquer de respect, ni à Bernadette, ni à sa famille.

Léa Domenach,  réalisatrice

Vous n’avez consulté ni Bernadette, ni Claude Chirac.

A partir du moment où on leur parlait du film en amont, elles avaient le droit de demander à lire le scénario ou de voir des extraits du film. On voulait vraiment être tranquilles. Le film terminé, je leur ai envoyé une lettre pour les prévenir de sa sortie et leur proposer de le voir, avant. Je ne veux pas manquer de respect, ni à Bernadette, ni à sa famille. Je pense que c’est très compliqué de voir sa vie sur grand écran. L’état de santé de Bernadette Chirac ne lui a pas permis de se déplacer. Claude l’a vu. Ce qu’elle exprime lui appartient. Il n’y a rien de sulfureux dans le film. On ne raconte rien que les gens ne savent pas. Les faits sont vérifiés, rapportés. Tout a été relu par des avocats, pour empêcher toute diffamation, atteinte à la vie privée … C’est une vraie fiction sur la revanche d’une femme à travers les yeux de Bernadette Chirac.

Les costumes et les décors sont importants.

La costumière Catherine Leterrier a dessiné les costumes de Catherine. Tout a été fait sur mesure pour elle, en s’inspirant de la vraie Bernadette. On s’est inspirés d’une vraie évolution. Bernadette Chirac s’habillait beaucoup en Chanel. Elle portait, au début, des vestes très serrées, des ras du cou, des tailleurs complètement improbables avec des couleurs tout aussi improbables, un peu ringards, style très reine d’Angleterre. Dans la deuxième partie, ce qui nous amusait, c’était de moderniser son dressing tout en gardant les anciennes pièces. On a relooké. Au lieu d’être complètement en tailleur rose bonbon, elle avait tout à coup la veste Chanel avec un pantalon. Elle n’avait plus le nœud anglais, on lui mettait la même veste avec des t-shirts échancrés. Surtout, j’avais l’idée qu’elle pique des codes vestimentaires de sa fille, comme des jeans très simples, par exemple. Je voulais que, à la fin, Bernadette soit dans les mêmes tons – bleu, blanc. Dans certaines scènes où on les voit ensemble, elles sont presque habillées pareil. Quant aux décors, on a tourné à la préfecture de Versailles et dans les Maisons de Champagne à Epernay pour recréer le décor de l’Elysée.

Quel est l’héritage de Jacques Chirac dans la droite française?

Il est un peu trop tôt pour le dire. La vie politique, aujourd’hui, est un méandre compliqué. Le soir du 21 avril 2002, Jacques Chirac se qualifie au second tour de la présidentielle contre Jean-Marie Le Pen. Un coup de tonnerre politique. Le début de l’écroulement de toutes parts. Il y a eu Sarkozy. Après, on assiste au début de la fin du bipartisme avec un président assumé ni de droite ni de gauche et des extrêmes qui polarisent énormément. Pour moi, Macron est très à droite.

„Bernadette“ de Léa Domenach. Avec Catherine Deneuve, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Sarah Giraudeau. En salles.