En Europe, on ne connaît pas grand-chose de la scène musicale ukrainienne. Il y a Lisa Yasko, qui est venue jouer au De Gudde Wëllen en avril dernier, soit une femme politique pour qui la musique est une bouffée d’air tout autant qu’une autre forme de représentation publique – après les réflexions, les émotions. Viennent en tête quelques entités de l’électro, si l’on s’intéresse de près au monde du clubbing ou à la musique expérimentale. Ils s’appellent Sasha Zlykh, un Allemand d’adoption, Voin Oruwu ou Io Mulen, Hidden Element, Komponente, Svarog; du côté des femmes, Adelina, Hanna Svirska ou Nastya Vogan.
Pour ce qui est du rap, le rayon s’avère moins fécond, Alexjazz et Vyshel Pokurit représentent le genre, mais c’est un territoire qui, vu la faible quantité d’hommes, peut être occupé par des femmes, histoire de renverser la vapeur, par rapport aux autres pays. En tout cas, il y a Alina Pash, qui a participé au X Factor ukrainien en 2015, FO SHO, trois soeurs éthiopiennes-ukrainiennes, ou la poignante Dobra. En ce qui concerne M1ss MC et CTACIK, elles restent pour le moment underground (c’est le moment de les soutenir), contrairement à Alyona Alyona; il suffit de taper sur le moteur de recherche „rappeuse ukrainienne“ pour que son nom y soit d’office accolé. Mais qui est donc cette Alyona Alyona?
D’enseignante à rappeuse
Aliona Savranenko est née à Kapitanivka (sud-ouest de Kiev) en 1991, autrement dit l’année de la dislocation de l’URSS. Alors qu’elle enseigne en école maternelle pendant plusieurs années, la jeune femme s’intéresse au rap après avoir été marquée par le tube „Gangsta’s Paradise“ de Coolio. C’est assez marrant: le morceau en question, avec son sample de „Pastime Paradise“ de Stevie Wonder, figure dans la bande-son d’„Esprits Rebelles“ (John N. Smith, 1995), un film dans lequel Michelle Pfeiffer elle-même est enseignante – la différence, c’est qu’elle exerce auprès d’adolescents dans un ghetto. Alyona Alyona est séduite aussi par Eminem (le disque „Eminem Show“, 2002), et face à Slim Shady, l’alter ego de celui-ci, la rappeuse quant à elle prône la body positivity, s’amusant avec son physique qui ne serait pas vraiment en phase avec les normes sociétales, lesquelles stigmatisent en permanence le corps des femmes, de surcroît lorsqu’elles possèdent une notoriété publique. Chez Alyona Alyona, il y a les formes et le fond.
Rap politique

En 2018, suite à son premier clip, celui de „Рибки“, les vues se multiplient. L’année suivante, les louanges pleuvent dans le New York Times, au point que la rappeuse est classée parmi les „quinze européens à suivre“. Qui l’aime la suive, comme on dit – elle compte à cette heure plus de 470.000 followers sur Instagram. En 2024, à l’Eurovision, elle interprète „Teresa & Maria“ avec Jerry Heil, chanteuse et Youtubeuse compatriote. La voilà vendredi au Luxembourg.
On peut considérer le rap comme étant politique dès lors qu’une femme prend le micro, en ce que le genre est non seulement dominé par des hommes, mais souvent aussi par un esprit de domination masculine. En parlant de son vécu, terme cher au rap, Alyona Alyona parle de la cause des femmes depuis une certaine hauteur, qui est celle de l’estrade, mais aussi du recul. Et son point de vue finit par épouser le collectif, la première personne du singulier peut se conjuguer au pluriel, auquel cas „je“ est „nous“, le personnel devient universel. Le seul point de distance, et pas des moindres, c’est la compréhension de ses textes: Alyona Alyona vocalise en ukrainien, ce qui installe la fameuse „barrière de la langue“, mais la rappeuse ne laisse pas l’auditeur de l’autre côté de la frontière.
En concert
Ce vendredi, 13 juin à partir de 19.45 h à la Kulturfabrik à Esch (116, rue de Luxembourg/L-4221 Esch-sur-Alzette), plus d’infos: kulturfabrik.lu.
Le concert aura lieu dans le cadre des „Ukrainian Days in Luxembourg 2025“, organisées par LUkraine.
Car il y a son flow, à la fois sec et limpide, cette façon nette de scander le flot de ses pensées parfois sur le fil du chant, avec une touche d’humour pour apaiser, le tout sur des beats trap ou bien old school qui perforent. Et puis, à travers les clips et plus largement les réseaux sociaux, il y a l’image, qui n’a pas besoin de sous-titres. Clip et humour? Il faut voir la vidéo de „Dancer“, où Alyona détruit toute la vaisselle des tables d’un palace, sur des décors inspirés du film „The Grand Budapest Hotel“ (Wes Anderson, 2014).
Alyona Alyona, comme le facteur, sonne toujours deux fois, son nom de scène, en l’occurrence, sonne comme le cri de la foule qui clamerait son prénom sous les houras. La rappeuse doit-elle forcément assumer le rôle d’une porte-parole? La rappeuse se prononce sur la situation de son pays. „La Russie tue des enfants et notre héritage, nous avons besoin de votre aide“, affirme-t-elle dans une vidéo. En 2019, à la sortie de „Pushka (Пушка)“, son premier LP, Alyona Alyona fait part de sa contestation de la Russie. C’est une confirmation: en tant que femme et Ukrainienne, son rap est politique.
De Maart
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