La dérive des sentimentsWaterWalls jalonne la Sûre d’espaces de réflexion et de contemplation

La dérive des sentiments / WaterWalls jalonne la Sûre d’espaces de réflexion et de contemplation
Le designer Olivier Lacrouts devant une des quatre stations d’écoute de son installation Aquacanta Photo: Editpress/Fabrizio Pizzolante

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Pour sa deuxième édition, le festival WaterWalls, nourri aux principes de l’économie circulaire, propose un parcours de quatre installations artistiques en plein air, aux quatre barrages de compensation situés en aval du grand barrage d’Esch-sur-Sûre. 

„C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas.“ Le festival WaterWalls propose de chasser, le temps d’un été, cette idée sombre couchée sur le papier par Victor Hugo. En contrebas du château d’Esch-sur-Sûre que le poète français visita en 1871, Aquacanta, la première des quatre installations qui composent ce parcours artistique, propose en effet aux visiteurs d’entendre ce que la Sûre a à susurrer. Quatre instruments fabriqués à partir de matériaux de recyclage permettent d’écouter l’eau, le courant, le vent … ainsi que les êtres qui hantent la rivière. L’effet de ces machines qui permettent d’isoler les sons est impressionnant. Elles invitent à la rêverie et peut-être aussi à songer à toutes les initiatives en cours en Europe pour donner des droits aux cours d’eau et aux animaux, auxquelles cette installation fait écho.

Cette dernière s’achèvera d’ailleurs par la publication en ligne de l’histoire dessinée – et coécrite avec des gens de la région et des experts – d’une petite fille qui a appris à écouter la rivière et ses êtres, et s’engage dans une résistance positive à la création d’un barrage. 

Un défi à moult égards

Les deux concepteurs, les designers Olivier Lacrouts et Laura Drouet, associés ici avec l’artiste français Hadrien Venat, avaient occupé les serres de Soleuvre menacées de destruction lors de l’année culturelle 2022. C’est dans ce contexte qu’ils ont appris que le festival WaterWalls allait s’ouvrir aux créateurs internationaux, après une première édition en 2021, durant laquelle le jury avait dû sélectionner cinq projets parmi neuf propositions luxembourgeoises. Pour cette deuxième édition, le jury a eu à l’inverse, l’embarras du choix. Il a fallu sélectionner quatre projets parmi 60 propositions.

Pour cette deuxième édition, il a été décidé de sélectionner en priorité des projets ayant un fort potentiel participatif. Il faut reconnaître que le dernier du parcours, échappe à ce critère, mais vient le boucler par une riche contemplation. Un autre critère était le respect des principes de l’économie circulaire, dont celui souvent oublié de la réduction: des matériaux employés, des ressources humaines et de la maintenance nécessaires. Ces contraintes impliquent un contenu fort.

Un tel festival est un défi administratif – puisqu’il faut de nombreuses autorisations pour pouvoir opérer dans le bassin qui est le réservoir d’eau potable du pays. On ne peut employer n’importe quel matériau. C’est un défi technique puisqu’il faut réussir.à fixer et monter des installations en milieu humide. Des plongeurs ont apporté leur concours pour deux des quatre installations présentées. Et puis il faut aussi composer avec les aléas climatiques. Quelques jours avant l’inauguration de la première édition de WaterWalls, en 2021, des inondations spectaculaires avaient mis en péril l’installation de Marco Godinho. Pour alléger la pression sur le barrage, il avait fallu ouvrir les vannes et atteindre un débit d’évacuation d’eau à laquelle l’installation n’était pas censée tenir. Elle avait tenu et pu donc passer l’été dans le lieu pour lequel elle avait été pensée. Directrice de „Services for Creatives“ qui assure la coordination du festival, Séverine Zimmer en parle encore avec émotion et admiration face à la fureur des éléments. On peut en pareil cas parler d’arroseur arrosé, puisque le festival WaterWalls entend bien rendre attentif à l’importance de protéger la nature. 

Reflets du ciel

Les quatre installations jalonnent trois kilomètres d’un parcours plat, longé d’une piste cyclable. Elles sont installées à côté des barrages de compensation de la Sûre entre le village d’Esch-sur-Sûre et le camping Bissen, situé en aval. A quelques encablures de l’installation Aquacanta, située sous le château d’Esch-sur-Sûre, elle aussi, figure l’installation „Amazon is a river“, réalisé par un trio d’architectes, les Britanniques Lucas Facer, Thomas Randall-Page et la Luxembourgeoise Kim Gubbini. Ils ont confectionné une horloge hydraulique qui rappelle à sa manière que le temps, c’est de l’argent. Elle mesure en effet les flux financiers. Or, à la différence du temps, l’argent ne s’écoule pas de manière égale pour tout le monde. L’eau pompée dans le ruisseau est portée par différents tuyaux au sommet d’une cascade de différents récipients de taille et de valeur monétaire différentes: un euro pour un verre d’eau et 6.000 euros pour une baignoire par exemple. Les récipients se remplissent à la vitesse du salaire social minimum luxembourgeois horaire. A ce ratio, l’eau contenue dans le barrage d’Esch-sur-Sûre constitue la fortune du patron de Jeff Bezos qu’un salarié au salaire minimum, précise Kim Gubbini, ne pourrait gagner qu’après 4,2 millions d’années de travail. Les trois compères ne sont manifestement pas des adeptes de la théorie du ruissellement, qui considère que l’Etat, en aidant les riches, aide indirectement les moins dotés. Ils livrent un commentaire sur l’hyper richesse et la doctrine de la croissance infinie. Ils rappellent que l’Amazone est aussi une rivière et qu’une rivière, incarnation du flux naturel des choses, est capable de livrer à l’homme une solution plutôt qu’une marchandise.

Conçu en aval du camping „Im Aal“ par le collectif „La Bonnetterie“ à Mons, qu’on avait déjà pu voir par le passé à Sanem, „Utopian Laundromat“ est une évocation du lavoir d’antan. C’est une réactivation de ce lieu de rassemblement. Il est en effet possible d’y laver ses vêtements. L’eau est pompée dans la Sûre et filtrée. Mais on peut aussi, à l’instar de l’usage qui est fait aujourd’hui des anciens lavoirs, y faire flotter des bateaux en bois, s’y rencontrer la nuit, ou s’y détendre.  

Pour l’installation „Constellations flottantes“, l’artiste souffleuse de verre Mathilde Caillou a reproduit les constellations célestes telles qu’elles seront visibles au-dessus d’Esch-sur-Sûre, sous forme de 144 boules en verre qui désignent les étoiles. L’installation est un miroir du ciel, qui évoque notamment l’imagerie des Mundfänger, individus qui voulaient en barque attraper la lune dans leurs filets avant de se rendre compte que ce n’était que son reflet qu’ils voyaient dans l’eau. La nuit, les verres deviennent luminescents, et l’on peut contempler les reflets simultanés des étoiles et des lumières des verres. L’installation se veut une interrogation sur notre relation à l’infiniment grand. 

Programme

L’inauguration du parcours, samedi 8 juin de 12 à 20 h, s’accompagne d’ateliers, de visites commentées, de spectacles et de concerts pour toute la famille. Avec notamment: le professeur Aqua-Wass par Lex Gillen à 15 h et 17 h, un atelier de création d’instruments d’écoute non conventionnels, un atelier de dessins de la Sûre avec Laura Drouet et Olivier Lacrouts, un atelier de coulage de sucre avec Mathilde Caylou ou la découverte du monde fascinant des insectes le long de la Sûre. Locations de vélos sur place. Programme complet: www.waterwalls.lu.

L’installation „Constellations flottantes“ de Mathilde Caillou
L’installation „Constellations flottantes“ de Mathilde Caillou  Photo: Editpress/Fabrizio Pizzolante