Donnerstag13. November 2025

Demaart De Maart

ExpositionVictor Burgin au Jeu de Paume: des intervalles de conscience

Exposition / Victor Burgin au Jeu de Paume: des intervalles de conscience
Victor Burgin, Adaptation, 2023 (détail de l’œuvre en cours), vidéo en boucle © Victor Burgin

Jetzt weiterlesen!

Für 0,99 € können Sie diesen Artikel erwerben:

Oder schließen Sie ein Abo ab:

ZU DEN ABOS

Sie sind bereits Kunde?

La rétrospective consacrée à l’œuvre de Victor Burgin couvre cinquante ans de travail. Artiste anglais, né en 1941, Victor Burgin a commencé par le conceptualisme, rejetant les canons de la peinture et de la sculpture, pour explorer, par la photographie, la vidéo et le texte, des champs de conscience. Ainsi la chose mentale se réélabore au gré du regard et de l’archive. Avec le numérique, d’autres enjeux sont posés.

Afin de laisser le visiteur libre de ses interprétations, aucun matériel additionnel n’accompagne les œuvres – pas de cartels ni de citations. Les premiers travaux de Burgin décomposent le langage de l’image, en particulier celui de la publicité et du marketing, ce qui permet une lecture de la société à travers le niveau économique et le genre. Dans les années 1980, influencé par la psychanalyse et les textes de Roland Barthes, en particulier „La Chambre claire“, cherchant ce qui est enfoui dans la mémoire et comment chaque regard l’éclaire différemment, il juxtapose des textes et des images fixes pour des récits en palimpsestes. Dans les années 1990, les images en mouvement lui font créer des vidéos courtes qui tournent en boucle, au gré du temps que le visiteur passe à les regarder. La vidéo au musée est une affaire de temporalité et de liberté, les modalités de son exposition n’ont pas été évidentes au début, aujourd’hui elles nous sont familières.

Des voyages temporels

Le travail de Burgin évolue avec son époque. Dans ses vidéos, il inclut des images créées par des logiciels de modélisation 3D. Le résultat est fascinant, car les atmosphères surréalistes nous permettent des voyages temporels dont nous nous emparons avec une singularité parfois onirique. La pièce „Adaptation“, l’œuvre la plus récente, utilisant ce procédé, a été conçue spécialement pour cette exposition. Pour être plus précis, cette vidéo a été réalisée en détournant un logiciel de jeu. Burgin développe des associations d’idées et d’images. Pour „Adaptation“, en découvrant sur Internet une photo de Sheffield, cité du nord de l’Angleterre où il a passé son enfance, il pense au roman de science-fiction de Stanislas Lem, „Solaris“, paru en 1961 et adapté à l’écran par Tarkovski en 1972. Ainsi son univers rejoint une certaine mémoire collective par le biais d’images collectées, pour l’archivage d’un temps non linéaire.

Les œuvres de Burgin ont donc la particularité de suspendre le temps, de nous projeter dans les méandres de la sensorialité et de la pensée. Elles révèlent également le temps du montage, avec des intervalles, des espaces à franchir, d’une image à l’autre. La temporalité les traverse, mais aussi notre expérience du réel, dans la perception et l’interprétation de ces images.

Echapper au formatage

Ce travail de l’inconscient et de la mémoire, d’images connues et de fantasmes, Burgin y recourt de façon magistrale avec „Olympia“ (1982) et „Gradiva“ (1982). A propos de „Gradiva“, Freud publie en 1907 un article sur la nouvelle de Wilhelm Jensen, „Gradiva“, paru la même année. Le récit évoque la fascination d’un jeune homme face à un bas-relief antique représentant une femme qui marche, une femme qu’il nomme Gradiva. Archéologue, il rêve que Gradiva est morte à Pompéi, décide d’y aller pour la retrouver. Soudain, il la voit, se rend compte que Gradiva est la femme qu’il a aimée autrefois et qu’il a oubliée. Freud voit ce récit de l’objet d’un désir, du retour du passé, comme une cure psychanalytique qui ramène au réel.

Par le biais de textes et d’images, Burgin réélabore les moments essentiels de la trame du récit par deux séries qui se rejoignent. D’abord par le récit de la femme, suivant un ordre de lecture conventionnel, de gauche à droite, puis par le récit de l’homme, de droite à gauche. Le point de rencontre est celui où la femme se retourne et croise le regard de l’homme et celui du spectateur. Ces récits sont faits d’une sensualité et d’une mélancolie particulières, comme si l’objet du désir échappait à jamais. En noir et blanc, pour une trame atemporelle.

Ces associations de pensées et d’images font penser au Nouveau Roman, plus particulièrement au travail de Claude Simon, qui tentait de faire se côtoyer des temporalités différentes, juxtaposées sur la même page.
Ainsi, nous voguons à travers les images et le fantasme, le rêve et la mémoire, solitaires, bruissant d’un puissant inconscient collectif, lu à l’aune de nos années d’expérience et au gré du changement des technologies. Lecture à la fois familière et décalée, qui ajoute au partage et à la sensation d’un vertige métaphysique. Ce monde fait de mots et d’images est aussi plein d’intervalles silencieux, forts de nos existences.

„Je n’entreprends pas de rendre les choses complexes; complexes, elles le sont déjà. Par contre, je cherche à recouvrer la complexité de notre expérience quotidienne en l’arrachant aux diverses formes de réductionnisme et de formatage à laquelle elle se trouve assujettie, dans le divertissement grand public comme dans le populisme politique.“ (Victor Burgin)

Info

Victor Burgin, „Ça“
Jusqu’au 28 janvier 2024
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75001 Paris
www.jeudepaume.org

Victor Burgin, Gradiva, 1982, 7 panneaux, tirages argentiques noirs et blancs, Courtesy Galerie Thomas Zander, Cologne
Victor Burgin, Gradiva, 1982, 7 panneaux, tirages argentiques noirs et blancs, Courtesy Galerie Thomas Zander, Cologne © Victor Burgin