En rejetant le principe même d’un débat sur le projet gouvernemental, la semaine précédente, les élus avaient marqué les limites, pour ne pas dire la mort clinique, de cette doctrine si typiquement macronienne du „en même temps“, qui consistait à (tenter de) concilier le plus souvent possible les inclinations doctrinales de la droite et de la gauche. Mais il ne s’agissait encore que d’un échec tactique; cuisant, certes, pour l’exécutif, mais corrigible en pratique si un peu de dialogue finissait par se rétablir.
Cette fois-ci, la rupture semble non plus tactique, mais stratégique, et même en affectant de se réjouir de l’adoption de „son“ texte – en fait très largement durci par la droite et l’extrême droite –, le pouvoir et son chef ne peuvent ignorer que cette amère victoire est en réalité une défaite. Elle aura en effet été acquise avec les voix de l’extrême droite, dont M. Macron lui-même avait d’abord dit qu’elles ne seraient pas décomptées à l’adoption du texte, si elles étaient indispensables.
Paradoxalement pourtant, la solution qui a permis au texte ainsi largement amendé d’être laborieusement adopté, sous les huées de la gauche et en pleine crise interne de la Macronie, était certainement très proche de ce que souhaitaient une large majorité de Français, demandeurs d’une politique sensiblement plus restrictive en matière d’immigration, et des prestations sociales généreuses qui l’accompagnent … ou l’encouragent, martèle à l’envi le RN. Sans doute le camp du chef de l’Etat soutenait-il, dans son projet initial, certaines mesures restrictives, voire répressives (sur les expulsions notamment); mais c’était là, à ses yeux, le maximum de ce qu’il pouvait concéder à la droite.
Quotas, prestations sous conditions …
Il n’était pas question, en revanche, de toucher aux prestations sociales ni de renoncer, tout bien pesé, à des mesures de tolérance à l’égard des travailleurs sans papiers mais employés dans des secteurs dits „en tension“, comme l’hôtellerie-restauration, les transports privés, le bâtiment et les travaux publics … Or, la droite a obtenu bien plus, avant de faire valider ces modifications par le parlement.
Ainsi de la création de quotas pour plafonner sur les trois années à venir le nombre d’étrangers admis en France. Ou encore le fait que pour percevoir les allocations familiales, les étrangers en situation régulière devront y résider depuis cinq ans au moins s’ils ne travaillent pas, et trente mois pour les autres, système qui existe déjà pur obtenir le „revenu de solidarité active“. De même pour l’„aide personnalisée au logement“ (cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas et trois mois pour les autres).
La gauche a très logiquement annoncé son intention de saisir le Constitutionnel de la légalité de telles mesures, qui lui semblent discriminatoires et donc contraires aux principes fondateurs des institutions françaises depuis 1946. Mais le président Macron, dont les troupes ont pourtant largement contribué à l’adoption du texte gouvernemental ainsi réécrit, n’a pas hésité, hier après-midi, à faire de même!
Fronde chez les macronistes
Achevant ainsi de donner à l’opinion le sentiment d’une très grande confusion dans les positions de l’exécutif, qui a vraiment tout fait pour obtenir ce vote et qui lui trouve désormais, non sans raison, probablement, des failles juridiques majeures … dont il accuse la droite d’être la cause, alors qu’on n’a pas remarqué dans le débat que ses partisans les dénonçaient. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, jugeait hier „inouï que des membres de la majorité expliquent qu’ils votent des sujets anticonstitutionnels en semblant espérer une censure de ces dispositions controversées“.
Il est vrai que le président de la République, qui devait s’expliquer hier soir à la télévision, avait aussi une bonne raison de corriger le tir: un début de fronde chez les siens, autrement dit l’émotion suscitée dans sa majorité, et jusque dans son gouvernement, par ce qui ressemble fort à une semi-victoire de la vieille revendication lepéniste de la préférence nationale. Plusieurs ministres venus de la gauche parlaient de démissionner (un seul l’a fait pour l’instant, celui de la Santé) et un nombre significatif de députés macronistes ont voté contre le texte ou se sont abstenus mardi soir.
Le sentiment général, après l’issue pour le moins chaotique de cette marche de 18 mois vers la réforme de l’immigration, est celui d’un immense gâchis. De temps, d’énergie, mais aussi, pour le pouvoir, de prestige et d’autorité. Cependant que, tout en veillant à ne pas triompher trop bruyamment, le RN engrange de nouveaux points, avec une certaine complicité intéressée des Républicains, qui pourraient d’ailleurs s’en mordre les doigts plus tard. Et en attendant, 32 départements de gauche, ainsi que la Ville de Paris, ont annoncé qu’ils n’appliqueraient pas, pour la part qui leur incombe, les dispositions de la nouvelle loi.
De Maart
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können