Il y a exactement un an, le 24 avril 2022, Emmanuel Macron était réélu président de la République par 58,55% des voix, battant de nouveau Marine Le Pen (41,45%), avec 28% d’abstention. Ce genre d’anniversaire intermédiaire ne constitue normalement pas l’occasion de dresser un bilan, mais il prend cette année une coloration passablement sombre, même si l’on veut croire à l’Elysée que rien n’est perdu.
„Je n’ai pas eu de chance“, avait coutume de plaindre François Hollande – qui n’en avait pourtant pas manqué, en fait – en considérant son propre bilan, lequel lui semblait lui interdire de se représenter en 2017. Il faut rendre à son successeur la justice de reconnaître qu’il pourrait, lui, se prévaloir de cette déveine avec davantage de véracité, de la crise des Gilets jaunes à celle des retraites en passant par la pandémie du Covid puis l’invasion russe en Ukraine et ses diverses conséquences internationales.
Il n’empêche: le sentiment d’une grande partie de l’opinion, y compris dans des milieux qui n’étaient pas nécessairement hostiles à M. Macron, et bien entendu dans la classe politique et médiatique, est que si le vainqueur d’il y a un an est aujourd’hui en mauvaise posture, il en porte finalement une bonne part de responsabilité.
Si l’on se retourne vers cette année de second quinquennat macronien, en se demandant ce qui n’a pas fonctionné pour qu’on en soit là aujourd’hui, une première réponse saute aux yeux: fraîchement réélu, le chef de l’Etat s’est vu privé lors des élections législatives qui ont immédiatement suivi de toute majorité parlementaire. Ce n’était certes pas la première fois sous la Ve République: à l’Elysée, François Mitterrand et Jacques Chirac se sont trouvés (le premier à deux reprises, même) dans une telle situation. Mais le paysage politique était clair: le parti présidentiel avait perdu, et l’opposition, de droite ou de gauche, avait remporté une majorité de sièges, ce qui lui permettait de former un gouvernement de cohabitation. Ce qui fut fait, et fonctionna sans heurts, à l’époque, sur le plan institutionnel.
Des majorités au coup par coup, puis …
Ce contexte, bipartisan au sens large, appartient désormais au passé; et si peu enclin qu’on l’imagine à se résoudre à une telle éventualité, M. Macron était de toute façon dans l’impossibilité d’appeler à Matignon, à défaut du premier ministre qu’il aurait préféré, du moins un leader de l’opposition susceptible de s’appuyer sur une majorité. Car le président n’est pas le seul à ne pas pouvoir en disposer au Palais-Bourbon: aucune autre personnalité, de l’extrême gauche à l’extrême droite, n’en a. Et il était clair que dissoudre cette Assemblée ingérable et provoquer un nouveau scrutin n’y aurait rien changé.

Il a donc, durant l’année écoulée, chargé sa nouvelle première ministre, Élisabeth Borne, d’une navigation législative à vue, en recherchant, texte après texte, des majorités de circonstance. Et à l’étonnement quasi-général, cela n’a finalement pas trop mal fonctionné, dans un premier temps. Quitte à recourir tout de même pour les matières budgétaires, inévitablement plus politisées, au si controversé article 49-3 de la Constitution qui permet de se passer d’approbation explicite des députés si ceux-ni ne parviennent pas à voter majoritairement une motion de censure. Au total, une vingtaine de textes ont été adoptés, avec des renforts venus tantôt d’une partie de la gauche, tantôt de la droite modérée, comme sur le pouvoir d’achat, les énergies renouvelables, la politique nucléaire …
Puis est arrivé, après maintes tergiversations qui dataient déjà de bien avant la réélection d’il y a un an, l’examen du projet de loi réformant les retraites, et surtout portant leur âge légal à 64 ans au lieu de 62. Le sujet avait certes déjà fait l’objet de rencontres à Matignon avec les syndicats, mais sur un fond de totale inflexibilité de part et d’autre: le gouvernement n’entendait pas discuter d’une possible marche arrière sur ce point de l’âge, que de leur côté les syndicats se refusaient à envisager. Les conditions d’un clash étant ainsi réunies, il ne devait pas manquer de se produire, d’autant plus qu’au Parlement, La France Insoumise allait se déchaîner pour empêcher tout débat de fond, au regret de nombre de ses compagnons de route socialistes et communistes, mais pour le plus grand bénéfice de Mme Le Pen.
A ces joutes parlementaires allaient s’ajouter d’impressionnantes démonstrations de rue, rassemblant plusieurs fois plus d’un million de personnes sur l’ensemble de la France, y compris dans de petites sous-préfectures d’ordinaire peu enclines à la contestation sociale. Confirmant, par leur tonalité virulente, le fait que beaucoup de Français ne voulaient décidément pas travailler plus, une réalité que traduisaient aussi tous les sondages, mais manifestant également avec un éclat exceptionnel le rejet de l’opinion à l’égard de la personne-même de M. Macron.
De ce point de vue, la crise des retraites aura servi de révélateur à un malaise plus profond encore: celui que provoque à la fois l’inflation (plutôt moins forte en France qu’ailleurs en Europe, mais redoutable dans le secteur si sensible de l’alimentation), un certain désamour pour le travail quotidien chez ceux, très nombreux, qui n’ont pas la chance d’exercer un métier qu’ils aiment. Et, peut-être plus que tout, l’exaspération devant la „déglingue“ de plusieurs services publics vitaux: la santé, l’éducation, la sécurité, la justice …
Brochant sur le tout, le „style Macron“ ne passe décidément pas, ou plus, auprès de beaucoup de Français. Ceux-ci voient en le président un technocrate facilement arrogant, voire méprisant, muré dans ses certitudes et coupé du peuple … A telle enseigne que le locataire de l’Elysée semble désormais éprouver la hantise de laisser croire qu’il y vivrait comme dans un bunker, voire en „forcené reclus dans son palais“, comme l’a dit Boris Vallaud, président du groupe PS de l’Assemblée, durant le débat parlementaire.
Rendez-vous le 14 juillet avec les Français
Formulation évidemment très excessive, mais qui illustre la façon dont cette crise des retraites a plombé la popularité, et même – ce qui pourrait être plus durablement grave pour lui – ruiné l’image, d’un Emmanuel Macron dont la cote de confiance stagne à son plus bas niveau depuis la crise des Gilets jaunes. Et qui, selon deux tout récents sondages, serait largement battu au second tour par Marine le Pen si l’on rejouait aujourd’hui le match d’il y a un an.
C’est bien ce qui pousse le chef de l’Etat à se lancer dans une série de visites de terrain – agitées jusqu’à présent, mais il veut croire que ces explosions de mauvaise humeur vont se tasser – et à se fixer un délai de „cent jours d’apaisement et d’action“, pour un rendez-vous le 14 juillet avec les Français pour dresser „un premier bilan.“ Le problème étant qu’on ne voit pas bien comment il aura pu d’ici là, avec l’aide d’une Mme Borne qui n’y peut manifestement pas grand-chose, surmonter le problème de son absence de majorité parlementaire …
Quant à parler de „premier bilan“, plus de six ans après son élection et quinze mois après sa confirmation à l’Elysée, n’est-ce pas avouer, inconsciemment sans doute, l’ampleur du malaise?
De Maart
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