ExpoTina Modotti et la lutte des paysans

Expo / Tina Modotti et la lutte des paysans
Une artiste engagée: la photographe Tina Modotti Photo: Tina Modotti

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Tina Modotti (1896-1942) est l’invitée du „Jeu de Paume“. Sa photographie est celle d’un engagement sans faille, d’une documentation rare et fine sur le Mexique, notamment autour des femmes de Tehuantepec. Elle a fait partie de l’intelligentsia mexicaine avant d’être expulsée de ce pays pour des raisons politiques.

Née d’une famille pauvre, en Italie, Tina Modotti, travaille à l’usine. Son père s’exile aux Etats-Unis. Elle le rejoint en 1913 et ils s’installent à San Francisco, où il est mécanicien. Tina Modotti, quant à elle, travaille dans un grand magasin, elle y deviendra mannequin, puis sera comédienne pour la communauté italienne. Elle se rend ensuite à Los Angeles, en 1921-1922, jouer dans quelques films. Elle rencontre le photographe Edward Weston, alors marié. Ils partent ensemble au Mexique en 1923. Tina Modotti y vivra sept ans. Grâce à Edward Weston, elle s’initie à la photographie et s’éloigne rapidement des codes esthétiques de son compagnon. Le couple se sépare en 1926, Weston retourne aux Etats-Unis. Tina Modotti reste au Mexique et pratique une photographie politique, engagée. Militante, elle adhère au Parti communiste mexicain en 1927, ses photographies sont diffusées dans des journaux de gauche.

Son nouveau compagnon, Julio Antonio Mella, un révolutionnaire cubain exilé, jouissant d’une grande aura, est le rédacteur en chef du journal communiste El Machete, pour lequel Tina Modotti réalise des photos. Il sera assassiné dans la rue, sous ses yeux, en juillet 1928. Tina Modotti est arrêtée pour complicité d’assassinat puis est innocentée. Elle quitte la capitale en février 1929, pour Tehuantepec, guidée par les récits qu’en font certains, notamment Diego Rivera. Tina Modotti en rapportera des photos d’une société matriarcale, de femmes comme un hymne à la liberté. En 1930, les communistes sont soupçonnés d’avoir fomenté un attentat contre le Président et Tina Modotti est expulsée du Mexique début 1930. Sa pratique photographique s’arrête pratiquement là. Installée à Berlin, elle se rend compte qu’elle ne répond pas aux critères attendus. Elle poursuit son engagement politique jusqu’à sa mort, d’abord à Moscou, puis à Madrid, lors de la Guerre d’Espagne. Elle meurt d’une crise cardiaque, à l’âge de 45 ans.

Une révolution visuelle

C’est donc au Mexique que Tina Modotti s’affranchit des codes esthétiques en vigueur et fait de la photo un art engagé, saisissant sur le vif des scènes de la vie quotidienne, notamment paysanne. Son appareil, un Graflex, lui permet une rapidité qui s’émancipe des temps de pose longs de Weston. Tina Modotti évolue dans le cercle des muralistes, en devient la photographe et archive cet art politique, dont le peintre Diego Rivera est la figure de proue. Le muralisme mexicain est un mouvement né à la suite de la révolution mexicaine. Il s’agit d’une renaissance de l’art, qui entend donner par la peinture murale une vision de l’histoire du pays à une population en grande partie analphabète. Cet art public, monumental, exclut la peinture de chevalet, les codes bourgeois, les expositions, tout ce qui par sa forme est lié à l’élite. Le muralisme est proche de la photo, telle que la pratique Tina Modotti. Celle-ci participe à la révolution visuelle – elle travaille pour El Machete, journal créé en 1924, et celui-ci est placardé sur les murs des quartiers populaires, comme autant de fresque.

L’œuvre de Tina Modotti s’articule autour de la lutte des paysans pour se réapproprier les terres spoliées au XIXsiècle, du peuple indigène, et du rôle des femmes dans la société mexicaine. Sa grande série des femmes de Tehuantepec se présente sous forme d’allégories. Il ne s’agit pas tant de photographier des mères, des femmes, que d’en faire des symboles de la maternité, de la liberté.

„Je ne cherche pas à produire de l’art mais des photographies honnêtes, sans avoir recours à des truquages ou à des artifices, alors que la majorité des photographes continuent à rechercher des effets artistiques ou à imiter d’autres expressions plastiques. Cela donne un produit hybride, qui ne nous permet pas de distinguer dans l’œuvre sa caractéristique la plus significative: sa qualité photographique.“ (Tina Modotti) Et la qualité photographique, en l’occurrence, est celle d’enregistrer au plus près le réel, en évitant le pittoresque.

Réconcilier l’art et le document

Pour la série emblématique des femmes de Tehuantepec, elle photographie, dans une proximité avec le sujet et sans érotisation, les scènes de baignades des mères avec leurs enfants. De plus loin, des scènes de marchés, puis des portraits plus serrés de femmes. Pour les scènes de marché, ne désirant pas être une intruse, elle définit un cadre et attend qu’une silhouette y apparaisse. Quant aux portraits, elle agit tout aussi rapidement, mais certaines photos sont plus organisées, notamment le cliché le plus connu de Tina Modotti, où une femme regarde au loin, en portant sur la tête un récipient. Cette image devient la représentation fétiche de l’œuvre de Tina Modotti, car elle réalise une réconciliation entre l’art et le document. Dans les années 1920-1930, la photo peut revendiquer d’être artistique à condition qu’elle réponde aux critères du document, qu’elle soit précise, nette, fidèle à la réalité. Ces femmes sont altières et libres.

Tina Modotti évoque également d’autres figures du peuple mexicain, les plus bas dans l’échelle sociale, une main d’œuvre corvéable à merci, des hommes qui portent des charges invraisemblables, jusqu’à disparaître parfois sous elles. Elle montre un peuple qui marche, qui porte. Elle s’engage à ses côtés.

Tina Modotti – „L’œil de la révolution“

Jusqu’au 12 mai 2024 au Jeu de Paume
1, place de la Concorde
Jardin des Tuileries
F-75001 Paris