Artistes entre Luxembourg et BerlinStephanie Stremler: „Il me faut deux jours pour sortir d’un personnage“

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Stephanie Stremler: „Il me faut deux jours pour sortir d’un personnage“
Aujourd’hui, Stephanie Stremler est actrice freelance: elle joue au théâtre et au cinéma, mais fait aussi de l’impro Photo: Amélie Vrla

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A l’occasion du festival „48 Stunden Neukölln“ du 28 au 30 juin à Berlin aura lieu une rétrospective autour de l’actrice luxembourgo-allemande Stephanie Stremler, au Wolf Kino.

Le festival est un évènement multidisciplinaire annuel qui voit le quartier de Neukölln accueillir quantités d’expositions, performances, ateliers, etc. Dans le cadre de la rétrospective autour de Stephanie Stremler seront notamment projetés les films „Die Spielwütigen“ de Andres Veiel, „Staub auf unseren Herzen“ de Hana Doose et „Johny & Me“ de Kathrin Rothe, au Wolf Kino, un cinéma particulièrement cher à l’actrice.

„J’ai rencontré Verena, la fondatrice du Wolf Kino, dans le cadre d’un jury pour un festival de courts-métrages“, raconte-t-elle. „Nous sommes devenues amies et, avec d’autres professionnels du cinéma, nous avons lancé une campagne de crowdfunding pour permettre à ce lieu de voir le jour. C’est l’un de mes endroits préférés – on peut y voir et y montrer des films, mais c’est aussi un lieu interactif, où rencontrer des gens, discuter autour d’un café. Il réunit aussi bien les amoureux du cinéma que le voisinage.“

Stephanie Stremler est arrivée à Berlin en 1996, avec le désir d’intégrer l’école de théâtre Ernst Busch. „Je suis venue juste après le bac, à 18 ans. Je voulais devenir actrice, mais c’était très dur, ça m’a pris deux ans. Je suis tombée amoureuse de Berlin, car c’était un endroit où tout changeait chaque jour. On sentait tellement l’Histoire, il y avait tant d’artistes. J’ai eu le sentiment que c’était une ville où l’on pouvait respirer, un endroit de liberté. Lors de la première audition pour Ernst Busch, j’ai rencontré Andres Veiel, qui a ensuite réalisé le documentaire ,Die Spielwütigen‘. Et j’ai joué dans plusieurs courts-métrages avec de nombreux artistes différents, juste pour le plaisir, tout en menant des études de philo. C’est comme ça que mon histoire d’amour avec Berlin a commencé.“

Premiers pas en tant qu’actrice professionnelle

„Die Spielwütigen“, qui fêtera ses 20 ans lors du festival fin juin, est un documentaire qui suit le parcours de plusieurs jeunes acteurs lors de leur tentative d’intégrer la célèbre école de théâtre. Dans le film, Stephanie Stremler n’a pas 20 ans et fait courageusement ses premiers pas en tant qu’actrice professionnelle – un exercice particulièrement difficile, étant donné que le métier de comédienne va de pair avec le fait de se voir rejetée. „Je ne savais pas à quel point ce serait une expérience vulnérable, mais j’avais envie de faire partie du film. Je crois que Veiel était l’un des premiers réalisateurs à faire des documentaires pour le cinéma, avec un vrai style de fiction. Le film n’est pas un reportage, il raconte une réelle histoire, avec de vrais personnages, pour le grand écran. Le travail de Veiel m’a fascinée, une amitié est née aussitôt. Il y a eu un moment où j’ai eu peur d’en montrer trop, notamment les moments d’échec. Tout était filmé, je me demandais ce qui adviendrait de moi si tout le monde voyait ces défaites!“ Stremler rit. „Mais je me suis rendu compte que les moments d’échecs étaient les plus drôles du film. J’ai appris quelque chose de très important – il faut être ouverte aux revers de la médaille, à la douleur, il vaut mieux être absolument honnête. J’ai aussi appris que je ne pouvais pas me cacher de la caméra.“

On pourrait en effet se poser la question de la véracité d’un film documentaire qui a pour sujet des acteurs, se demander si les comédiens ne jouent pas, s’ils ne transforment pas la réalité pour apparaître sous un jour plus favorable que ce qu’il en est vraiment. „J’ai essayé de jouer un rôle, mais c’était très mauvais!“, raconte l’actrice et rit. „C’était impossible. Veiel l’a aussitôt vu et m’a dit: ,Sois fidèle à toi-même.‘“ Aujourd’hui, l’échec reste douloureux pour Stephanie Stremler, mais elle le voit surtout comme un formidable outil, qui l’aide à progresser dans son parcours d’actrice. „C’est sain. C’est l’occasion pour moi de réfléchir à mes actes et de me renouveler. Aujourd’hui, mon fils est majeur, il commence à passer des auditions à son tour, car il veut devenir acteur, et je me rends compte que j’ai vraiment acquis une forme de carapace avec le temps. Pour lui, les rejets sont extrêmement douloureux. Au contraire, pour moi, ils le sont beaucoup moins que lorsque j’ai commencé. L’expérience permet de comprendre qu’un échec n’est pas la fin du monde. Il y a tant d’autres options et de possibilités. Parfois, échouer est quelque chose de positif, car cela permet de saisir une autre opportunité.“

Il y a tellement d’excitation, d’adrénaline, de bonheur à jouer. Mais en tant que mère, je devais pouvoir apaiser mon bébé, une énergie qui était parfois à l’opposé de ce que je jouais. J’ai compris qu’il me fallait faire attention à ne plus être en personnage lorsque je m’occupais de mon enfant. […] On m’avait appris à l’école de théâtre à travailler le fait d’entrer dans un personnage, mais ce qui est beaucoup plus dur, c’est d’en sortir!

Après la naissance de son fils, Stephanie Stremler a pris le temps de réfléchir à ses intentions profondes et à ses choix en tant qu’actrice. „Je ne voulais pas offrir à mon fils une vie où je ne ferais que jouer au théâtre du matin au soir. Et j’ai réalisé qu’il me fallait à moi aussi du temps et de l’espace pour y voir plus clair dans ce que je faisais. J’ai cessé d’être résidente au théâtre et je suis devenue une actrice freelance. C’est risqué, ça fait peur, mais ça permet de diversifier les expériences: je joue encore au théâtre, mais également au cinéma, pour la télé, je participe à des spectacles de marionnettes, d’impro, je fais des lectures … et puis cela m’a permis de me poser à nouveau la question de pourquoi je voulais être une artiste. Ce n’était pas juste pour exécuter ce qu’une autre personne voulait me voir faire. Vraiment pas. Je me suis souvenue de l’époque où, écolière, j’étais allée au théâtre voir une pièce qu’on avait trouvé super ennuyeuse. Et soudain, je me suis vue jouer sur scène, il y avait une classe d’écoliers dans la salle qui était venue nous voir, et je me suis rendu compte que c’était moi qui les ennuyais! Et ça, non, ce n’était vraiment pas ça le but. Si j’avais voulu être une actrice, c’était pour être une sorte d’artiste, émouvoir les gens, leur offrir quelque chose de thérapeutique, peut-être. J’avais l’impression de perdre mon âme.“

Le fait de devenir mère a également appris à Stremler à créer l’espace et le temps dont elle a besoin pour quitter un rôle de fiction et revenir à celui de mère: „Il y a tellement d’excitation, d’adrénaline, de bonheur à jouer. Mais en tant que mère, je devais pouvoir apaiser mon bébé, une énergie qui était parfois à l’opposé de ce que je jouais. J’ai compris qu’il me fallait faire attention à ne plus être en personnage lorsque je m’occupais de mon enfant. J’ai vraiment dû séparer les deux activités, devenir plus rapide dans ma préparation aux rôles. On m’avait appris à l’école de théâtre à travailler le fait d’entrer dans un personnage, mais ce qui est beaucoup plus dur, c’est d’en sortir! (rires) Aujourd’hui, je sais qu’il me faut deux jours pour pouvoir revenir à moi, à ma vie. Ça a été une expérience et un processus de changement énorme. J’ai beaucoup appris.“

En 2015, lors de l’arrivée massive de réfugiés en Allemagne, Stephanie Stremler s’est montrée très active dans l’accueil des populations déplacées, a commencé à apprendre le farsi, est tombée amoureuse d’un homme d’origine afghane, qu’elle a voulu aider dans sa démarche de demande d’asile. Une histoire poignante qu’elle a documentée pour en faire un film: „On a commencé à tourner avec mon compagnon de l’époque, qui est devenu ensuite mon ami, ainsi qu’avec Esther Zimmering, ma collègue et amie – elle a épousé un homme qui vient du Ghana. Nous étions tous très impliqués dans ces demandes d’asile. Le début du tournage a été très intense. Nous avons réalisé avoir besoin d’une équipe pour nous assister, car ce sont des sujets tellement personnels, il est peut-être trop difficile de faire le film seuls. Nous avons besoin de regards extérieurs. Nous avons des rushs très authentiques, comme les images des procès pour les demandes d’asile auxquels nous nous sommes rendus. J’étais complètement naïve en ce qui concernait ce processus. J’ai pris conscience qu’il y a deux faces presque opposées: d’un côté, une personne qui est en sécurité et qui tente d’aider quelqu’un; de l’autre, une personne qui vit la période la plus intense de sa vie, a subi des traumatismes terribles, et cherche juste à poser un pied au sol. On a dû faire une pause dans la fabrication du film, car c’était trop difficile, trop personnel, mais on va recommencer bientôt. On cherche à s’allier à d’autres réalisateurs et scénaristes pour continuer.“

Série

Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.