Sonntag21. Dezember 2025

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InterviewSepideh Farsi rend hommage au courage d’une jeune photographe palestinienne assassinée

Interview / Sepideh Farsi rend hommage au courage d’une jeune photographe palestinienne assassinée
Conversation à distance: la photographe Fatma Hassona (photo) et la cinéaste Sepideh Farsi Source: Imagine Film Distribution

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Comment faire cinéma de l’impuissance de nos politiques face aux barbaries ? La cinéaste Sepideh Farsi propose une riche réflexion sur les images contemporaines. Son documentaire „Put Your Soul on Your Hand and Walk“ nous plonge dans l’enfer de Gaza.

Tageblatt: Comment la rencontre à distance avec la photographe Fatma Hassona a pu se faire?

Sepideh Farsi: En 2023, je faisais la tournée mondiale de mon film d’animation, „La Sirène“ (coproduit par le Luxembourg). Les attaques du 7 octobre, puis les représailles israéliennes m’ont ébranlée. Les médias les ont largement couvertes, à grand renfort de points de vue du monde entier. Les Palestiniens, eux, étaient absents. Pas une parole. Même les journalistes palestiniens n’étaient pas pris au sérieux. J’étais vraiment très perturbée, surtout que la population civile n’était jamais interrogée. La situation à Gaza m’a encore plus choquée, parce que, au moins, dans la guerre en Ukraine, on interroge beaucoup les Ukrainiens. On les entend, on les fait venir ici, on leur pose des questions, on les soutient. Les Palestiniens sont réduits à des statistiques. Je suis Iranienne. Je sais ce que signifie „être invisibilisé“. Cela n’atteint pas le même degré que pour les Palestiniens parce que, nous, on a quand même une place. Mais il y a un sentiment assez constant que, par moment, les autres parlent comme s’ils savaient mieux que vous, ce que vous ressentez. Et c’est très perturbant, surtout pour quelqu’un comme moi, qui vit en Europe depuis longtemps, qui s’exprime, et qui est à sa place dans la société. Donc je suis partie. J’ai acheté un billet d’avion pour Le Caire. Avec l’idée, certes naïve mais obstinée, de traverser Rafah et d’entrer dans Gaza. Mais cela s’est avéré totalement impossible. C’était dangereux en tant que cinéaste aussi. En avril 2024, au Caire, pendant des semaines, j’ai commencé à filmer des Palestiniens qui venaient de quitter Gaza. Dont une famille chez qui je logeais. Un des jeunes que je suivais m’avait parlé d’une amie photographe qui vivait toujours au nord de Gaza. Il m’avait proposé de la rencontrer à distance. Fatma a accepté. Notre première conversation ouvre le film. Tout de suite, quelque chose est passé entre nous.

A propos du film

Pendant 200 jours, la cinéaste iranienne exilée à Paris s’est entretenue par Internet et smartphone interposés avec la photographe gazaouie Fatma Hassona, tuée avec sa famille (sa maman a survécu) le 16 avril dernier à Gaza. Leur dialogue est devenu un documentaire, engagé, bouleversant, présenté dans la section de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID) au Festival de Cannes 2025. Un double témoignage féminin du sort des populations civiles sous les bombardements israéliens. Le titre du documentaire „Put Your Soul on Your Hand and Walk“ („Mets ton âme sur ta main et marche“) est un proverbe que se récitait Fatma Hassona – Fatem pour les intimes – jeune photojournaliste de 25 ans pour se donner du courage et poursuivre sa mission d’information sur le sort des populations civiles dans la bande de Gaza malgré le danger, l’accablement, le désespoir. Le titre décrit très bien l’acte de résister à Gaza, et de photographier aussi, ce pourquoi Fatma a été tuée, affirme Sepideh Farsi.

Etait-ce nouveau pour vous de passer par la parole et l’écoute?

L’écoute est toujours très présente dans mes documentaires. Je dois aimer les gens pour pouvoir les filmer. L’écoute vient toujours avec le filmage. Donc, il faut que je sois en phase avec celui ou celle que j’ai en face de moi. J’ai eu des doutes, évidemment, mais assez vite, en fait, il m’était apparu qu’il fallait être très modeste dans l’image. Je voulais un filmage très simple, très minimaliste, pour laisser beaucoup de place à l’humain et aux échanges. Le visage de Fatma est un territoire. Il exprime son état d’âme.

Son visage est, étonnamment, très souriant. Comment l’expliquez-vous?

Globalement, Fatma sourit toujours. La première fois que je la rencontre, elle arbore un sourire fier. Son sourire est parfois triste parce qu’elle est un peu plus absente, fatiguée, mal nourrie, affamée. Et puis, de nouveau, son sourire très joyeux revient. Il est arrivé plusieurs fois que je perde le contact avec elle. Quand elle revenait à l’écran, elle était très heureuse. Moi aussi. Ce sourire éclatant illustre l’affiche du film. Je lui ai demandé: „Comment tu peux sourire alors que tu parles des gens que tu as perdus dans la guerre?“ Pour moi, son sourire va au-delà de la résilience. C’est un sourire de résistance.

Fatma voulait se rendre au Festival de Cannes, à condition de revenir à Gaza. Vous l’avez crue ?

Oui. Naïve et confiante, j’étais convaincue d’avoir le visa pour Fatma. Cela étant, j’avais bien conscience que c’était compliqué de la faire sortir par les checkpoints israéliens. Je comptais sur l’appui de l’ambassade de France. J’avais effacé son numéro de téléphone. On allait tout essayer. Fatma ne représentait aucun média officiel. Son nom n’a jamais été divulgué lors de la sélection du film à Cannes. On s’était préparé, on l’avait protégée. Mais comment savoir que 24 heures après, elle serait déjà assassinée? Qui l’aurait cru? Le miracle d’être avec elle a été pulvérisé par le sortilège de son assassinat. C’était un grand choc, surtout si rapidement. Soudain, la mort a frappé.

Pensez-vous qu’elle a été visée en tant que photojournaliste?

Scène du documentaire
Scène du documentaire Source: Imagine Film Distribution

Absolument. Une enquête de l’agence Forensic Architecture existe depuis le 14 mai dernier. Elle montre des images qui ont été trouvées chez elle, prises de l’intérieur, après l’attaque. C’était un bombardement nettement ciblé, comme c’est le cas d’autres journalistes, au Liban et en Palestine. En fait, un drone a lâché deux missiles au-dessus de l’immeuble. Ils étaient programmés pour traverser trois étages et exploser au deuxième. J’ai reçu les conclusions de l’enquête et, là, j’ai compris que c’était un assassinat.

Avez-vous modifié votre film après l’assassinat de Fatma?

Le film était déjà prêt. Je n’ai rien voulu changer. Et puis, quelques jours avant la projection à Cannes, j’ai décidé d’ajouter juste notre dernière conversation, la veille de sa mort. C’était important qu’il y en ait encore une trace.

Pour aller plus loin

Le 1er octobre à 18.30 h le vernissage de l’exposition photo de Fatma Hassona aura lieu au Ciné Utopia, suivi de l’avant-première du documentaire à 19.30 h en présence de la cinéaste Sepideh Farsi. Les photographies de Fatima Hassona, transmises à la cinéaste avant son assassinat, ont été rassemblées, avec aussi ses poèmes, dans un livre, „Les Yeux de Gaza“ (Editions Textuel).

Votre vécu en tant qu’Iranienne a-t-il facilité le dialogue avec Fatma Hassona?

Oui, même si nos expériences de vie étaient très différentes. Ce que j’ai vécu en tant qu’Iranienne, notamment la guerre, a facilité mon écoute pour Fatma et a suscité sa confiance en moi. J’ai aussi été bloquée dans mon pays pendant plusieurs années, avant de pouvoir partir. Les frontières iraniennes ont été fermées en 1979 et se sont rouvertes pendant 5 ans, jusqu’en 1984. J’ai été arrêtée à l’âge de 16 ans. J’ai fait presque un an de prison. Quand je suis sortie, j’étais bannie de mes droits. Je ne pouvais pas aller à l’université. C’est d’ailleurs pour ça que je suis partie pour pouvoir étudier et vivre, tout simplement. Parce que je ne pouvais rien faire en Iran. Donc je sais ce que signifie ne pas être libre de ses mouvements. Certes, j’ai beaucoup voyagé. Je continue à être libre et privilégiée. Mais je pense que mon histoire m’a formée et ouvert mon écoute d’une manière qui a permis d’être à un autre niveau d’échange avec Fatma. Et elle l’a senti aussi, évidemment. Raison pour laquelle elle se livre d’une autre manière.