Marie-Luce Theis est arrivée à Berlin en 2017, après avoir habité à Vienne puis Zürich, où elle était assistante au Schauspielhaus. C’est l’amour et le travail, qui l’ont conduite vers la capitale allemande: „J’étais en charge de concevoir la scénographie et les costumes pour une pièce au Schauspielhaus de Zürich, laquelle a été invitée à Berlin pour les Autorentheatertage au Deutsches Theater. C’est donc avec cette pièce que j’ai déménagé. J’ai même pu profiter du transport du théâtre pour une partie de mes affaires personnelles: il y avait une bicyclette dans la pièce, mais deux vélos dans le camion, car ils ont accepté d’embarquer le mien“, sourit Theis. La scénographe connaissait déjà Berlin pour y avoir été assistante sur deux pièces à la Volksbühne, en 2013. „C’était très impressionnant de travailler dans ce théâtre emblématique. Mais la ville ne m’attirait pas, à l’époque. J’habitais encore à Vienne, et Berlin me paraissait être une ville folle, trop grande pour moi. Quand je suis arrivée en 2017, j’ai mis un peu de temps à me sentir en sécurité. Mon sentiment était ambivalent. Il y avait énormément d’informations, d’impressions … Comme une surcharge sensorielle. Mais à présent je suis heureuse d’habiter dans cette ville, qui est extrêmement enrichissante. Il y a un esprit unique. Même s’il commence à disparaître, car Berlin devient de plus en plus touristique et que le marché immobilier est dingue, presque pire qu’au Luxembourg. Mais la ville s’est développée dans l’énergie de lieux comme le Holzmarkt ou la Volksbühne – des endroits empreints d’une liberté artistique qu’on ne trouve pas ailleurs.“
Une heureuse découverte
Marie-Luce Theis se familiarise avec l’univers du théâtre „assez tard“. „J’étais plutôt intéressée par le cinéma et la danse. Je savais que je voulais travailler dans les arts et de manière collective, mais je n’avais pas une idée précise de ce que je voulais faire. J’ai découvert le métier de scénographe un peu par hasard, à la foire de l’étudiant, à Luxembourg, en feuilletant le guide des cours proposés par l’Université des arts appliqués dans laquelle j’allais étudier par la suite. Je me suis alors renseignée davantage sur cette profession, qui me paraissait être le mélange parfait entre art et créativité. Et puis il y avait l’idée d’un renouvellement constant, puisqu’il y a toujours de nouvelles histoires à raconter. Le fait de travailler en équipe m’apparaissait également comme un enrichissement.“
Le théâtre possède cette énergie merveilleuse qui naît uniquement lorsque de nombreuses personnes se réunissent en un même lieu pour vivre une expérience commune. C’est presque un rituel. Mais de nos jours, de tels lieux où partager de tels moments sont de plus en plus rares.
Pour Marie-Luce Theis, œuvrer aux arts pour et sur scène est plus intéressant encore qu’en peinture ou en dessin: „C’est plus tangible. Cela va au-delà du visuel. On crée des espaces, on exprime une vision dans l’espace. Le rapport au temps est également différent. Lorsqu’une personne regarde un tableau, c’est elle qui détermine le temps qu’elle passe à contempler la toile. Mais sur scène, c’est le texte qui est le fondement. Le texte, le thème, l’histoire. La scène est un art narratif, et mon métier est de créer des espaces pour cette narration. Et puis le théâtre possède cette énergie merveilleuse qui naît uniquement lorsque de nombreuses personnes se réunissent en un même lieu pour voir et vivre une expérience commune. C’est presque un rituel. Mais de nos jours, de tels lieux où partager de tels moments sont de plus en plus rares.“
Pour le grand public, la scénographie est souvent envisagée comme un „travail de peinture des décors“. „Mais on oublie tout le travail de conception, qui est la majeure partie de ce que je fais“, précise la scénographe. „Et on oublie aussi qu’il y a toute une équipe derrière le metteur ou la metteuse en scène. Cette façon d’envisager les metteurs en scène comme seuls capitaines est hiérarchique et dépassée. A l’université à Vienne, on nous a appris au contraire à nous considérer comme étant sur un pied d’égalité avec eux: nous développons le projet ensemble, c’est un processus créatif d’équipe. Et c’est très bien que des personnes spécialisées puissent apporter un souffle et des idées aux metteurs en scène, lesquels sont déjà très pris par le texte et le jeu.“
La scénographie dynamise un texte, permet à des idées denses ou complexes de devenir simples, évidentes, d’être transmises de manière immédiate grâce à la mise en espace. „Par exemple, sur la pièce ,Süden‘ de Julien Green, mise en scène par Thierry Mousset, on était partis de l’idée d’un ring de boxe sur lequel les personnages s’affronteraient. En fin de compte, la scénographie a changé, mais nous avons gardé une grande plateforme en bois qui rappelait cette première approche de la pièce. Et l’actrice Meike Droste a joué avec: en entrant sur scène, elle a sauté sur la plateforme à pieds joints, comme prête à se battre. C’était exactement l’énergie que je cherchais. Voilà ce que j’aime au théâtre: le fait que les choses arrivent sans qu’on puisse tout prévoir à l’avance. Il y a de la place pour la surprise, pour que des moments et situations naissent qu’on n’aurait jamais pu imaginer seule.“
La force du collectif
Le métier de scénographe reste difficile, très chronophage et peu rémunéré. „Je ne peux pas vraiment compter mes jours de travail, car lorsque je suis en création, j’emporte le travail partout avec moi. Il est rare que les semaines durant lesquelles on crée des plans soient prises en compte dans nos contrats. Le plus souvent, seules les répétitions sont comptées. Certes, la scénographie est une passion, mais c’est aussi un métier comme n’importe quel autre. Pourtant, on ne le considère pas comme tel. Et il en va de même pour le métier de costumière, que je pratique également. Concevoir la scénographie et les costumes d’un spectacle me donne la possibilité de créer un univers complet, et j’aime beaucoup le faire. Mais c’est aussi un travail considérable.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
Souvent, les théâtres choisissent de ne rémunérer qu’une seule personne pour les deux corps de métiers, avec un seul cachet, certes un peu plus élevé, mais qui n’est pas représentatif de la charge réelle de travail. „Nous sommes souvent confrontés à un manque de reconnaissance de la part des théâtres et nous devons nous battre pour la valorisation et la visibilité de nos métiers.“ C’est pour cette raison que Marie-Luce Theis fait partie depuis plusieurs années de Szenografie-Bund, l’association des scénographes qui représente leurs intérêts culturels, artistiques, sociaux, politiques et juridiques. Szenografie-Bund se bat pour les droits de ses membres, exige qu’ils soient rémunérés de façon juste et avec des contrats équitables.
Récemment, Theis a conçu les costumes pour un conte, „Die Gänsehirtin am Brunnen“, au Mecklenburgisches Staatstheater: „J’ai pris un immense plaisir lors des essayages: il y avait de tout. Des animaux, une sorcière, une princesse … J’ai pu vraiment laisser libre cours à ma créativité. J’ai aussi bénéficié d’un soutien formidable des équipes techniques, notamment de l’atelier couture et du département maquillage, qui ont mené un travail exceptionnel. Il est essentiel pour moi que les comédiens et comédiennes se sentent bien dans leurs costumes et prennent plaisir à les porter. C’est là qu’intervient la force du collectif, que je considère comme une immense richesse au théâtre. C’est dans ce travail commun que naissent les plus belles choses. Je crois que c’est pour cela que j’aime tant travailler dans cet univers.“
De Maart
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